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Brumachon Lamarche : « Le Chili est notre 2e pays »

Ils sont au cœur de l’histoire de la danse contemporaine au Chili et touchent au plus profond de l’âme du pays : Depuis bientôt trente ans, Claude Brumachon et Benjamin Lamarche écrivent de belles pages de la danse chilienne, au cœur des événements politiques et en complicité avec des personnalités emblématiques, à commencer par Víctor Jara, le chanteur populaire engagé, assassiné par l’armée en 1973. Le duo qui a dirigé le CCN de Nantes de 1992 à 2015 nous dévoile ici sa face cachée, qui appartient au pays qui file entre le Pacifique et la Cordillère des Andes. Entretien exclusif avec Claude Brumachon et Benjamin Lamarche.

Danser Canal Historique : Vous semblez cultiver un lien artistique et professionnel privilégié avec un pays d’Amérique du Sud qui a récemment fait parler de lui, par des manifestations énormes, entre autres féministes: le Chili. Que représente-t-il pour vous, personnellement et sur le plan chorégraphique?
Claude Brumachon et Benjamin Lamarche :
C’est une longue histoire, entre le Chili et nous, elle a commencé en 1992 et nous y allons régulièrement depuis, c’est un peu comme notre deuxième pays. A l’époque nous sommes allés à Santiago du Chili sur proposition de l’AFAA. Nous étions jeunes directeurs de CCN. Nos pièces avaient pour titres Fauves ou Folie. Il s’agissait d’animer un stage à Santiago et nous avons eu un coup de foudre pour les gens de ce pays qui sortait de la dictature de Pinochet, officiellement terminée en 1989. C’était et c’est toujours un pays fortement divisé entre la droite et la gauche avec évidement une connotation politique de la danse, à gauche. A la fin du stage Claude a dit aux danseurs : Je reviens l’année prochaine et je vous offre Folie. Folie avait tout juste trois ans. Nous y sommes donc retournés en 1993 pour transmettre Folie à dix-huit danseurs. Après le stage et quatre représentations à Santiago, ils ont décidé de créer une compagnie qu’ils ont appelée Movimiento, et plus tard, la plupart d’entre eux ont à leur tour créé des compagnies.

DCH : Quel regard portiez-vous alors sur le danse chilienne ?
B.L. et C.B. :
Avec ce pays, le Chili, il y a comme une logique entre les interprètes et notre œuvre chorégraphique. Ils n’ont pas forcément la technique exacte, mais il y a quelque chose qui résonne dans le cœur et rend assez préhensible notre écriture. Ils ont compris le mouvement de fond et ce qui circule à l’intérieur est souvent juste, même s’il nous fallait travailler des heures sur la technique et sur la matière dansée. Il y a des endroits sur terre où ta création fait sens, où tu ressens une vibration, une énergie, un élan. Où quelque chose dans ta danse est connecté avec cet endroit de la Terre. C’est aussi pour cela que nous retournons régulièrement au Chili parce qu’il y a un feed-back avec la France qui nous trouble. La matière « brute » que nous recherchons sans cesse, ce non raffinement, ce geste inachevé et instinctif, tout cela trouve un écho dans leur corps. Voilà un endroit de la Terre où nous parlons la même langue. Nous avons ressenti cette même vibration d’énergie chez les danseurs russes et chez les danseurs malgaches. La danse est sans barrière.

DCH : Vous avez donc impulsé un véritable élan chorégraphique au pied des Andes ?
B.L. et C.B. : Nous avons beaucoup travaillé avec les danseurs du Chili et vous n’en trouverez pas beaucoup qui n’aient pas travaillé avec nous ou entendu parler de nous. Après Folie il leur a fallu quatre ans pour monter un nouveau projet intitulé Los Ruegos mais ils l’ont fait ! Teresa Alcaino, Isabel Croxatto, Natacha Torres, Pape Osando et Andres Maulen ont été particulièrement moteur sur ce coup-là. A chaque séjour au Chili qui dure entre dix jours et deux mois nous donnons des ateliers, des classes, reprenons les répétitions des anciennes pièces et tentons de partager le plus possible ce qui nous tient à cœur, la danse.

