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Les Adieux poignants de Myriam Ould-Braham

À l'Opéra de Paris, la danseuse étoile a choisi, à 42 ans, de faire ses Adieux dans Giselle, qu’elle incarne et irradie de sa présence immarcescible. Une représentation parfaite.

« Ecrire l’impossible » tel était le défi posé par Giselle à l’écrivain et librettiste Théophile Gautier. Telle est la réussite de Myriam Ould-Braham lors de ses Adieux le 18 mai 2024. Et c’est avec une émotion infinie que nous avons vu le rideau rouge se fermer une dernière fois sur celle qui restera une Giselle poignante dans sa simplicité. Qu’elle soit la petite paysanne un peu naïLes scènes de séduction entre cette Giselle et cet Albrecht ont le charme des amours naissantes, on se frôle, on s’enchante, les regards s’enlacent. Elles se concentrent en raffinement des ports de bras, souplesse silencieuse des sauts, équilibres, ralentis. Loin de toute naïveté et encore moins mièvrerie, les deux protagonistes sont à égalité dans ce jeu de l’amour et du hasard. ve qui veut croire à l’amour, ou la Wili gracile et vibratile, bouleversante et évanescente, elle est d’une sincérité à nous donner des frissons. Pas un geste ne semble joué, ni un pas faussé par un manque d’intention. Elle est juste Giselle.

Pour cette dernière apparition, cette étoile sensible, qui a littéralement habité tous les rôles qu’elle a incarnés avec une subtilité et une intelligence rare, ne laissant jamais apparaître la moindre affectation, le moindre mouvement vide de sens, a été à son zénith.Et cela nécessite un travail physique et de réflexion de tous les instants, et dans cette ultime représentation, il était manifeste. Répété avec ses partenaires que sont Paul Marque (Loys / Abrecht) et Arthus Raveau (Hilarion) sous le regard de l’étoile Claude de Vulpian, sa Giselle est un miracle d’interprétation qui rend au personnage, si ancré dans le ballet romantique, toute son actualité.

Les scènes de séduction entre cette Giselle et cet Albrecht ont le charme des amours naissantes, on se frôle, on s’enchante, les regards s’enlacent. Elles se concentrent en raffinement des ports de bras, souplesse silencieuse des sauts, équilibres, ralentis. Loin de toute naïveté et encore moins mièvrerie, les deux protagonistes sont à égalité dans ce jeu de l’amour et du hasard.

Galerie photo : Laurent Philippe

Giselle n’est peut-être pas si innocente qu’il y paraît. Myriam Ould-Braham confère même un caractère rebelle à son rôle, notamment dans son rapport à Berthe, sa mère, mais aussi, et très délicatement, dans sa relation aux ensembles. Nous pourrions presque dire qu’elle a retenu la leçon de Mats Ek en campant une Giselle imperceptiblement « différente » des autres, plus indépendante, plus solitaire aussi.

Paul Marque interprète un Loys qui se prend sans doute au jeu, pas de cynisme décelable dans ce jeune homme qui a sans doute cru, le temps de cette rencontre, aux impératifs de classe auxquels il reste soumis. Car, grâce aux nuances d’interprétation tout aussi fines d’Arthus Raveau, la dimension sociale est clairement exprimée, notamment par la progressivité de la découverte de l’identité de son rival. Lui aussi est clairement amoureux de Giselle, et plutôt que danser la brute, il cherche à comprendre ce qui est en train de se tramer sous ses yeux… à son grand désespoir. Un trio parfaitement équilibré donc. On y ajoutera la Bathilde de Claire Gandolfi qui a su glisser une note compatissante pour Giselle et intransigeante pour Loys/Albrecht dans son interprétation.

Galerie photo : Laurent Philippe

La scène de la folie, est bien sûr, le point d’orgue de ce premier acte. Myriam Ould-Braham, là encore, étant à la fois sobre et, de ce fait, plutôt de notre temps. Plutôt que les folies passionnelles où l’on se tire les cheveux dans tous les sens, et où la violence du coup fait trembler les corps, elle opte pour la sidération absolue. Soudain, elle n’est tout simplement plus elle-même : ses gestes s’emmêlent, ses lignes, si pures, se brisent, elle est comme anéantie avant même de mourir, tout en amorçant, dans son dernier élan envers Loys/Albrecht, une inflexion de pardon qui sera le sujet de tout le deuxième acte.

Galerie photo : Laurent Philippe

Et cet « acte blanc » est magnifique, littéralement suspendu dans un autre monde à la fois fantastique et romantique. Les Wilis aux déplacements nébuleux, aux lueurs spectrales, fantômes des forêts romantiques entourent ce nouveau spectre fraîchement arrivé. Valentine Colasante en Reine des Wilis est parfaite, à la fois énergique et impitoyable, légère et fantômatique.

Myriam Ould-Braham est extraordinaire dans ses amortis, ses alentis, ses déroulés de pied, ses sauts ailés, son extrême délicatesse. L’acte est étonnamment silencieux, comme si tous les artistes présents sur scène faisaient le moins de bruit possible pour laisser partir Giselle et Myriam Ould-Braham sur la pointe des pieds. Flottante, le pas de deux avec Albrecht est comme en apesanteur, dans une union éthérée et parfaite, l’étoile est une merveille de lévitation, avec ses bras éployés, ses arabesques qui s’étirent sans fin, ses tours vaporeux. Le corps de ballet respire à l’unisson et c’est un moment de grâce dans ce deuxième acte époustouflant au double sens du terme.

Galerie photo : Laurent Philippe

Paul Marque ne se ménage ni dans ses sauts, ni dans ses portés qui font planer sa partenaire, comme arrachée à un vide sidéral, à la mort – pour un temps du moins. Toute cette partie semble d’ailleurs conduire non seulement à la mort de Giselle avec son écho perpétuel qui fait irrémédiablement tinter « trop tard » à nos oreilles, mais aussi à l’ultime salut de Myriam Ould-Braham et nous chuchote « trop tôt ».

Quand elle descend, laissant dépasser sa main pour un dernier adieu, Giselle et Ould-Braham nous submergent d’émotion.

Photos : Julien Benhamou / OnP

L’ovation qui l’a accueillie à l’issue de la représentation témoignait de ce sentiment de regret de la voir s’éloigner de la scène du Palais Garnier. Sous la pluie de paillettes et de roses blanches, ses amis, ses proches et même ses deux enfants, Brigitte Lefèvre qui l’a nommée étoile et José Martinez, l’actuel Directeur de la danse, Claude de Vulpian, Elisabeth Maurin, et beaucoup d’autres sont venus entourer cette étoile qui continuera à briller, au firmament de sa carrière.

Agnès Izrine

Le 18 mai 2024,Opéra de Paris, Palais Garnier. Représentations de Giselle jusqu'au 1er juin.

 

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