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Emmanuelle Vo-Dinh : « Simon says »

La directrice du CCN Le Havre crée une pièce ludique et subtile pour quatre danseurs hongkongais.

Le jeu, les règles, leur transgression... Simon says se déroule sur un terrain de jeu marqué par des lignes comme pour une nouvelle discipline sportive. On danse, on joue à quatre. Comme dans un jeu de société, chaque joueur a sa couleur. Le rouge, le jaune, le bleu, le vert. Les règles ? Le public ne les connaît pas, mais les devine, progressivement, entre autres quand Vo-Dinh, assise en régie, appuie sur le bouton pour envoyer des beep et des flashs qui sanctionnent les fautes. Une ligne est une ligne, et le corps ne la franchira pas !

Dans l’aire de jeu centrale - un carré pointillé de lignes diagonales jaunes - les joueurs reconstituent des tableaux complexes, assemblant leurs corps bien moins librement que ce qu’on ne pourrait croire au début, quand ils semblent trouver leurs postures spontanément. Mais ils reviennent toujours vers les mêmes configurations, en déclinant le mode de jeu : Façon ballet, façon Bunraku, façon karaoké, façon clubbing ou bien dans le noir, la tête coiffée d’une lampe. Les tableaux, produits d’abord avec précision et puis dans une liberté croissante, évoquent le travail photographique très chorégraphié d’Edouard Levé.

Un pas vers la liberté

De ce jeu façon « exercice de styles », ils tirent la liberté de réinventer, de déconstruire, de recomposer, d’évoquer, de travailler sur la variation et la répétition et la fragmentation, toujours dans un esprit ludique. Entre les différents rounds de cette non-compétition, ils dialoguent ou monologuent en cantonais, semblent se disputer ou se mettre en condition pour leur prochaine collaboration compétitive. Mais ils peuvent aussi profiter de ces espaces de liberté pour échanger des recettes de cuisine...

Un jeu a des règles, mais aussi un but : Gagner ! Chez les enfants qui jouent Simon says ou Jacques a dit, l’idée de gagner peut se transformer en humiliation. Le jeu chorégraphique transpose aussi des éléments du jeu éducatif électronique Simon pour sa signalétique chromatique et l’éducation de la mémoire. Dans la version chorégraphique de Vo-Dinh, la coopération remplace la compétition. C’est déjà un premier parti pris par rapport aux règles du jeu dans la vie hongkongaise, et plus largement en Occident.

La remise en cause des règles

S’il est question de jeux et de leurs règles comme ossature de cette création, la collaboration avec le CCN du Havre a également permis aux danseurs hongkongais de remettre en question leurs propres règles selon lesquelles ils exercent leur métier dans une société qui ne jure que par l’efficacité et le productivisme, contexte peu favorable à faire éclore la créativité artistique.

Les quatre interprètes ont pu découvrir en France un mode de création inédit pour des danseurs hongkongais, même contemporains : La recherche par l’improvisation et la possibilité d’aborder un travail de création en y consacrant des journées entières sans devoir courir gagner sa vie dans les heures qui suivent ou précèdent une répétition de quelques heures.

L’appel à la créativité

On sait l’excellence technique, l’efficacité et la discipline des danseurs d’Asie. Mais bien peu d’entre eux avancent vers des horizons artistiques élargis. Le manque de liberté et de diversité, pour des raisons très différentes d’un pays à l’autre, enferme la créativité.

En dessinant un système de règles tout en jouant sur sa transgression, Vo-Dinh introduit une dose de subversion qui pourrait semer quelques graines dans le petit  milieu de la danse contemporaine à Hongkong. A moins que ces interprètes ne préfèrent s’installer en France.

Mais ils auront tout à gagner s’ils choisissent de prendre une part active dans l’éclosion actuelle de la danse contemporaine chez eux, où les échanges avec l’étranger vont se développer, où un nouveau festival de danse contemporaine est en train de s’établir, où la danse peut participer du débat autour de la démocratie et de l’avenir de la société hongkongaise...

Réinventer demain

Vo-Dinh a rencontré son quatuor en donnant un stage à Hongkong, suivi d’une venue des quatre interprètes choisis pour une suite au Havre, travail qui a mené vers la création de Simon says, dans un processus spontané, non inscrit dans l’agenda au départ. Cette liberté est aux antipodes du fonctionnement systématique que les danseurs décrivent comme suit: « On postule pour une subvention. Six mois plus tard, la réponse tombe. Si elle est positive, on a trois mois pour créer la pièce. »

C’est peu de temps, vu que les interprètes gagnent leur vie  ailleurs, et cela explique qu’à Hongkong une création chorégraphique se déroule sur un mode unidirectionnel: Le ou la chorégraphe transmet les phrases qui doivent être appris telles quelles par les danseurs, comme si on était au ballet. Simon says leur dit qu’une autre danse est possible et avec elle, un autre modèle de réussite. Car la réussite artistique est au rendez-vous, et on ne trouvera ni Simon ni Jacques pour dire le contraire.

Thomas Hahn

Spectacle vu le 25 janvier 2017  au Phare, CCN Le Havre

http://www.pharenheit.fr/2017/fr/simon-says/#

 

Simon says

Conception, scénographie :  Emmanuelle Vo-Dinh

Interprétation : Yau Chin Shing, Lee Wai Nang, Wong Choi Si, Li Ka Man

Musique :  David Monceau, Emmanuelle Vo-Dinh

Lumières : Françoise Michel

Costumes :  Salina Dumay

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