Et puis ces deux dernières années nous avons créé deux grandes pièces là-bas. Elles ne tournent pas en France parce que c’est trop compliqué, économiquement. Au Chili, une production fonctionne beaucoup en « système D ». Mais le potentiel culturel est énorme. L’attirance de la France est en cela assez forte et les artistes font beaucoup de voyages. Certains s’installant en France. D’autres, français, s’installant au Chili.

DCH : Vous n’avez pas seulement transmis votre répertoire, mais aussi créé des pièces à Santiago. Ça s’est passé comment ?
B.L. et C.B. : En 1997, la compagnie Movimiento a réussi à trouver quelques soutiens à Santiago (la municipalité de la Florida, le Centro culturel chileno-frances) pour nous faire revenir et nous a demandé une création. De notre côté nous avons reçu le soutien de l’AFAA. Claude a alors créé pour eux une pièce intitulée Los Ruegos, les prières. Elle traite des déchirures causées par la dictature au sein des familles. Nous avons travaillé un mois, le matin la classe était ouverte à une trentaine de danseurs-danseuses et l'après-midi nous créions dans un studio au dixième étage d’un immeuble du centre-ville. Par la suite Claude leur a cédé les droits et ils ont pu tourner avec cette œuvre qu’ils dansent encore, avec à chaque fois une distribution renouvelée qu’il faut accompagner dans cet univers. La compagnie l’a transmise aux formations universitaires du pays entier et l’a aussi donnée en Argentine, au Venezuela, au Costa Rica… En 2019 Los Ruegos a été déclarée Patrimoine culturel national chilien! Et récemment, la première génération d’interprètes dont plusieurs avaient arrêté de danser, a repris Los Ruegos au Centro Cultural Gabriela Mistral (GAM), lieu culturel très important situé au cœur de la ville. C’était très chargé d’émotions. Ils ont réussi à trouver un petit local et le CCN de Nantes dont nous étions directeurs leur a offert le plancher flottant. Nous avons créé donc une autre pièce avec eux en 1999 : Absence Un hommage à Pablo Neruda. Par la suite, de nombreux danseurs et danseuses chilien.e.s sont venu.e.s travailler en France puisque le CCN a eu les moyens de les faire venir. Les allers et retours n’ont jamais cessé même avec la création de notre nouvelle compagnie Sous la peau. Dernièrement, dans Further-l’Ailleurs, il y avait deux interprètes chiliens.

Vidéo Los Ruegos :

DCH : Vous travaillez également avec une autre compagnie indépendante, Espiral.
B.L. et C.B. : Nous avons recommencé à nous rendre régulièrement au Chili à partir de 2005 après une tournée de notre pièce Les Coquelicots sauvages dans le pays. Et en 2010 nous avons rencontré la compagnie de danse Espiral. La compagnie a été créée pendant la dictature en 1989. Il s’agit d’un lieu et d’un groupe important historiquement et fort marqué. Nous travaillons depuis dix ans avec cette compagnie qui s’efforce à répandre la pratique de la danse dans les poblaciones, les quartiers défavorisés de Santiago et du Chili. Au départ nous leur avons transmis des pièces de notre répertoire, Les Indomptés, en 2010, Folie et Embrasés, Furtifs en 2012. Nous avons repris Le Témoin en 2014 dans un ancien abattoir pour chiens qui avait servi de centre de détention et de torture sous Pinochet, La Peirrera arte. L’état de saleté était maximal, c’était cinématographique comme situation il fallait le créer à cet endroit ! Je me souviens que nous avons passé trois jours à le nettoyer et récurer. Il y avait des cellules, des recoins, des escaliers… Une ambiance parfaite donc pour cette pièce sur Kafka, un endroit très sombre, un peu isolé et se prêtant à une déambulation du public assez mystérieuse voire angoissante. On avait prévu l’espace pour quatre-vingts personnes, et les derniers soirs, il a fallu en caser 120, pendant une semaine en 2012. Espiral est par ailleurs aussi un centre de danse avec une école reliée à la UAHC (Universidad Academia de Humanismo Christiano), ça fait du monde. On y croise beaucoup de jeunes qui se lancent. Ca foisonne, ça cherche, ça explore, il y a un appétit énorme pour la danse, pour les danses.

