Le second programme de saison du Ballet de Lorraine
Le second programme de saison du Ballet de Lorraine s'ouvrira avec une création de Petter Jacobsson et Thomas Caley, suivi d' une pièce de Marco da Silva Ferreira.
Depuis que Petter Jacobsson dirige le CCN Ballet de Lorraine, il propose chaque année une thématique aux connotations souvent complexes, mais derrière laquelle viennent s'ordonner les diverses créations programmées ; et parmi celles-ci, avec son complice Thomas Caley, il glisse une proposition de son cru chaque saison. Répondant ainsi à celles qui la précèdent dans un dialogue assez sophistiqué et que l'histoire chorégraphique vient ponctuer, comme une référence ou une source de réflexion. On se souvient du Ready (Made) de la saison 2021-2022 qui se concluait par le programme Pas assez suédois– titre assez délicieux quand on se souvient, au-delà de l'épopée de Rolf de Maré dans les années 1920, de la carrière du directeur qui, élève du Royal Swedish Ballet, avait fini par revenir en Suède diriger la susdite compagnie, au terme d'un parcours fécond et new-yorkais. Manière de témoigner autant de cohérence que de sens du second degré. La saison précédente (2022-2023, portait TLM (Tout Le Monde, pour titre autant que sigle), interrogeait le collectif en se concluant par un ironique (ou rageur) programme Y'en aura pour tout le monde !
Processus un peu comparable pour cette saison 2023/2024, baptisée Instantly Forever (quasi oxymore que l'on pourrait traduire par « Instantanément pour toujours »), à cette nuance près que c'est le second programme de la saison qui s’ouvre par la création signée Petter Jacobsson et Thomas Caley et que celle-ci porte simplement le nom générique de toute la saison, laquelle est, mais cela est sans doute fortuit (ou pas), la dernière sous la direction de la présente équipe… On s'amusera donc à lire que ce programme (donc cette création) questionne « comment rester dans le présent, tout en étant tourné vers l’avenir ». Au regard des démonstrations dans l'art du sous-entendu ironique des années passées, cette marque d'understatement se passe de commentaire…
Pour le reste, on peut retenir le choix musical de la création. Cela doit ouvrir avec le premier mouvement de la Symphonie en trois mouvements d’Igor Stravinsky (1946), partition singulière du compositeur, qui reprend des thèmes destinés initialement à des accompagnements de films et cherche, à ce moment de son parcours – il vient d'émigrer aux Etats-Unis – à réorchestrer son Sacre, soit faire de l'avenir avec du présent… Suivra Pulses, le premier mouvement de Music for 18 Musicians de Steve Reich, soit les cinq premières minutes de l'œuvre qui exposent tout ce qui sera développé au cours des treize sections suivantes jusqu'au retour du Pulse… En somme, tout un immédiat de mutations qui se tourne vers l'avenir pour revenir à une manière d'éternité. Une commande au danseur et compositeur de musique électronique Damon Frost va venir conclure le propos, mais on voit à peu près l'idée ! Pour la bonne bouche, rappelons qu'Anne Teresa De Keersmaeker pour Rain (2001) et Sylvain Groud pour music for 18 musicians (2013) se sont frottés à la pièce de Reich et que cela marche plutôt bien. Petter Jacobsson et Thomas Caley soulignent dans leur note d'intention « l'atmosphère de changement constant et imprévisible », ce qui répond assez clairement au choix musical et annoncent qu'« une scène, une situation sont créées à partir d’images fragmentées, comme une sorte de réflexion sur une époque révolue et des temporalités qui interagissent » ce que l'on pourrait entendre comme un écho à leurs propres situations… A voir donc !
Pour le second titre du programme, le rapport à la musique est moins direct puisque la Folia sur laquelle s'appuie Marco da Silva Ferreira, révélation de la scène portugaise de ces dernières années, n'est pas l'une des centaines de partitions qui se sont emparées de ce thème – Vivaldi, Corelli, Scarlatti, ou Rachmaninov – en la baptisant Folie d'Espagne au passage, mais une partition originale du musicien Luis Pestana, déjà présent pour Carcass (2022) succès récent du même chorégraphe. Mais, sachant que Marco da Silva Ferreira travaille volontiers sur les danses sociales, urbaines ou folkloriques, les mixant et les réinterprétant pour faire de leur passé une forme de l'avenir, il y a là comme un écho aux préoccupations exposées dans l'énoncé de la soirée.
Pour résumer, Instantly : rester dans l’instant, poser les questions qui doivent être posées aujourd’hui. Forever : résister à l’épreuve du temps, tout en inventant des possibilités pour l’avenir. » Mais tout cela avec le sens du second degré, cependant !
Philippe Verrièle
Jeudi 7 et vendredi 8 mars 2024 à 20h
Dimanche 10 mars 2024 à 15h
Opéra national de Lorraine
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