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« Agua » : Pina, le Brésil et le réel

Ca avait l’air d’une bonne idée : Reprendre Agua, « Une pièce de Pina Bausch » créée en 2001. Re-tourner avec cet album de voyage dansé, inspiré d’un séjour de luxe au Brésil. Retourner au Théâtre de la Ville, juste avant les Jeux Olympiques de Rio.

Les années Lula (2003-2010) furent les meilleures du Brésil. Sous Dilma Rousseff le pays s’est progressivement engouffré dans une crise politique, économique, sociale et morale. Les Jeux seront entachés de tensions, de manifestations et autres déconvenues, sans même parler du virus Zika. Et comme les JO approchent, tout ça ne passe pas inaperçu.

Les images de nature paradisiaque, de tourisme de plaisance, d’ivresse en lounge, et autres fêtes d’une classe aisée dans Agua révèlent aujourd’hui à quel point cette pièce passe à côté de la réalité du pays. Agua est l’œuvre la plus superficielle de Pina Bausch. En 2001 on a pu apercevoir, avec beaucoup de bonne volonté, un semblant d’ironie ? Aujourd‘hui, cela ne tient plus.

 

Cartes postales

Cette déferlante d’images  de carte postale pourrait faire sens si la seconde partie démontait l’insouciance de la première. Mais on ne peut mettre à jour les pièces du répertoire bauschien. Plus que dans ses autres pièces de voyage, la position de l’artiste recoupe ici celle du touriste lambda qui se retrouve dans un autre pays mais ne cherche pas à le rencontrer.

Ceci non pas pour dire qu’un discours critique sur le pays d’accueil ait jamais été le but de l’une des excursions du Tanztheater Wuppertal, à Hongkong, Lisbonne, Rome, Budapest ou  ailleurs. Simplement, le  ronde des vidéos du style catalogue de vacances (certaines issues d’archives de la télévision, d’autres répétées à l’infini) rend ici l’absence de regard critique particulièrement palpable.

Agua - Pina Bausch - Galerie photo © Laurent Philippe

Une autre Agua est possible

S’y ajoute qu’entretemps, Mourad Merzouki a créé sa propre pièce sous le même titre, avec une toute autre raison d’être, car réalisée pour et avec des danseurs des favelas, pièce très  consciente des enjeux sociaux autour de la problématique de l’eau. Dans celle de Pina Bausch, l’eau est une source de plaisirs esthétiques et sensuels, apparemment aussi pure qu’au premier jour. Et quand on voit les filles indiennes nager en toute innocence, on se souvient que Lia Rodrigues a, elle aussi, consacré une pièce mémorable aux enjeux sociétaux du Brésil, abordés à travers les flots.

Mais il est inutile d’insister, même si Agua marqua, en 2001, le sommet du système Pina, réincarnation de l’exotisme des siècles précédents. Le public ne vient pas pour un discours, mais pour voir les danseurs de la compagnie, leur humanité, leurs personnalités, leur contrastes et tous les clins d’œil si réussis et vrais, concernant nos futiles jeux de séduction, ces errances entre nos égos et nos complexes.

Agua - Pina Bausch - Galerie photo © Laurent Philippe

Pèlerinage

ll faut dire que l’association de nouveaux interprètes à ceux de la distribution d’origine s’est faite de façon parfaitement harmonieuse, même si l’ensemble perd un peu en termes de relief. Mais il suffit à Bausch de se citer elle-même, pour que la machine tourne. Et public adhère.  Voir une pièce de Pina relève du pèlerinage, activité qui s’auto-dispense d’esprit critique.

Qu’importe alors l’absence de dramaturgie, au point que certaines transitions sont si farfelues qu’on pourrait croire que l’ordre des tableaux est tiré au sort ? Qui s’en rend compte, sous le charme des vidéos de chutes d’eau, de palmiers, d’essaims d’oiseaux, de flamants roses et de chimpanzés qui nous attendrissent autant que les personnages ?

Agua nous vend du rêve, et on achèterait sans faute un billet d’avion pour Rio. A condition d’arrêter de suivre l’actualité du Brésil, ou bien d’y aller en connaissance de cause, les yeux ouverts sur la réalité. Il sera d’autant plus intéressant de comparer Agua à Auf dem Gebirge hat man ein Geschrei gehört, pièce de la période précédente de la chorégraphe, quand Raimund Hoghe signait la dramaturgie. Cette œuvre qui date de 1984 est à voir au Théâtre du Châtelet, du 20  au 26 mai.

Thomas Hahn

Agua
mise en scène & chorégraphie : Pina Bausch
décor : Peter Pabst
costumes : Marion Cito
collaboration musicale :Matthias Burkert
Andreas Eisenschneider : collaboration
Marion Cito : Irene Martinez-Rios ,Robert Sturm

Interprétation : Regina Advento, Pablo Aran Gimeno, Rainer Behr, Andrey Berezin, Damiano Ottavio Bigi, Michael Carter, Çağdaş Ermis, Silvia Farias Heredia, Jonathan Fredrickson, Ditta Miranda Jasjfi, Nayoung Kim, Cristiana Morganti,  Blanca Noguerol Ramírez, Helena Pikon, Jorge Puerta Armenta, Azusa Seyama, Julie Shanahan, Julie Anne Stanzak, Julian Stierle, Michael Strecker, Fernando Suels Mendoza, Anna Wehsarg, Paul White, Ophelia Young
Musique : musique brésilienne, Baden Powell, Caetano Veloso, David Byrne, Gilberto Gil, Bebel Gilberto, Nana Vasconcelos, Antonio Carlos Jobim, Luiz Bonfa, Bob Brookmeyer, Tom Ze, Grupo Batuque, Carlinhos Brown et Rosanna & ZeIia, Susana Barca, Amon Tobin, Bugge Wesseltoft, Sidsel Endresen, Julien Jacob, Mickey Hart, Tom Waits, Lura, The Tiger Lillies, St Germain, Leftfield, Troublemakers, PJ Harvey, Kenny Burrell and Ike Quebee, Chi-Ling Lui
Création 12 mai 2001, Opéra Wuppertal.
Droits de représentation L’Arche Éditeur, Paris.

Au Théâtre de la Ville, du 7 au 15 mai 2016

http://www.theatredelaville-paris.com/spectacle-tanztheaterwuppertalpinabauschagua-962

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