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« Chaconne » de Raphaëlle Delaunay

Capoeïra à la rescouse, une pièce qui met les pieds dans le plat, en renvoyant la danse baroque à ses illusions aristocratiques

À Lyon, les Subsistances sont un grand laboratoire de création, pluridisciplinaire, très vivant. De loin en loin, son cadre – de surcroît somptueux et chaleureux à la fois – s'ouvre au public pour lui faire découvrir ce qui s'y trame. Tel était le cas du récent Week-end sur mars.

Du coup, il ne faut pas s'y tromper d'attente. Aux Subsistances, c'est souvent des essais qui sont donnés à voir. On y pratique résolument le principe de la commande, pour un temps de travail assez resserré. À ce jeu, il semble bien que les directeurs Guy Walter et Cathy Bouvard s'ingénient à parier sur des rencontres improbables, autour de thèmes non convenus.

On retrouvait de cela dans la pièce Chaconne de Raphaëlle Delaunay. Ce thème pouvait convenir très bien à une artiste chorégraphique au parcours original, passé par les ors de l'Opéra de Paris  –à y compter parmi les très rares danseuses "de couleur" –  et poursuivi chez Pina Bausch et Alain Platel, pour finir par s'intéresser aux lectures critiques post-coloniales des danses noires (tout cela dit horriblement vite).

Raphaëlle Delaunay ne s'y est pas trompée. Son approche de la chaconne débute à la façon d'une conférence dansée. Elle y rappelle comment, dans le vocable de Belle danse, ce n'est en rien une quelconque beauté qui est évoqué, mais un ensemble de préceptes codifiés dictant le comportement en société permettant à une aristocratie de se distinguer en tant que telle. C'en est à se demander s'il s'agit vraiment de danse, sinon plutôt d'un répertoire de maintien corporel en bonne société.

Sous ce jour, il y a quelque chose qui déconne, dans la chaconne. On se permet cette familiarité, car Raphaëlle Delaunay elle-même se fait une joie – très ommunicative pour le public – de tirer tout cela à la satire et au grotesque. L'idée est passionnante : quand un corps s'astreint à un régime disciplinaire extrême, quand il paraît s'absenter dans l'observance d'une codification qui le dépasse à tous égards, quelque chose point, qu'on peut entrevoir du côté du monstrueux. À son corps défendant.

Soulignez un accent, renforcez une mimique, faites déraper une trajectoire, marquez un arrêt inattendu : la plus belle danse se révèle alors dans sa production d'artefact, qui n'illusionne que celui qui veut bien adhérer à ses codes. Son vernis craque instantanément, révélant l'abyme de défaut d'authenticité qui la vide.

Comme danseuse, Raphaëlle Delaunay a un formidable abattage, un sens de l'adresse au public, un humour et un éclat, qui font ici des ravages au détriment de la chaconne. Il nous a toutefois semblé que, comme chorégraphe – au sens également dramaturgique du terme – Raphaëlle Delaunay aurait pu emprunter des voies plus modulées, progressives et étourdissantes, qui l'auraient préservée d'enfermer tout de suite son sujet dans le goulet de la caricature appuyée, entendue d'emblée. Après quoi, tout risque de s'éteindre.

Mais quelques registres d'étrangeté animent par ailleurs Chaconne. Soit la présence de trois musiciens baroques, sur instruments d'époque, paraissant inatteignables par le déménagement qui se produit sur scène. Les voici à ce point obstinés dans l'exécution irréprochable de leur précieux répertoire, qu'il en gagnent, à la longue et peut-être à leur insu, quelque chose de vaguement monstrueux, par effet de contraste.

Il faut enfin parler d'énigme à propos de Faustine Mourier, danseuse qui accompagne Raphaëlle Delaunay sur scène. On a cru comprendre que cette jeune femme menue et gymnique, parfois aux limites de la contorsion, provient directement de la pratique de la capoeïra. On pourrait ici parler des traductions caraïbes et coloniales des belles danses traversant l'Atlantique au-dessus des cargaisons d'esclaves. Mais le sujet n'est pas vraiment traité.

Contentons-nous alors de rester songeur, au spectacle insensé, des volutes à l'infini, d'un corps roulant dans le volume expansé de sa kinesphère, ignorant presque tout des notions de haut ou de bas, et donnant à l'humeur des rotondités baroques, une forme d'expansion folle, aussi réjouissante que suffocante.

Gérard Mayen

Spectale vu le 28 mars sous la Verrière des Subsistances (Lyon), dans le cadre de Week-end sur mars.

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