DCH : Espiral semble avoir une histoire particulière. Que signifie cette rencontre pour la compagnie et pour vous ?
B.L. et C.B. : C’est une compagnie à l’identité très chargée, politiquement et socialement. Espiral a été créée en 1985 par Patricio Bunster et Joan Jara, la veuve du poète et chanteur Victor Jara, l’une des icônes des idéaux sous Allende. Comme on le sait, Victor a été torturé et assassiné comme l’une de victimes les plus symboliques de l’armée chilienne en 1973, quelques jours après le coup d’état de Pinochet. Mais on connaît moins Joan Jara, une chorégraphe et danseuse d’origine britannique. En 1960, elle avait épousé Victor Jara, après sa séparation d’avec son premier époux, qui était justement le chorégraphe chilien Patricio Bunster. Dans ma jeunesse, j’étais déjà très chilénophile, j’avais des copains chiliens que j’adorais et je militais contre la venue de Pinochet en France. La rencontre avec la veuve de Víctor Jara était donc pour moi un événement très émotionnel. Et Claude de son côté avait la même élévation politique et sociale envers ce pays. J’ai vécu ça comme un signe du destin.

Le Poète foudroyé, extraits :

DCH : En travaillant avec la compagnie Espiral, vous touchez donc au cœur de la danse contemporaine chilienne ! Mais Patricio Bunster est décédé en 2006 et Joan Jara a aujourd’hui 93 ans. Comment est-ce que la compagnie a continué ?
B.L. et C.B. :
Aujourd’hui Espiral est dirigée par Manuela Bunster, la première fille de Joan Jara, celle dont le père biologique est Patricio Bunster. En même temps, Manuela se considère comme la fille de Victor qui l’a accueillie peu après sa naissance. Comme sa mère, Manuela est devenue danseuse et chorégraphe. Patricio Bunster était par ailleurs le père de la danse contemporaine au Chili. Il a fait ses classes à la Folkwangschule d’Essen et a dansé dans La Table verte. L’héritage artistique était à l’origine très axé sur la technique de Sigurd Leeder, fortement influencée par l’univers de Laban. Ce qui ne nous correspondait pas forcément. Mais il y a eu une entente humaine immédiate entre nous et les danseurs.

C’est pourquoi après la série des transmissions, Manuela Bunster nous a proposé de créer une pièce qui soit un hommage à Víctor Jara. Alors nous avons chorégraphié, Claude et moi, cette pièce dont le titre de travail était Le Poète foudroyé. C’était en 2007. Mais la poésie du titre est intraduisible en espagnol et la pièce s’appelle De la tierra al viento, puisque Víctor Jara était très lié à la terre et son esprit imprègne toujours fortement la culture chilienne. Cette création continue d’être diffusée. Pour la petite histoire, Pina Bausch était venue au Chili pour créer sa dernière pièce, Como el musguito… et c’est dans le studio d’Espiral avec qui nous travaillons maintenant depuis dix ans qu’elle a travaillé elle aussi.
Elle était je crois une grande amie de Joan Jara.

DCH : Vous vous êtres à nouveau rendus au Chili en 2019. Quelles ont été vos activités ?
B.L. et C.B. :
C’était un voyage à quatre volets, essentiellement. En 2019 nous avons de nouveau travaillé avec la compagnie Movimiento. Le groupe, après une représentation de Los Ruegos, nous a demandé une création. Claude leur a proposé trois univers possibles et nous avons donc choisi ensemble celui de Las Arenas del tiempo, les sables du temps. Nous y parlons de la beauté et de la force de la nature au Chili et dans le monde, et du plastique qui l’envahit et pourrit tout. Dans cette pièce, un tsunami de plastique déferle sur la scène qui est divisée en deux parties le tellurique et la pollution. La création s’est faite avec les moyens du bord et nous l’avons jouée au Centre culturel Lo Prado à Santiago et au Teatro Finis Terrae. Mais cette compagnie n’a pas les moyens structurels et économiques de monter une tournée pour diffuser la pièce au-delà.

