« Hommage à Jerome Robbins »
Le Ballet de l’Opéra de Paris rend hommage à Jerome Robbins en reprenant quatre ballets du maître américain.
Né le 11 octobre 1918, Jerome Robbins aurait eu cent ans cette année. L’occasion, pour le Ballet de l’Opéra de Paris, de célébrer un artiste qui considérait la compagnie française comme sa seconde famille, après le New York City Ballet où il avait fait l’essentiel de sa carrière. Seize de ses pièces sont d’ailleurs au répertoire de la troupe, parmi lesquelles trois avaient été choisies pour cet hommage. En sus, une entrée au répertoire, le fameux Fancy Free créé en 1944 pour l’American Ballet Theater sur une composition originale de Leonard Bernstein. Il était suivi de A Suite of Dances créé en 1994, sur les Suites pour violoncelle seul de Bach, pour et par Mikhaïl Barychnikov, et transmis par Robbins lui-même aux danseurs parisiens en 1996, puis de l’Afternoon of a Faun créé pour le New York City Ballet en 1953 et entré en 1974 au répertoire de l’Opéra de Paris.
Afternoon of a Faun - Myriam Ould-Braham et Mathias Heymann © Laurent Philippe
La soirée s’achevait avec les Glass Pieces créées en 1983 alors que Robbins venait de succéder à George Balanchine à la tête du NYCB. En préambule de ce menu déjà chargé, un court métrage intitulé Jerome Robbins in his own words montrait des images du chorégraphe en répétition. Il s’ouvrait – curieusement - sur une grande photo, datant de 1974, montrant Robbins et Noureev dans les coulisses du Palais Garnier lors de la représentation du 3e acte de La Bayadère.
Last but not least, la première était en outre précédée du Défilé du corps de ballet, rituel d’ouverture de saison et baromètre de la popularité des danseurs. Manquaient à l’appel les étoiles Mathieu Ganio, invité en tournée au Japon avec le Ballet de Stuttgart, et Josua Hoffalt qui avait choisi, juste avant de quitter définitivement le Ballet, de défiler en ouverture de la seconde représentation. A l’applaudimètre, outre les craquants petits garçons de l’Ecole de Danse, et Karl Paquette dont c’était le dernier Défilé avant ses adieux en décembre, c’est François Alu comme à l’accoutumée qui l’emportait haut la main. Sans grand risque, on parie pour une véritable ola dans le public le jour où il sera enfin nommé étoile…
Fancy Free - Roxane Tojanov, Paul Marque, Alexandre Grasse, Alessio Carbone, Dorothée Gilbert, Valentine Colasante Galerie photo © Laurent Philippe
Après ce hors d’œuvre gourmand, place enfin était donnée à la danse. Plus que les pièces elles-mêmes, vues et revues, c’était la distribution qui constituait ici le principal intérêt, permettant de prendre le pouls de la compagnie entre valeurs sûres et heureuses surprises.
Au nombre des premières, il fallait bien sûr mettre le bondissant François Alu (encore lui) que l’on attendait avec impatience dans le rôle du marin entreprenant de Fancy Free. Certes, en matière de grands jetés, sauts, pirouettes et tours en l’air exécutés avec une facilité confondante, on n’était pas déçu, et même comblé. Mais durant ces trente minutes au demeurant plaisantes, naissait le même sentiment de frustration, dans l’attente qu’un titre et des rôles dignes de son talent puissent permettre enfin à ce danseur surdoué de s’épanouir dans un autre répertoire que celui de la pure virtuosité (un avant-goût devait d’ailleurs en être donné quelques jours plus tard, lors de sa prise de rôle dans A Suite of Dances).
A ses côtés, ses deux comparses jouaient mieux que les faire valoir : Karl Paquette, bien que trop âgé pour le rôle, assumait vaillamment le personnage du marin romantique, et Stéphane Bullion celui du marin séducteur. Mais le véritable sentiment de délectation était offert par Alice Renavand qui livrait un savoureux numéro de girl américaine piquante et pleine de charme, accentué juste ce qu’il faut sans jamais tomber dans la caricature.
A Suite of Dances - Paul Marque - Galerie photo © Laurent Philippe
La pièce suivante offrait quant à elle un nouveau regard sur le talent plus que confirmé de Mathias Heymann.
Pour sa prise de rôle dans A Suite of Dances, il ne se contentait pas d’être techniquement impeccable et artistiquement juste. Au sommet de son art, il rayonnait de maturité intérieure.
Donnant à ces variations accompagnées au violoncelle live sur scène à la fois la légèreté et la profondeur nécessaires, il semblait réinventer chaque pas, dans un équilibre parfaitement maîtrisé.
Et pour paraphraser la citation de Guitry sur la musique de Mozart, ses courts instants d’immobilité, entre deux suites, étaient encore de la danse. Aérien, suspendu mais aussi musical et habité, il était véritablement cet « homme qui danse et cet homme qui pense » décrit par Baryschnikov, qui créa le rôle.
Après un Afternoon of a Faun, où Hugo Marchand et surtout Amandine Albisson réussissaient à nourrir leurs personnages de jeunes gens narcissiques et sensuels, venaient enfin les superbes Glass Pieces, sur les Glassworks et la Marche Funèbre extraite d’Akhnaten de Philip Glass.
Dans ce ballet choral que la compagnie n’avait pas interprétée depuis quatorze ans, les plus jeunes étaient mis en valeur. Si le premier mouvement, sur Rubric, souffrait encore de quelques approximations dans le réglage des déambulations latérales, le deuxième, sur Façades, était un pur moment de poésie.
Glass Pieces - Galerie photo © Laurent Philippe
Quant à la troisième et dernière Piece, elle produisait bel et bien ce déchaînement d’énergie tribale voulu par le compositeur et le chorégraphe, en évocation du cortège funéraire du père d’Akhnaten, le pharaon Amenhotep III. Un beau final, pour une belle soirée.
Isabelle Calabre
Vu le 29 octobre 2018 à l’Opéra de Paris
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