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« Static Shot » de Maud Le Pladec au Louvre

La danse des clubs et du cinéma : plus baroques qu’on ne le pensait ? En attendant, la Cour Lefuel en était tout enluminée… La pièce de Maud Le Pladec pour le Ballet de Lorraine fait grand effet au Louvre !

Il est un art qui consiste à créer des pièces chorégraphiques et un autre, plus occasionnel, qui réinterroge une pièce en la plaçant dans un nouveau contexte. Et soudain l’œuvre se met à parler d’elle-même sur un mode différent, pour raconter une autre histoire. Voilà ce qui arriva, au Louvre, à Static Shot, pièce de danse haute en couleurs et aussi énergétique que chorale, créée par Maud Le Pladec pour le Ballet de Lorraine en octobre 2022.

C’est au Louvre même que le festival Paris l’été lui a ouvert les portes de la Cour Lefuel, avec son grand escalier en fer à cheval, et on a vu cette parade créée pour le Ballet de Lorraine et emplie de références contemporaines entrer en dialogue avec les siècles passés. C’était l’un des attraits de la soirée : Pouvoir prendre place face à un escalier très « show » d’avant la lettre, dans cette cour habituellement fermée au public, et voir se tisser des liens entre l’architecture impériale, l’univers de la revue et l’art contemporain.

La mise en condition du public fut toute aussi habile, en l‘invitant à se balader dans l’Aile Denon du Louvre, jusqu’à laisser s’envoler les rêves face à la Victoire de Samothrace. Et si on arriva pour la seconde séance de Static Shot, on apercevait déjà, par les fenêtres, les danseurs sur scène dans la cour, en train de lancer leur défi esthétique et rythmique à l’architecture d’Hector-Martin Lefuel (1810-1880).  

Opulences textiles

Static Shot, pièce pour grand ensemble, voire pour un corps de ballet très contemporain, que la chorégraphe dit avoir pensée « comme un ‘bloc’ de corps, d’images et de sons », s’y dévoila soudainement dans un dialogue plus intense qu’on ne l’avait attendu avec la tradition royale, baroque ou impériale. Les costumes de Christelle Kocher y sont pour beaucoup, dans leur opulence et leur diversité. Paillettes, masques, broderies, tenues sportives… Ces vingt-quatre ensembles rappellent autant une cour baroque que le Lido ou un club techno.

 

Fondatrice du label de mode Koché après avoir designé dans le giron de Chanel, Rykiel et Armani, la Strasbourgeoise pratique une fusion des matériaux et des univers, travaillant dans le croisement de plumes et de plastique, de broderies et vêtements de sports, de haute couture et culture de la rue. Dans Static Shot, elle n’a pas été avare en strass ou paillettes ni en fantaisies, entre mystère (oriental), joie de vivre, transparence des justaucorps et orgies de couleur.

Et bien sûr que l’ouverture fut adaptée des deux côtés du grand escalier, comme pour un vrai défilé de mode, qui se transforme en un jeu de construction avec force géométrie des chorus lines et autres unissons chers aux bâtisseurs de chorégraphies hollywoodiennes pour le grand écran. Dans le titre de Static Shot, le plan fixe au cinéma, on sent une ironie certaine, tant le mouvement est rapide et dynamique, tout en jouant l’extension du temps dans un plan long. Au cinéma, les trente minutes seraient comme interminables. Dansées, elles passent à toute allure.

Des débuts en formats intimistes

Et puis, si on décèle dans la danse de Static Shot une certaine désinvolture sensuelle, telle que pratiquée avec insistance par (La)Horde, on n’imagine pas moins que les maîtres de lieux des époques monarchiques auraient pu se montrer ravis de cette danse très dynamique et en même temps méticuleuse, comme pour un corps de ballet classique. Car ce qui était créé en dialogue avec le voguing ou l’ambiance des clubs techno se lit, face à l’architecture royale, comme une exégèse de la tradition française.

On avait découvert Maud Le Pladec avec ses formats intimistes à partir de Professor, la suivant jusque dans sa carrière internationale et son arrivée, en 2017, comme successeuse de Josef Nadj à la direction du CCN Orléans. En travaillant avec l’ensemble nancéen, elle élargit encore une fois la palette de ses possibles avec une chorégraphie qui semblait tomber à pic dans l’actuel engouement pour les chorégraphies en mode clubbing, ajoutant le corps de ballet comme vecteur de contemporanéité. Le passage de Static Shot au Louvre a finalement révélé des strates temporelles multiples de cette pièce, comme en découvrant sous un tableau de maître un autre, recouvert dans un élan artistique ultérieur.

Thomas Hahn

Vu le 11 juillet 2023, Festival Paris l’été, Cour Lefuel (Musée du Louvre)

 

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