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« Cocagne » d’Emmanuelle Vo-Dinh

Vanité et volupté: Dans sa nouvelle création, la directrice du CCN Le Havre met en scène le grand spectacle quotidien de nos émotions.

Un escalier et neuf Sisyphe émotionnels. Aussitôt montés, aussitôt redescendus. Aussi arrivent-ils sur le plateau, comme pour un casting. On s’aligne, on s’allonge, on se défie comme pour se disputer le rôle principal au grand cinéma des relations humaines.

Ensemble ils font fresque murale vivante, non sans tirer profit de la profondeur du plateau. Face public, le groupe se met en scène pour se mettre en perspective et en valeur. On fait face à l’autre, au groupe ou à une foule imaginaire, sachant prendre du recul pour mieux repartir à l’assaut de leurs propres émotions.

Comme son titre ne l’indique pas, tout dans Cocagne relève du réel et du quotidien. Des gestes aux attitudes et aux costumes, les danseurs se présentent sans maquillage aucun, dans un face à face permanent avec la salle. Cocagne est une pièce sans fard, autour de nos émotions fondamentales comme le rire, le désir, les pleurs ou la fureur, émotions sciemment accouplées à une série d’attitudes, comme l’agressivité, le mépris, la vanité, la sollicitation ou l’obsession. Les costumes, la plupart en couleurs pastel (Cocagne oblige) de Maeva Cunci ne payent pas de mine, mais donnent à l’ensemble une unité visuelle et participent pleinement de cette communauté urbaine. En osmose avec chaque personnalité, ils sont si proches de tenues de ville que les personnages nous renvoient à nous-mêmes, sans détour aucun.

Le vrai-faux de l’émotion

Tout relève du quotidien, mais la vérité du quotidien est, elle aussi, une mise en scène. Tout est vrai, et tout est faux. Dès qu’elle s’arrime à une attitude, l’émotion n’a plus rien d’innocent. Elle devient, au contraire, un moyen pour atteindre un but. Dans l’art du mime et de l’acteur, l’émotion fait partie des disciplines à maîtriser sur scène. Peu importe si cette scène est un plateau de théâtre, une salle de meeting politique, une arène sportive, la rue, un studio photo ou l’intimité d’un chez-soi. Dans Cocagne, elle se révèle clairement être un artefact.

Galerie photos  Laurent Philippe

Les danseurs se tiennent debout, face aux spectateurs. Immobiles. Ce sont les moments les plus difficiles de Cocagne, pour les deux côtés. Où le public est exposé au regard inversé, où les danseurs doivent assumer de ne rien faire, où ils doivent attendre, pour atteindre un état de vulnérabilité absolue. Et soudainement, ils  s’esclaffent sans crier gare, comme si on appuyait sur un bouton. Ces rires, ces poses, ces pleurs peuvent s’éteindre tout aussi subitement, comme la flamme d’un briquet. Sauf qu’un bras ou un buste bouge encore, légèrement...  C’est en effet la chorégraphe qui envoie des top depuis la régie, pour surprendre les interprètes dans leur fragilité. Et le public peut, dans les arrêts, observer que les hommes sont plus précis et carrés que les femmes. Car les uns et les autres n’ont pas le même rapport à l’émotion, ni au corps.

Un théâtre du corps et du cœur

En se référant à la question de la représentation à travers Foucault - au sujet du tableau Les Ménines de Vélasquez dans Les mots et les choses et à l’émotion comme vecteur de transformation et d’émancipation avec Georges Didi-Huberman dans son analyse du cinéma d’Eisenstein (Peuples en larmes, peuples en armes), Emmanuelle Vo-Dinh met l’émotion à l’épreuve de regards aussi politiques qu’artistiques [lire notre interview]. Mais elle a le don de partir de recherches et de réflexions complexes pour arriver à une forme irriguée de références, tout en offrant au spectateur des entrées en matière immédiates.

Cocagne met en scène la vanité et l’exclusion, la violence verbale, les flux urbains, l’insouciance et la volupté, la quête de sens et la désincarnation. Aux individus comme à la société, Vo-Dinh tend un miroir (à peine) déformant, par une pièce ludique et factieuse, en appliquant le concept des « embrassements conflictuels » créé par Meyerhold. Nous sommes ici bien plus dans un théâtre du corps et du cœur que dans un concept général de « danse ». Et tout se joue dans la relation entre l’acteur-danseur et le spectateur.

Thomas Hahn

Festival Pharenheit, CCN Le Havre, le 25 janvier 2019

En tournée :

Du 12 au 14 février 2019 à Chaillot – Théâtre National de la Danse, Paris

Conception et scénographie : Emmanuelle Vo-Dinh

Interprétation : Violette Angé, Gilles Baron, Alexia Bigot, Aniol Busquets, Maeva Cunci, Jean-Michel Fête, Cyril Geeroms, Camille Kerdellant, David Monceau

Accompagnement artistique : Sabine Macher
Coaching : Sarah Degraeve
Musique originale : Olyphant (feat David Euverte)
Musique additionnelle : Moderat
Lumières : Yannick Fouassier
Diffusion sonore : Hubert Michel
Costumes : Maeva Cunci

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