Plateforme « Studiotrade » au Festival de Danse de Cannes
Studiotrade est une initiative indépendante et européenne qui montre les possibilités de la coopération européenne non-institutionnelle. Créé en 2010 pendant la Tanzmesse de Düsseldorf, sur initiative de Silke Z. (compagnie Resistdance), Studiotrade regroupe aujourd’hui vingt structures, la plupart des compagnies, implantées dans neuf pays européens.
Le nom reflète l’idée de départ, issue d’une double prise de conscience. D’une part, beaucoup de compagnies disposent de lieux de création qui ne sont pas occupés à temps plein. D’autre part, les mêmes compagnies rencontrent parfois plus d’intérêt pour leur travail à l’étranger que dans leur propre pays. Alors, pourquoi pas créer un réseau permettant de mutualiser les ressources de production et de diffusion ? Aux dix membres fondateurs se sont associé dix autres, dont Dans Brabant, structure régionale de production et de diffusion néerlandaise, comparable à l’Arcadi francilienne.
Legitimate Bodies : The point at which it last made sense
Membre fondateur français, la Compagnie Humaine d’Eric Oberdorff, a été chargée de choisir trois compagnies internationales pour la plateforme accueillie par le Festival de Danse de Cannes 2015. Les Irlandais de Legitimate Bodies proposent une danse « inclusive » ou « mixed ability ». Leur nouvelle version de The point at which it last made sense confronte les fragilités de deux corps que tout oppose. Ici, l’élégance, la souplesse et la fébrilité de la danseuse Marlieke Bourghouts. Là, Michael Turinsky, polyhandicapé en fauteuil roulant. Mais contrairement à la version précédente avec un danseur amputé des deux jambes, Turinsky n’est pas intégré à la partie chorégraphique du spectacle. Il prend en charge une parte du discours sur des questions de société, d’images de corps dans les stéréotypes publicitaires, discours d’autant plus difficile à suivre que le handicap de Turinsky concerne aussi sa capacité d’articulation Certes, nous ne sommes de toute façon pas anglophones, mais le sens de cette version du spectacle repose sur la critique sociétale. Les vidéos ajoutant une dimension supplémentaire, cette pièce brève se perd dans une complexité inutile.
Arno Schuitemaker : The Fifteeen Project / Duo
La révélation de cette plateforme a été le Néerlandais Arno Schuitemaker avec le duo de la série The Fifteen Project. Une séquence de gestes en unisson est répétée en boucle, en s’accélérant et se déréglant progressivement. Son dépouillement extrême et le dédoublement aide à attirer l’attention sur le moindre détail ainsi que sur les différences entre les deux hommes (Iker Arrue Mauleon et Manel Salas Palau) qui se tiennent face public. Aussi la simple présence d’un doigt dans l’espace atteint une force de persuasion visuelle absolument éclatante. Mais ce duo se décline en deux parties. Le face public laisse la place à un face à face, un corps à corps, parfois un dos à dos, où l’appui mutuel des deux évite la chute de chacun. Cette étude, partie d’une recherche sur les neurones miroirs, brille par sa limpidité et sa clarté formelle, qui sont, de toutes choses en danse, les plus difficiles à investir d’esprit et de profondeur.
Sanna Kekäläinen : Queer Elegies
À méditer par Legitimate Bodies, mais aussi par Sanna Kekäläinen. La Finlandaise aborde la condition féminine par un solo à fleur de peau. Sa nudité opère un retour à l’état d’avant l’entrée forcée dans les rôles féminins et masculins. Queer Elegies peut en effet entrer dans le cadre des Gender Studies, si décriés en France et si puissants en Europe du Nord. Si ce solo est donc politiquement correct du point de vue finlandais, il est tout aussi esthétiquement incorrect, en gommant volontairement les différences entre les sexes, les âges ainsi qu’entre l’état sauvage et la civilisation. Ce solo est grinçant et fait grincer les dents chez une partie du public. Mais l’exercice est avant tout didactique et son discours, soit déjà assimilé soit irrecevable sous cette couture très didactique.
Eric Oberdorff : Tsunemasa
Pour sa création 2015, Eric Oberdorff (Compagnie Humaine) a fait appel à une soliste de choix. La Japonaise Mariko Aoyama s’est distinguée dans les grands rôles chez Pina Bausch, Mats Ek et Josef Nadj. Dans Tsunemasa, elle navigue entre nô et butô, on ne sait pas trop vers où elle nous emmène, dans son errance fantomatique à travers la vie d’une femme, mais elle nous embarque avec force.
Photos : Eric Oberdorff
Aoyama construit des images de corps et d’objets, traverse moult crises, entre en transe ou nous fixe de ses yeux insistants, mais garde toujours au fond d’elle l’ombre de la petite fille qu’elle fut. Son retour sur scène est une belle nouvelle.
Thomas Hahn
28 novembre 2015 - Festival de Danse de Cannes - Auditorium des Arlucs, Cannes-la-Bocca
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