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Décès d'Yvette Chauviré

Elle incarnait mieux que quiconque la ballerine française, un esprit vif, une élégance raffinée, une technique acérée et un tempérament cabochard. Yvette Chauviré est décédée le 19 octobre, âgée de 99 ans.

Née le 22 avril 1917 à Paris, elle intègre l’école de l’Opéra à 10 ans. Elle se fait remarquer dans l’Eventail de Jeanne, en 1929, un ballet pour enfants resté dans les mémoires à cause de sa partition faisant appel à dix compositeurs français contemporains, dont Ravel (Fanfare), Poulenc (Pastorale), mais aussi Georges Auric ou Darius Milhaud. Elle entre à 13 ans dans le Corps de Ballet, elle gravit rapidement les échelons qui l’amènent de «Petit sujet» à «Première danseuse» en 1937. Cette même année, elle tourne son premier film : La Mort du Cygne de Jean Benoît-Lévy, d’après une nouvelle de Paul Morand.Le 31 décembre 1941, la première représentation d’Istar de Serge Lifar lui vaut sa nomination d’Etoile.

Interprète fétiche de Serge Lifar, elle crée également Le Chevalier et la Damoiselle (1941), Les animaux modèles (1942)  Suite en blanc (1943), Mirages (1947) dans lequel son interprétation de l’Ombre reste la référence absolue, et Nautéos (1953). Elle sera à ses côtés lors de ses adieux à la scène en tant que danseur en 1956. Outre ses ballets, elle abordera Giselle en 1949, dans lequel elle fera ses adieux en 1972. Elle créera le Grand Pas Classique (1949) d'Auber conçu spécialement pour elle par Victor Gsovsky dont elle disait, avec humour, qu'il fallait l'interpréter «un peu p... mais distinguée» et qu'elle tournera dans le monde entier. Elle fera aussi quelques apparitions en « guest » aux Ballets des Champs-Elysées de Roland Petit.

Ses rapports avec l’Opéra ont toujours été houleux. Elle claque la porte en 1944 pour rejoindre Serge Lifar aux Ballets de Monte-Carlo, revient en 1947, repart en 1949, trouvant que l’Opéra ne lui accorde pas assez de flexibilité pour danser ailleurs. Elle y retournera néanmoins en 1953 profitant d’une nouvelle administration pour imposer ses conditions. Elle dansera dans le monde entier, ce qui lui permettra d’aborder les premiers rôles de La Belle au Bois dormant et de Casse-Noisette qui ne figuraient pas au répertoire de l’Opéra de Paris à cette époque ou tournera dans le film Carrousel Fantastique (1954).

Elle se retirera officiellement de l’Opéra en 1956 mais continuera à y danser en « guest » et à mener une carrière à l’étranger. Elle sera notamment invitée au Bolchoï de Moscou en 1958 et au Kirov de Léningrad où Noureev la découvrira dans Giselle. Elle dansera avec lui dès 1961. Une série de Giselle est même prévue à l'Opéra de Paris début 1963 avec Noureev et Chauviré, mais devant les menaces lourdes de conséquences de l'ambassadeur d'URSS si Noureev danse à l'Opéra, l'administrateur Georges Auric annule à grands regrets ces représentations. Et ce n'est qu'en 1968 que les deux stars peuvent enfin danser le ballet d'Adam à l'Opéra de Paris, après qu'Yvette en ait donné des prestations mémorables avec Eric Bruhn.

En scènes le spectacle vivant en vidéo Yvette Chauviré, INA

Par ailleurs, elle chorégraphiera, notamment de courtes pièces pour lesquels son mari, l'artiste, Constantin Nepokoitchitsky (Nepo, un émigré russe (décédé en 1976) aura conçu les décors, ou remontera ses propres versions de La Péri (1955) ou de Giselle pour la Scala de Milan.

En tant qu’interprète, Yvette Chauviré est considérée comme la quintessence de l’Ecole française. Néanmoins, elle a été pétrie par des maîtres russes, à commencer par Serge Lifar, mais aussi Victor Gsovsky et Boris Kniaseff qui façonnera ses lignes élancées.

Pour elle, la danse classique était plus affaire de nuances que de performance. Son « phrasé » était extraordinaire, tout comme son expressivité qu’elle communiquait tout autant par l’intention qui habitait chaque instant de son mouvement, que par son regard ou ses épaulements inégalables.

Son rôle de prédilection, restera Giselle dont elle donnera une interprétation inoubliable lors de ses adieux, qu’elle a commentée plusieurs fois et transmise à des générations d’étoiles. Notamment dans sa scène de la « Folie ». « Les ballerines interprètes de Giselle ne doivent pas exprimer à l’aide d’une gestuelle excessive un total dérèglement mental. J’en ai vu qui faisaient le geste de s’arracher les cheveux… elles étaient à côté du sens. Giselle n’est pas une folle à lier, une folle à interner, elle est tout simplement confrontée à une situtation introlérable. »

Après ses adieux à la scène en 1972, elle y revient dans Amphitryon 38, une pièce de théâtre de Jean Giraudoux, auprès de Simone Valère et Jean Desailly. Et en 1991, elle accepte créer en Suisse le rôle de Maud à l’occasion de la création originale contemporaine du ballet Harold et Maud de la compagnie Sinopia Ensemble de Danse, chorégraphie d’Etienne Frey, rôle qu’elle a interprété en alternance avec Rosella Hightower, sur une musique originale de Michaël Jarell composée pour ce ballet.

Rudolf Noureev témoignera à toute occasion respect et admiration pour l'étoile française. Lorsqu'il est nommé directeur de la danse à l'Opéra de Paris, il invite Yvette Chauviré comme assistante et pour tenir le rôle de la Comtesse de Doris dans Raymonda en 1984, puis celui de Lady Capulet dans son Roméo et Juliette en 1985. Et Brigitte Lefèvre dira d'elle : «L’élégance de la personne, avec son profil extraordinaire et son petit nez retroussé à la parisienne, combinée à celle du style chorégraphique qu’elle interprétait, trouvaient chez elle un accomplissement total.»

L’Opéra de Paris gardera la mémoire de cette grande Dame de la danse, prima ballerina assoluta pour toujours.

«La danse est une forme de foi, une espérance. C’est une aspiration, le besoin d’atteindre un univers, une atmosphère, un état qui vous fait progresser, la recherche d’une vérité. [...] Il faut y aller. Aller vers un ailleurs. Par la lumière intérieure, rejoindre la lumière universelle. Il faut flotter. On ne peut commander cela. Plus exactement c’est une force invisible qui vous porte hors du lieu d’appui. C’est par une intense concentration, un don total de soi, une immense foi, que l’on flotte dans un univers invisible à l’œil nu, amis flamboyant dans l’exaltation artistique. »

Agnès Izrine

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