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Ladies’ force à Pôle-Sud : L’Année commence avec elles

Du 14 au 29 janvier, le CDCN de Strasbourg lance son année 2025 en invitant à changer de regard sur la vie des femmes.

L’année commence, à Pôle-Sud, par une invitation à changer de regard. Une dizaine de propositions au féminin, sur l'idée désormais bien connue de Joëlle Smadja qui semble faire écho à l'adage britannique de ladies first. Mieux, c'est ladies' force! À regrouper les engagements chorégraphiques des unes et des autres, le CDCN strasbourgeois permet de mettre en lumière les révoltes et résiliences de femmes chorégraphes aux origines les plus diverses. Les unes décortiquent le rôle assigné aux femmes, en partant du quotidien et du réel. Les autres évoquent traditions culturelles et dimensions intimes, liées à leurs expériences de vie respectives.

Monnier, Barsacq, Gribaudi…

Le quotidien des femmes s’y invite en guise de fil rouge. Mathilde Monnier évoque les violences à leur égard, s’infiltrant en sourdine dans les cœurs et dans les corps jusqu'à empoisonner la relation à la vie. Lara Barsacq, elle, fait de La Grande Nymphe de Nijinski la porte-parole des femmes oubliées, de l’histoire de la danse jusque dans le quotidien des interprètes. Silvia Gribaudi dynamite les stéréotypes sur le corps de la femme avec tant d'humour que le terme de résilience, souvent employé de façon abusive, semble ici bien trop faible. Les exercices d'aérobic, partagés avec le public, sèment un esprit de fête où la performeuse Claudia Marsicano s’amuse de chacun des kilos qui semblent la lester, prouvant que c'est en vérité l'imagination du regardeur qui est plombée par le regard collectif sur la femme. r.osa  – c'est Mme r. qui ose se libérer, et le public avec.

Alors revenons à Mathilde Monnier et son Black Lights qui convoque les histoires authentiques d’une dizaine de femmes, histoires de cette violence tantôt physique tantôt psychique que les femmes endurent, le plus souvent en silence. Le texte, des citations de la série d’Arte H24 – 24 heures dans la vie d’une femme. Les corps, distordus mais en sursaut, jusqu’à se mettre à la fête. En jeu, la solidarité et la capacité à dégager des voies vers un avenir plus libre, personnellement et collectivement. Pour Agnès Izrine il s’agit même d’une « nouvelle forme hybride de parlédansé à l’avenir prometteur » [ lire sa critique].


La Grèce comme interface

Il arrive que les traces des modèles de rôles innervent la vie de façon si fine que, par exemple, Akiko Hasegawa n’en fait même pas le sujet de sa nouvelle création. Mais rien ne se laisse évacuer non plus quand elle évoque, après un solo consacré à la joie (Haré Dance), divers états de Kanashimi (tristesse). Accompagnée au violon par Aline Zeller, la Japonaise part de son vécu personnel avec solitude ou perte d’êtres chers, mais aussi de la tragédie grecque ou des larmes de Martha Graham. Mais comme elle avait commencé par la joie, elle va, comme Monnier et autres, ouvrir une porte sur des états de sérénité et sur la résilience.

Et la Grèce est ici un vrai point de pivot, une interface où se croiseraient la Japonaise et sa Kanashimi, La Grande Nymphe de Nijinski que Lara Barsacq arrache au romantisme misogyne [lire notre critique}, et une jeune chorégraphe hellénique qui, pas si loin de l’idée d’une Nymphe, se penche sur les histoires de possession de sa Grèce natale. Chara Kotsali présente son solo to be possessed, où elle œuvre à sa façon pour libérer la femme et son corps des normes sociales. Monnier – Gribaudi – Barsacq – Kotsali : une ligne de front très homogène et joyeuse avec comme étendard Lara Barsacq et sa revendication de liberté sexuelle, au quotidien comme chez la Nymphe.

Le propre des stéréotypes étant d’être des représentations prévisibles, une manière de les perturber s’appelle : brouiller les pistes. C’est pourquoi Chandra Grangean & Lise Messina (Les idoles) ne cessent de changer de tête, dans leur duo Reface, recherche plastique et pied-de-nez à la chirurgie esthétique, grotesque et moqueur par rapport aux canons standard de la beauté féminine. Aussi leur démarche n’est pas sans flirter avec l’esprit de la Gribaudi ou celui de Marine Colard qui, dans Le Tir Sacré, laisse la place à Fanny Lechevestrier grande commentatrice d’événements sportifs à la télévision et surtout à la radio [voir notre reportage vidéo].

Décalages romantiques

Mais L’Année commence avec elles cultive aussi la corde d’un romantisme actuel, avec Akiko Hasegawa autant que grâce aux propositions de Chloé Zamboni / Marie Viennot et Fanny Brouyaux. Les premières partent des Variations Goldberg, de Jean-Sebastien Bach bien sûr, pour un voyage intérieur, cherchant des échos intimes dans la proximité du public. Le titre, Magdaléna. (prénom de la deuxième femme du compositeur), dit en quelque sorte l’idée de fusion, avec un seul personnage pour deux interprètes. On appréciera aussi la Bruxelloise Fanny Brouyaux, violoncelliste à l’origine, qui ne parle pas en l’air quand elle dit chercher, dans son solo To be schieve or a romantic attempt, (Croire ou une tentative de romantisme) la corde sensible. Pour retomber sur des mouvements liés aux crises de spasmophilie où le corps se débarrasse d’états de stress post-traumatiques. Tremblements anarchiques en écho aux Caprices pour violon solo de Niccolò Paganini. Geste musical, gestes surréels, un visage et des mains peints comme pour un rite chamanique, mais aussi un dialogue avec la folie qui place la figure de la femme sous un jour que la société, généralement, lui refuse.

Alors, terminons sur la belle œuvre dans laquelle on trouve un peu de tout. Soa Ratsifandrihana avait décroché la coproduction des CDCN pour Fampitaha, fampita, fampitàna. Et on a tant l’habitude dans le monde d’aujourd’hui, de fustiger le savoir des experts, qu’il fait du bien de voir à quel point leur connaissance des artistes peut s’avérer pertinente. Recherche personnelle, volonté d’émancipation à la fois de femme et de descendante malgache née en France, dans la diaspora, en dialogue avec d’autres artistes chorégraphiques et musicaux travaillant en France ou, comme la chorégraphe, à Bruxelles. Un quatuor comme du free jazz, à partir d’un véritable travail d’enquête, sur la vie, la scène artistique et l’histoire coloniale de l’Ile rouge, une rencontre dansée et musicale entre passé, présent et avenir, un superbe bal-gache où tous les groove sont permis.

Thomas Hahn

Du 14 au 29 janvier 2025, Festival L'Année Commence avec Elles - Pôle Sud

 

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