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« Ces gens là » d’Aïcha M’Barek & Hafiz Dhaou

Le couple tuniso-lyonnais confirme sa nouvelle identité chorégraphique avec un quintet aussi poussé et vertigineux que la voix de Jacques Brel. A voir du 4 au 6 février au Tarmac dans le cadre du festival Fait d'Hiver

Mois après mois, création après création, en France et au-delà, la tendance se confirme : La fête est de retour dans la danse contemporaine. Une ambiance clubbing sur le plateau, une belle part de sensualité et une aspiration à inclure le public dans un espace partagé, voilà les ingrédients d’une recette à succès qui s’impose, de plus en plus. Où l’on voit Dionysos rejoindre Terpsichore en mode dance-hall. Et ce goût de la vie n’est en rien en train d’uniformiser la danse. Il est au contraire passionnant de voir les variations infinies, proposées par les chorégraphes qui écrivent là, collectivement, un véritable almanach du retour aux sens, revenant à une danse qui inclut le spectateur (sans nécessairement l’inviter sur le plateau).

Ces gens là d’Aïcha M’Barek & Hafiz Dhaou s’affirme pleinement et commence dans un espace obscur, balayé par quelques faisceaux de lumière, comme sur une piste de danse, le DJ opérant en fond de scène. Il s’agit de Haythem Achour alias Ogra, figure marquante de la scène électro tunisienne et DJ renommé. Il avait composé la musique pour Narcose, créé en janvier 2017 [lire notre critique], et le couple M’Barek/Dhaou l’a ici invité à rejoindre les danseurs sur le plateau. Ce qui ne signifie pas qu’Achour dégaine des musiques de danse à tout-va. Il est tout autant un maître des ambiances sonores, des sons continus et des crépitements de l’univers, et il expose ici son affinité avec les débuts de la musique électronique, quand il convoque des lignes mélodiques rendant hommage au groupe Kraftwerk.

Galerie photo © Blandine Soulage

Fête et drame

La filiation avec Narcose est évidente, au-delà de l’empreinte musicale de Haythem Achour. Fête et drame étaient déjà au rendez-vous, et les corps suggéraient un état sous pression atmosphérique maximale, amenant le passage vers un état second.

Ces gens là est empreint de la même radicalité. Que le quintet ralentisse ses mouvements en formant un cercle ou qu’il se lance dans des boucles répétitives jusqu’à ce qu’on ne sache plus si les corps sont réels ou virtuels, le spectateur finit pas se sentir comme aspiré vers l’espace scénique.

Les ambiances lumineuses sont tout aussi intrigantes. Xavier Lazarini plonge l’ambiance club du début dans un fin brouillard virtuel, créant une instabilité déconcertante, où le sol semble se dérober au regard - ou bien marchent-ils sur des nuages ? - pour ensuite faire passer des barres lumineuses sous les pieds des danseurs. Ils ont cinq à pousser une sorte de cri du corps, où les bras se démènent pour se jeter vers d’autres espaces-temps, où on danse à la fois en force et dans la joie, où les mouvements semblent exploser dans des corps très amples, sauvages et pourtant minutieusement contrôlés.

Migrants, teufeurs, supporters... : Ces gens-là

C’est à partir de là que l’on peut s’interroger à propos du titre, référence évidente à la chanson de Brel, qu’on entend en fin de  parcours. Car parcours il y a, si ce n’est périple. Certains tableaux évoquent des danses traditionnelles ou des moments d’ivresse, d’autres des situations dramatiques où les moins épuisés sauvent ceux qui sont en train de s’écrouler. De soif, peut-être. Sont-ils des migrants dans le désert ? Ils semblent chevaucher le radeau de la Méduse avant de retrouver des moments de liesse, tels des supporters après une victoire. Mais les images ne sont définies par aucun accessoire. Seule la danse, le jeu ou la musique lancent des pistes.

Et Brel, dans tout ça ? Tout d’abord, la danse dans Ces gens là est scandée et poussée à l’extrême, comme la voix de Brel, allant toujours au bout de toute haleine, de toute articulation, touchant à un endroit où on n’a plus rien à perdre. Et puis, cette pièce nous interroge quant au regard que nous portons sur tel groupe, telle communauté.

Ensuite, elle est loin, l’histoire d’amour impossible évoquée par Brel, aussi loin que les petits bourgeois visés par ses paroles. Mais les désignations et assignations du style « ces gens-là » se multiplient, contribuant à renforcer les frontières. La pièce d’Aïcha M’Barek et Hafiz Dhaou nous invite à sauver nos corps et nos âmes en faisant la fête ensemble, pour dépasser les humiliations et les drames que les uns infligent aux autres.

Thomas Hahn

Vu le 21 novembre 2018, Festival Instances, Chalon-sur-Saône

1er février 2019 : Le Théâtre / Scène Nationale de Mâcon.

4, 5 et 6 février 2019 : Le Tarmac, Paris, festival  Faits d’Hiver

Conception et chorégraphie : Aïcha M’Barek et Hafiz Dhaou
Danse : Johanna Mandonnet, Stéphanie Pignon, Grégory Alliot, Fabio Dolce, Phanuel Erdmannn
Univers sonore : Haythem Achour (Ogra)/Hafiz Dhaou
Lumières : Xavier Lazarini

 

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