Vidéo Las Arenas del Tiempo :

Deuxio, nous avons aussi repris De la tierra al viento avec Espiral. Il est extrêmement difficile pour un groupe quel qu’il soit de conserver la qualité et l’énergie spécifique à notre danse, et un certain aspect illustratif peut être un piège cher aux chiliens. Et puis ce corps à corps sensuel et sensitif, ces attrapés, la dextérité des chutes et du déchirement peut facilement s’égarer dans une danse surchargée. Ils le savent et notre présence en plus d’un bonheur partagé est essentielle. Elle l’était d’autant plus que de nouveaux danseurs étaient arrivés et qu’il fallait remonter la pièce pour quatorze danseurs au lieu de douze. Manuela Bunster ne voulait pas le faire sans nous. Nous avons donc travaillé trois semaines et malgré la situation politique tendue, nous sommes partis en tournée avec cette nouvelle version, nous avions le soutien de l’Institut Français-Nouvelle-Aquitaine, ce qui nous a bien aidé.

Vidéo  De la tierra al viento :

Ensuite, j’ai transmis à Cristian Hewitt, l’un des interprètes d’Espiral, mon solo Icare, chorégraphié par Claude en 1996. Il s’était lui-même chargé de trouver des barres parallèles, un lieu de répétition et le théâtre pour la première et je lui ai transmis Icare dans le studio d’Espiral. Une tournée était prévue en France mais a dû être annulée à cause du coronavirus. Enfin, quatrièmement, et dans la continuité de notre séjour précédent, nous avons fait quelques prises de vue dans le stade national qui porte désormais le nom de Victor Jara. Car nous allons retourner au Chili en 2021 pour créer, en collaboration avec Manuela Bunster, Max Juhver qui est cinéaste et Espiral, un événement intitulé Ruptura. Il aura lieu dans ce stade, l’endroit où le régime de Pinochet a enfermé les opposants lors du coup d’état de 1973 et où Víctor Jara a été assassiné. Nous allons y tourner un film et créer un spectacle déambulatoire. Ce stade a failli être détruit par le gouvernement il y a quelques années. Il s’agissait pour le pouvoir d’une tentative d’effacer la mémoire de l’histoire récente et des idées d’Allende qui s’y rapportent. Mais il est aujourd’hui protégé sous statut de monument national. Ce projet est soutenu par l’Institut Français et la DRAC Nouvelle Aquitaine, mais il reste bien sûr soumis à l’évolution de la situation concernant le coronavirus.

DCH : Quelle est la situation des artistes chorégraphiques chiliens ? Dans quelles conditions travaillent-ils ?
B.L. et C.B.
: La danse existe, et pourtant les danseurs ont peu de possibilités de vivre de leur métier et c’est un euphémisme. Le salut n’est que dans l’enseignement, dans les multitudes d’écoles et d’universités.. Pour une création, ils ne peuvent généralement répéter que le soir ou le weekend. Les compagnies de danse chiliennes tentent de s’en sortir avec des moyens très modestes et il y a, logiquement, une émigration forte d’artistes chorégraphiques chiliens vers l’Europe et notamment la France. Les jeunes chorégraphes chiliens ont bien du mal à émerger à cause d’un système qui saupoudre les aides déjà minimes. Mais ils-elles sont nombreux.ses à inventer des projets éphémères qui ont malheureusement encore bien du mal à tourner. Le Chili, c’est la société de consommation par excellence, où l’art chorégraphique n’est pas aidé sur le fond mais sur un catalogue d’émergents qui se renouvellent sans cesse. Heureusement certaines compagnies arrivent à durer mais au prix de jobs parallèles qui se situent souvent hors du champ de la danse. Nous sommes très, très loin des compagnies conventionnées et du suivi qu’il peut y avoir en France. Mais l’émulation est contagieuse et vive. Très réactive, elle occupe tous les terrains possibles.

DCH : Quelles sont les institutions structurantes du paysage chorégraphique chilien ?
B.L. et C.B. :
Il y a des aides, le Fondart notamment, attribuées au coup par coup. Le système du Fondart qui correspondrait à notre « aide au projet » subventionne plusieurs projets par an mais la continuité n’est pas de mise et la complexité des formalités est souvent un obstacle. Il y a aussi des festivals dans les villes principales et plusieurs théâtres programment de la danse. Le centre culturel Gabriela Mistral, le GAM, le BANCH, le théâtre Matucana sont des soutiens importants et de nouvelles structures d’initiative privée commencent à émerger, comme le centre culturel NAVE le teatro Finis Terrae. Oui, il y a des structures mais l’argent n’est pas destiné à la danse. Côté institutions, le Chili compte trois compagnies établies : Premièrement, le BANCH, Ballet Nacional Chileno qui est dirigé depuis 2014 par Mathieu Guilhaumon, un chorégraphe français qui a été interprète au Ballet national du Rhin. Ensuite il y a le Ballet Municipal qui est dirigé par Marcia Haydée depuis 2004 et a une approche très classique. Et troisièmement, une troupe de ballet folklorique.

