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François Chaignaud : « Petites joueuses »

Un spectacle en forme de déambulatoire autour du jeu et du souffle, une véritable expérience dans l’ancienne forteresse devenue invisible…

D’abord il y a le lieu. Ce Louvre médiéval, caché dans les entrailles du Palais-Musée que l’on connaît, et dont seul un reste du donjon affleure le sol de la Cour Carrée. Mais il demeure, en sous-sol, les douves de la forteresse initiale conçue par Philippe Auguste (1165-1223), datant d’environ 1190, et d’où l’on aperçoit l’enceinte, la muraille extérieure, les anciennes tours et le fameux donjon. C’est là que se déploie le déambulatoire concocté par François Chaignaud, en écho à l’exposition Les Figures du fou que l’on peut visiter ensuite. Et d’une certaine façon, Petites joueuses  tout en résonances, en rapports subtils, entre ces murs, les « Fous » d’hier et les « folles » d’aujourd’hui, en est une sorte de reflet !

En entrant, un par un, dans ce boyau comme on retournerait le temps, la première sensation est peut-être celle d’une transgression – nous pénétrons dans un présent qui n’est plus le nôtre et ce qui s’y passe doit peut-être rester secret. Deux créatures vêtues d’un costume rouge qui rappellent les dessins de fou des « marginalia », ces enluminures en marge des textes – souvent religieux – de l’époque jouent, comme des « petites folles »  avec des ballons tout aussi rouges. Ce sont donc Les Petites Joueuses. D’emblée, le ton est donné, il s’agit de donner du jeu – avec toutes les multiples occurrences de ce mot magique –, et de l’air, à une forme dansée entre performance et visite guidée, tout en donnant de l’espace à ces figures marginales qu’ont incarnées, de tous temps, les Fous, qu’ils le soient réellement ou nous jouent l’air ou la danse de la folie. Esthétiquement, cette première image est superbe, et l’incarnat des costumes s’ancre particulièrement bien dans ces anfractuosités de la pierre.

Galerie photos : © Louis de Ducla et Musée du Louvre

Toute cette promenade étrange est placée sous le signe de l’air, du souffle, du vent qui était, paraît-il, stigmatisé par l’Église, cornemuses et autres loures étant de ce fait, interdites, car diaboliques. Après donc « Les Ballonnées » de Samuel Famechon et Pierre Morillon, nous découvrons « L’Exhalée » de Maryfé Singy qui s’essouffle à marcher avec deux marottes, tout en esquissant d’acrobatiques figures, comme un personnage tout droit sorti d’une cour des miracles improbable. Au prochain tournant, juste avant de s’enfoncer dans les douves, « L’insuflée » de Cassandre Munoz et Abigail Fowler est une sorte de membrane éclairée qui respire, tandis qu’une danseuse tente de « s’inspirer » d’elle. Il y a aussi la soupirante, cachée dans un creux de la muraille, puis trois danseurs et danseuses, qui font « les éventées » (Esteban Appesèche, François Chaignaud, Antoine Roux-Briffaud) dansant des sortes de mauresques, de tresques ou de rondes et de fuites, le passage par un aquarium plein de sextoys et aspirateurs clitoridiens (La Vibrante). 

Et puis, centrale « Les fumeuses » un groupe de chanteurs exceptionnels (Cécile Blanquey, Florence Gengoul, Marie Picaut, Alan Picol, Ryan Veillet et François Chaignaud) qui tout en jouant avec des pailles, des gourdes et miroirs, interprètent des œuvres du XIVe et XVe siècle, de Guymont, distillent des airs de Guillaume de Machaut, Solage, Roland de Lassus, Claude Lejeune, Carlo Gesualdo (et même – paraît-il – de Paul Mc Cartney que nous n’avons pas entendus), leurs chants s’écoulant tout au long de ce parcours comme le flux aquatique qui emplissait ces douves autrefois, elles sourdent et se propagent nous appelant à un retour en arrière, sur nos pas, pour mieux écouter encore ces expirations qui s’accomplissent par la voix.

Avant de sortir, arrêtez-vous un instant pour écouter « La Soufflante », de Marie-Pierre Brébant qui joue du Uileann Pipe et de la concertina – à vide d’abord, pour faire entrer l’air dans l’instrument, puis à plein laissant l’âme s’envoler… déjouant l'idée que souffler n'est pas jouer !

Ce petit peuple des profondeurs que dissémine François Chaignaud dans ces anciens fossés, fait surgir des distorsions de notre perception, des corps exubérants, des voix fantasques, des accents baroques, qui se dissipent et se diffusent, pour se réverbérer dans l’exposition Figures du fou, Du Moyen Âge aux Romantiques" que l’on peut (que l’on doit !) visiter ensuite. Objets fabuleux, manuscrits médiévaux enluminés, tableaux exceptionnels, qui donnent corps à la figure subversive du fou, mystique, symbolique, fou du roi avec son costume rayé ou feu follet, trouble, inassignable à un genre, ou même à quoi que ce soit, et parfois même inquiétant… Une expérience à ne pas manquer.

Agnès Izrine

Vu le 4 novembre 2024, Musée du Louvre.
Jusqu’au 16 novembre. 09/11, 11/11, 14/11 et 16/11

En continu de 19h30 à 23h30 dans le Louvre médiéval, comprenant la visite libre de l’exposition "Figures du fou. Du Moyen Âge aux Romantiques". Neuf créneaux par soirée sont proposés à la réservation. Le Musée du Louvre et le Festival d’Automne à Paris sont coproducteurs de ce spectacle et le présentent en coréalisation. Avec Van Cleef & Arpels.

Distribution
 et Conception : François Chaignaud

Avec : Esteban Appeseche, Cécile Banquey, Marie-Pierre Brébant, François Chaignaud, Samuel Famechon, Florence Gengoul, Pierre Morillon, Cassandre Muñoz, Marie Picaut, Alan Picol, Antoine Roux-Briffaud, Maryfé Singy, Ryan Veillet.

Création et régie lumières :  Abigail Fowler. 

Régie costumes : Alejandra Garcia. 

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