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In a Corner the Sky Surrenders – Unplugging Archival Journeys # 2 (for Marta <3) de Robyn Orlin

Après Nadia Beugré, Robyn Orlin s’associe à Marta Izquierdo Muñoz pour recréer son solo mythique.

Ce solo devenu mythique, était le premier travail de Robyn Orlin, après son diplôme, un master beaux-arts au Chicago Arts Institute au département 4D, à vocation transdisciplinaire. Donc très libre. C’est à partir de là qu’elle envisage différemment son travail. « Avant, mes créations étaient explicitement politiques et abordaient les problématiques de l’apartheid. J’avais besoin de me détacher de ça, puisque je m’étais rendue compte que dans la lutte en Afrique du Sud, il n’y avait pas de place pour moi. Il fallait que je passe à autre chose. Mais en vérité, je ne suis jamais passée à autre chose, j’ai juste changé ma méthode de travail. » explique Robyn Orlin. 

In a Corner the Sky Surrenders, créé à New York dans le quartier de Lower East Side en 1994, raconte alors la vie des SDF et révèle leur résistance et leurs mécanismes de survie. Robyn Orlin, décide de créer un solo dans une boîte en carton, plie et déplie cette boîte, dans une profusion de gestes où se mêlent inventions farfelues, dénonciations ironiques et franches provocations. Quelques années plus tard, alors qu’elle habite en Europe, ces habitacles de fortune lui reviennent en mémoire. En 2022, au sortir du confinement, Robyn Orlin décide alors de transmettre son solo à une interprète dans chaque ville où elle travaille en résidence, et de redonner cette œuvre, intitulée cette fois In a Corner the Sky Surrenders – Unplugging Archival Journeys (Dans un coin, le ciel capitule - Voyages spirituels à travers la mémoire). A Montpellier ce fut Nadia Beugré (lire notre critique).

A Toulouse en 2024, c’est Marta Izquierdo Muñoz. Bien entendu, ces interprètes sont radicalement différentes. La pièce aussi. C’est pourquoi nous qualifierons plutôt de re-création ce nouvel opus. Il reste quelques fondamentaux à savoir, la boîte en carton d’un réfrigérateur, et le petit train électrique qui tourne à l’avant-scène et nous raconte tous les exils, voire bien pire, puisque l’on entend au début Different Trains (1988) de Steve Reich qui évoque les trains partant pour Auschwitz. N’oublions pas que Robyn Orlin est fille d'émigrés juifs lituaniens. Et c’est bien à cet endroit, où l’impact du fascisme retentit sur la sphère intime que Robyn et Marta se rejoignent. Cette dernière ayant quitté l’Espagne pour fuir l'héritage de la dictature de Franco dont on sentait encore les relents dans l’éducation des femmes, et plus encore si celle-ci décidait d’être danseuse.

Et c’est tout cela que l’on ressent en regardant Marta Izquierdo Muñoz s’emparer de ce solo. Elle conjugue de façon magistrale la solitude du dépaysement, aux signes cultes et kitsch de la Movida madrilène de l’après dictature, ou à un personnage marginal de son quartier de Carabanchel, connu pour la « Carcel de Carabanchel », une prison construite pendant le régime franquiste qui réunissait junkies, gitans et familles pauvres, ces marginaux qu’évoque la pièce, devenu haut lieu de revendications politiques.

Galerie photo © Ida Jakobs

Des chiens aboient. Le petit train passe. Et deux chiens/chaussons en peluche rose sortent de cette boîte en carton et vont donner le ton de ce nouveau solo, radicalement hurluberlu, foncièrement engagé, absolument poétique. Quand enfin, Marta sort de son carton, elle apparaît dans une improbable tenue léopard ocellée et tête du félin sur les jambes, le tout agrémenté d’un boléro en fausse fourrure fuschia. Il y a du Toréador et de l’Espagnolade dans l’air, comme autant de clichés hispanisants, tandis que bras et jambes esquissent les poncifs du flamenco. Avant que tout ça ne vrille dans une gestuelle complètement folle, sur des rythmes vaguement militaires ou attrape une grappe de raisin descendue des cintres, mi-Faune, mi-Bacchus, tandis que se déplie le carton sur lequel apparaissent des petites loupiotes éclairant un fond bleu ciel comme autant d’étoiles. Entretemps, elle chante – extrêmement bien – puis disparaît sous le carton tandis que Charles Trenet entonne La Mer.

Plus le spectacle avance, plus la revendication prend des airs de fête. Elle demande s’il y a un masseur dans la salle, se lance dans une gestuelle de strip-tease pour enfiler une mini-jupe, puis une veste destructurée à la diable, assortis à un sac à carreau, et jouer la star en lunettes noires, tandis que deux mini éléphants télécommandés font leur apparition. Tout est délirant. Et pourtant tout fait sens. Ce personnage à la fois marginal, populaire, comme une icône cinématographique ou une star de téléréalité, un peu paumé, un peu femme fatale, cette scénographie, un peu arte povera, un peu DIY, mais splendide comme une installation plastique, ce spectacle qui raconte à moitié la vie de Robyn, à moitié celle de Marta, est une réussite totale. 

Agnès Izrine

Vu le 29 janvier 2024 au Théâtre Garonne à Toulouse

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