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Spectres d’Europe 2024

Au théâtre de La Sinne de Mulhouse le nouveau programme Spectres d’Europe proposé par le Ballet de l’Opéra national du Rhin, composé de trois pièces signées Pierre-Émile Lemieux-Venne, Lucas Valente et Alba Castillo et à découvrir absolument !

À tous seigneurs tout honneur ! Évoquons donc en premier lieu les deux chorégraphes ayant émergé hors hexagone : Lucas Valente, l’auteur de Rex, une œuvre inspirée d’Œdipe roi de Sophocle et Alba Castillo, qui a mis en scène et en scénographie la notion de temps avec Poussière de terre. Last but not least, nous dirons un mot de l’opus du chorégraphe de l’étape, Pierre-Émile Lemieux-Venne et de son enchanteur musical Sous les jupes. Depuis la première édition de cette manifestation en 2018, les objectifs poursuivis par Bruno Bouché, directeur artistique du Ballet de l’OnR sont clairs : inscrire un certain nombre de créations dans le « désir de transformation d’un Ballet [avec un grand « B »] en prise avec son temps ». Ce qui revient à postuler que « le vocabulaire de la danse académique est, en quelque sorte, notre langue maternelle ». Ou, autrement dit, la lingua franca de toutes les danses…

Galerie photo : Rex Agathe Poupeney

Ce qui n’empêche ni Lucas Valente de chercher, à sa manière – si l’on peut dire, à tâtons – une inédite formule de danse-théâtre en revenant aux sources de la tragédie antique (Sophocle) et de la modern dance (le cycle mythologique de Martha Graham), ni Alba Castillo d’occuper l’espace-temps qui lui a été imparti en composant avec la troupe et avec un dispositif simple comme bonjour quoique longuement prémédité (un sablier géant égrenant le temps servant aussi d’ornement). Pour cette dernière, la chorégraphie est « un moyen artistique et de narration ». Du récit et même du récitatif, Lucas Valente fait aussi usage, faisant intervenir le chœur dans la B.O. et dans la dramaturgie de sa pièce. Par ailleurs, tous deux opposent l’individu au groupe, sur les plans diégétique et chorégraphique. Ainsi, nous avons particulièrement été sensible à trois variations de Poussière de terre brisant net le long « écoulement » et valorisant trois solistes de la troupe : Brett Fukuda, Yeonjae Jeong et Pierre-Émile Lemieux-Venne himself.

Galerie photo : Poussière de terre Agathe Poupeney

Celui-ci introduit, à moindre mesure, l’ingrédient narratif et/ou fictionnel dans sa pièce, expliquant qu’il « aime représenter les états d’esprit et raconter des histoires (…), rêver en créant des scénarios plus grands que nature. » Tandis que Valente et Castillo optent pour une ambiance claire-obscure qui rend énigmatique, étrange, mystérieux l’univers où se situe leur déroulé, Lemieux-Venne préfère éclairer de façon éclatante ses danseurs. Sa pièce, sa danse, sa manière sont colorées, nuancées, pastellisées là où ses collègues cherchent « une communication avec le public à un niveau plus profond et plus viscéral », selon les mots de Lucas Valente. Les uns sont dans la métaphore, l’allégorie, la parabole – le titre de la pièce d’Alba Castillo résonne comme les sentencieux versets de la Genèse : « Tu es poussière et tu retourneras à la poussière ». Poussière qu’elle a évoquée et matérialisée en substituant au sable, grain, ivraie ou gravier des particules de liège. En considérant le plateau non comme un amphithéâtre mais, littéralement, comme une arène. Le final de Poussière de terre coïncide avec le vidage du grand entonnoir en jute fixé aux cintres tel un bulbe de clepsydre et avec le tableau non figuratif laissé par les traces des danseurs sur la poudre beige – et belge – qui fait songer au dripping résultant du solo de De Keersmaeker, Violin Phase (1981).

Galerie photo : Sous les jupes Agathe Poupeney

 

Aucun heurt, que du bonheur dans la pièce Sous les jupes. Une délectation teintée de nostalgie – renforcée par la mélancolie. Ni la déco réduite à quelques serviettes accrochées au mur du fond et à des fanions, ni l’ameublement ne permettent de dire si l’agitation se produit en appartement, à l’occasion de ce qu’on appelait jadis une surboum ou dans un dancefloor, autrement dit une salle de bal. La réunion et l’union de jeunes fait un peu penser au thème du film American Graffiti (1973), premier grand succès de George Lucas et de son producteur Francis Ford Coppola, avec un script minimaliste et une playlist alignant des tubes déjà rétro pour l’époque – des hits des Platters, de Fats Domino, Chuck Berry, Del Shannon, etc. Pour sa part, P.E.L.V. fait se succéder les evergreens de son affection : « On ne change pas » par Céline Dion, « Am Tag als Conny Kramer starb » par Juliane Werding, « Diguedin » par Les Charbonniers de l’enfer, « Le Temps de l’amour » de et par Françoise Hardy, « C’est comme ça que je t’aime » par Mike Brant, « Con te partirò » par Andrea Bocelli, « Plug in Baby » par Muse Sunshine, « Lollipops and rainbows » par Lesley Gore et « Always on My Mind » par les Pet Shop Boys. La danse est fluide, exécutée à la perfection par une troupe qui prend l’entertainment très au sérieux. Danseurs et spectateurs nous ont paru tout aussi ravis.

Nicolas Villodre

Vu le 18 juin 2024 au théâtre de La Sinne, à Mulhouse.

A voir du 30 juin au 4 juillet à l'Opéra de Strasbourg

 

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