« A Taste of Poison » de Patrick Bonté et Nicole Mossoux
Cette investigation chorégraphique de Patrick Bonté et Nicole Mossoux
vise les comportements toxiques qui innervent nos sociétés. A voir le vendredi 14 décembre au Théâtre, Scène nationale de Mâcon.
A Taste of Poison termine sur la conclusion : « Jamais le goût du poison n’a été meilleur. » Une pièce sur les sodas et le fast food ? Non ! L’alimentation ne rentre pas dans le champ des huit expériences conduites par cinq scientifiques pour mieux savoir où nous ont mené nos addictions et obsessions contemporaines. Mais les comportements de ces chercheurs sont tout aussi suspects. Leur laboratoire ressemble à une clinique. Mieux : A un asile de fous. Et après une heure de spectacle, c’est l’heure du bilan : Les fous ont élu un fou. Alerte !
La compagnie Mossoux-Bonté est un établissement bicéphale, à l’image de la Belgique. D’un côté, l’univers de Nicole Mossoux qui rend visibles les strates de l’inconscient, où l’on aime la nuit, les marionnettes et le théâtre d’objets. De l’autre, Patrick Bonté qui pratique un théâtre de danse et du grotesque, en prise avec l’évolution des comportements-types vis-à-vis de l’autre, qu’il soit collègue, ami ou parent. Les deux approches se complètent et se nourrissent mutuellement, elle et lui intervenant toujours sur les créations menées par l’autre.
Tester le goût du poison
Bon exemple que cette interrogation sur le goût du poison, où les schémas soumis à vérification sont autant physiques que mentaux. Huit « tests » sont à mener : S’interroger sur cette bouche qui semble ne plus exister que pour proférer des insultes et des insanités. Vérifier notre capacité à souffrir parce qu’on nous fait miroiter un soi-disant bien-être corporel. Mesurer la part destructrice de nos désirs érotiques décomplexés. Faire le point sur nos obsessions exhibitionnistes en ligne et notre addiction à la pornographie. Etc...
Chacun de leurs « tests » surréels se traduit par des gestes disloqués et distordus, où le corps articule ce que le mental collectif produit en matière de spasmes publics. Des adresses au public ponctuent la séance. Par exemple: « Si vous étiez un PDG ou un chef d’état, auriez-vous le même comportement ? » Rien à craindre, le public n’est pas obligé de répondre et aucun spectateur n’est sollicité pour servir de cobaye. On n’est pas chez Robyn Orlin... Une rangée de micros le protège des scientifiques aux allures de Buster Keaton et de leurs envies manipulatoires.
Fake et investigation
A Taste of Poison se situe dans la lignée d’Histoire de l’imposture, (Lire notre critique) pièce plutôt virulente, vécue et dansée à chaud avec ses envolées des steeldrums, orchestrées par Thomas Turin, dont on retrouve ici quelques échos. Mais l’heure est à la prise de recul. On passe de la démonstration à l’investigation, sachant que dans la vie intime et publique, nombre de poisons font leur chemin et engendrent l’hystérie collective. La recherche, même chorégraphique, doit alors peser dans la balance pour faire entendre la voix de la rationalité.
Malgré les blouses blanches, leurs « tests » n’ont rien de scientifique. Ils ne créent d’autres résultats que des « faits alternatifs », terme qui a ici tout son sens. Dans cet univers faussement scientifique, parallèle et oblique à la fois, tout est fake. Mais le grotesque jouit ici de notre pleine approbation, puisqu’il est un langage qui révèle la vérité. La question serait plutôt : Pourquoi donc ici, toutes ces allusions à la Maison Blanche ?
Galerie photo © Thibault Grégoire
DéTrumpez-vous !
Réponse : Si la compagnie Mossoux-Bonté est bicéphale, A Taste of Poison l’est également. Après une fausse fin (qui n’en était plus vraiment une à la première), commence une seconde partie, en mode cabaret satirique, chantée et assez explicite, concernant l’élection de Donald Trump. Après le prétendu sérieux des tests en laboratoire comportemental, on passe à une prétendue drôlerie musicale, au fond assez didactique.
Avec un discours de Donald Trump - fictionnel mais ô combien réaliste - adressé aux « cowboys », avec son ballet de bannières étoilées et des cheerleaders mécanisées, cette partie aurait des chances de se faire acclamer aux Etats-Unis, où le besoin de soupapes émotionnelles est important. En Europe, son message est bien trop consensuel. Le poison Trump se dénonce par lui-même, jour après jour, avec plus de virulence qu’aucun cabaret satirique ne saurait produire. Qui, des quelques Européens encore favorables à Trump, achèterait une place pour un spectacle de Mossoux-Bonté ?
Parodies
Ceci n’est pas pour dire que la seconde partie n’a aucun potentiel. On pourrait imaginer le passage à une version française, pour soulager un pays potentiellement traumatisé après les élections de 2017. Mais au fond, la question est de savoir si un spectacle de Mossoux-Bonté, si pertinent dans sa capacité à révéler nos faces cachées et universelles, doit vraiment s’aventurer à commenter l’actualité la plus obsédante.
On comprend et aime la partie « causes ». On comprend trop facilement la partie « effet ». Et pourtant, le lien entre les deux ne se noue que dans le discours, pas sur scène. A minima, un show satirique au sujet du danger Trump demande plus de délire, pour générer une énergie libératoire. Mais le côté méthodique de la première partie innerve encore la seconde et tient le cabaret par les rênes. Jamais Trump lui-même n’accepterait un tel contrôle.
Thomas Hahn
Spectacle créé et vu le 2 février 2017 au Phare, CCN Le Havre Normandie, Festival Pharenheit
Vendredi 14 décembre 2018 à 20h30 - Le Théâtre, Scène nationale de Mâcon
A Taste of Poison
Conception et textes Patrick Bonté
Mise en scène et chorégraphie Patrick Bonté en collaboration avec Nicole Mossoux
Interprétation Sébastien Jacobs, Leslie Mannès, Frauke Mariën, Maxence Rey, Harold Henning
Musique originale Thomas Turine
Scénographie Didier Payen
Costumes Colette Huchard
Assistante costumes Camille Flahaux
Coiffures et perruques Rebecca Flores-Martinez
Lumière Patrick Bonté
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