La municipalité de Santiago (festival Santiago a mil) présente aussi des compagnies étrangères, dernièrement Maguy Marin et Angelin Preljocaj. Mais en définitive les danseurs et les danseuses contemporain.e.s et toute l’émergence contemporaine n’ont aucune aide sociale. Il y a un réseau et une entraide, un système D, de nombreux circuits alternatifs des lieux parallèles étranges et novateurs. Tout cela donne une émulsion superbe mais fragile, sans inscription pérenne. La France en cela est une terre d’accueil. Patricio Bunster avait pérennisé sa compagnie Espiral un temps. Malheureusement après sa mort cet atout majeur à disparu malgré la force de travail de Manuela et du groupe qui reste très soudé et fidèle. Des compagnies comme Movimiento ou Dansa in cruz tentent d’exister sur la durée.

DCH : Vous avez aussi été témoins de l’histoire politique récente du Chili, avec un mouvement social et des manifestations importantes.
B.L. et C.B. :
Le Chili est un pays ultra-libéral. D’aucuns vont dire que c’est grâce à ça qu’il s’en est sorti. Mais c’est pire que Thatcher, notamment avec une répression policière dès la moindre contestation. Il y a peu d’aides et l’assurance sociale est privée. La ville de Santiago est coupée en deux. D’un côté, les riches. De l’autre, les pauvres. Et au milieu, la Plaza Italia la fameuse Plaza de la Dignidad. Nous avons été amenés à aller des deux côtés, mais les habitants de part et d’autre ne se mélangent guère. L’autre côté est soit trop dangereux, soit trop cher et donc inaccessible.  Dans ce contexte, les tarifs du métro ont été augmentés le 18 octobre 2019. Et là il y a eu un soulèvement national avec deux millions de personnes dans les rues, juste avant notre arrivée et jusqu’en décembre. Il y a eu des grèves permanentes. Tous les jours les gens descendaient dans la rue et les nuits agitées étaient souvent éclairées par des barricades en feu. Quand nous avons travaillé avec la compagnie Espiral, il y avait une répression policière très forte par des agents en carapaces énormes, munis de canons à eau extrêmement violents, les guanacos. Et en face, il y a une jeunesse festive, une ambiance chaleureuse et un espoir énorme. Le président est en guerre contre la gauche et n’est pas prêt à faire la moindre concession, d’autant plus qu’en 2020 le coronavirus lui permet finalement d’assigner tout le monde à domicile. Nous avons passé le 1er janvier 2020 sur la place centrale de Santiago, la Plaza Baquedano, surnommée Plaza Italia et rebaptisée par le peuple, depuis ces manifestions, en Plaza de la Dignidad.

Il y avait un monde fou, les gens chantaient avec au-dessus la surveillance par les drones et au sol des flics, les pacos comme ils les appellent, prêts à charger. Le tout entre odeur de grillade et lacrymogènes, chants de fête et cris de manifestation. Il fallait faire attention à ne pas se faire tabasser par la police, et pourtant il y avait le sentiment qu’il serait possible de faire bouger les choses. Les danseurs de Espiral sont très engagés dans ce mouvement.  L’éclairagiste de la compagnie a reçu deux balles dans le mollet qu’il a eu le plus grand mal à se faire extraire, notamment parce que les soins sont très chers au Chil. Pour le gouvernement, ils sont la dernière roue du carrosse et représentent l’opposition. Or avec ces manifestions et le coronavirus qui les a confinés, beaucoup de danseurs ont perdu les trois quarts si ce n’est la totalité de leur salaire, depuis le mois d’octobre 2019 ! Et il n’y a chez eux ni intermittence ni Audiens. La situation est grave.

Propos recueillis par Thomas Hahn

 

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