La Biennale de la Danse aux Usines Fagor
Une expérience nouvelle à Lyon, ouverte aux amateurs, interactive et libre. Avec l’adolescence comme thème central.
C’est un nouveau chapitre qui s’est ouvert dans l’histoire de la Biennale de la Danse, aux Usines Fagor, vaste espace modulable à volonté, avec des plateaux de danse et une énorme halle d’accueil permettant les déambulations, installations et expositions. L’ancien lieu de fabrication d’électroménager (Fagor-Brandt) dans le 7e arrondissement, pas loin du stade de Gerland, n’était en soi pas inconnu aux équipes puisqu’il sert de QG à la Biennale de Lyon, avec ses bureaux, utilisés en alternance annuelle par les équipes danse et art contemporain. La décision d’y accueillir le public n’attendait donc qu’une vocation correspondant à l’esprit du lieu.
A réservation gratuite, pour un programme ouvert au travail avec les amateurs, en grande partie irrigué par le thème de l’adolescence, l’Expérience Fagor réunissait onze projets, de pièces chorégraphiques remontées – pour intégrer élèves en écoles de danse (Removing Reset de Noé Soulier) – aux installations interactives, invitant chacun.e à entrer dans la danse en créant son propre avatar, pour se retrouver sur la scène virtuelle d’un grand écran (I-Dance de Pierre Giner).
Christophe Haleb : Entropic Now
Qu’est-ce qui préoccupe les ados d’aujourd’hui ? Quel est leur rapport au bonheur et aux espoirs, qu’est-ce qui les révolte, où et quand se sentent-ils vivants ? Dans cette installation chorégraphique, musicale et visuelle, de jeunes Lyonnais, pour la plupart lycéen.ne.s, et d’autres jeunes que Haleb a rencontré.e.s à Valence et Amiens ont pris la parole à l’écran, dans une série de petits films les montrant dans leurs contextes de vie. La ville entre sous la canopée et entoure une communauté éphémère, Où il est question de futur, avec des considérations écologiques, de présent et de racisme, de l’envie de s’engager et d’un sentiment d’impuissance. Prises d’espaces entre le public, qui s’assoit sur des bancs, sous une canopée toute en bâches noires, des écrans disposés en cercle, une scène pour les musiciens et des ouvertures permettant aux jeunes interprètes chorégraphiques de circuler entre le « dedans » et le « dehors », entre constellations fixes et mobilité hautement énergétique.
Dans leur circulation aussi dynamique que savamment orchestrée s’exprime tout le désir de vie, d’avenir et de liberté d’une jeunesse qui se voit soudainement privée de vie sociale, vie qu’elle retrouve dans la version performative d’Entropic Now, subtilement accompagnée par un groupe de musiciens, par des croisées sur rollers ou bien de jolis sauts, au sens propre, vers l’inconnu. Et puis, des apparitions en solo ou en groupe aux confins de la sculpture vivante, grâce à la manipulation de bâtons lumineux, et la traversée d’une diva surréelle, superbe apparition en noir, tel un prolongement vivant de la canopée. Aussi, tout est contenu dans tout et tout sonne juste entre ces jeunes et Haleb, entre la forme et le fond, entre ce que l’on savait de cette jeunesse et la possibilité de situer la sociologie collective dans une expression personnelle et intime. Point de pivot de L’Expérience Fagor, Entropic Now en incarnait tout l’esprit de mobilité et d’ouverture, de fraîcheur et de questionnements autour de l’adolescence.
Galerie photo - Entropic Now © Thomas Hahn
Thierry Thieû Niang : Inouï
Chaque adolescent est un artiste à sa façon. Ce qui n’exclut en rien les filles, mais le fait est qu’Inouï de Thierry Thieû Niang est interprété par des garçons, sous le regard ému du chorégraphe: « Je les trouve si justes, si intelligents, forcément un peu dépassés par tout ce qui se passe, mais soudés et pleins d’une envie de penser le monde, de créer une solidarité que l’on ressent très vivement », écrit-il à propos du groupe de jeunes adultes avec lesquels il travaille depuis 2016. Où il est question, en même temps, de vulnérabilité, de maladresse, du besoin de se construire et de se métamorphoser. Ce qui donne une pièce où l’échange entre les interprètes est au centre, qui peuvent entourer le clarinettiste qui les accompagne, s’asseoir au sol comme pour un palabre ou entrer dans des états subliminaux.
Mais ils n’ont pas tenu très longtemps sur le plateau, face à l’étendu de la halle d’accueil qui les aspirait littéralement. Où ils ont affronté la présence de Mami Wata, déesse des eaux, figure maternelle et nourricière autant que mère fouettarde, dont on réentend parler de plus en plus. Elle fut ici représentée par une sculpture créée collectivement sous la direction du plasticien Eddie Ekete, invitant tout le monde à aller à sa rencontre. Aussi les interprètes d’Inouï sortirent de l’espace scénique pour se disperser dans le vaste espace public, non sans se retrouver solidairement, pour finalement retourner dans l’enceinte protectrice du plateau, paradoxalement rassurante alors que c’est là que tout danseur est le plus exposé au regard du public. Cet aller-retour en disait long sur les doutes, l’instabilité et le besoin de liberté dans l’adolescence.
Cette première édition, déjà très mature, a révélé le potentiel des Usines Fagor comme plateau d’échange, où se croisent professionnels (dont beaucoup participaient à un colloque organisé en parallèle), danseurs amateurs et un public curieux, attiré par l’esprit d’un lieu où l’on entre plus facilement que dans un théâtre perçu comme institutionnel. Aussi les Usines Fagor ont-elles tout d’un incubateur, voire d’un agitateur, pour devenir un champ d’expérimentation indispensable aux futures éditions de la Biennale de la Danse, en train d’y forger une partie constituante de son identité, à l’instar du Défilé.
Thomas Hahn
Usines Fagor, Lyon, Biennale de la Danse, les 11 et 12 juin 2021
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