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Entretien : Marlène Saldana et Jonathan Drillet créent « Les Chats »

Dix chats sont occupés à faire le point sur l'espèce humaine... Et pas n’importe lesquels ! Nous avons interrogé Marlène Saldana et Jonathan Drillet sur ce curieux objet chorégraphique, entre comédie musicale, opérette, ballet, modern-jazz et danses minimalistes créé à Chaillot Théâtre national de la Danse en ce tout début d’année.

DCH : Les Chats (ceux qui fappent et ceux qui sont frappés) est une comédie musicale un peu déjantée, qui a pour lointain point de départ Cats et d’autres block busters de Broadway, mais que raconte-t-elle ?

Marlène Saldana : Nos sujets sont toujours un peu semblables. À savoir, nous voulions vraiment travailler sur l’anthropocène, le climat, l’environnement… et nous avons bifurqué vers le fascisme et le climato-scepticisme. Nous avons considérablement travaillé en amont. Il est sûr qu’écrire la musique, les textes, les paroles, le livret, a été une tâche au long cours. Nous avons mis beaucoup de temps à comprendre ce qu’était cette pièce. Qui étaient ces chats ? Que représentaient-ils ?

Et c’est lors du résultat des législatives de juin 2024 qu’est née l’idée des chats de Marine Le Pen, donc très tard par rapport à la création, car nous voulions absolument évoquer ce score du RN. Et nous étions plutôt contents, car nous n’arrivions pas à avoir une conception claire qui nous aurait permis de bien ficeler la pièce. Nous voulions écrire une fiction, mais ne savions pas si elle se déroulait au passé ou au futur. Le sujet de la catastrophe environnementale nous tenait vraiment à cœur, mais nous ne souhaitions pas le traiter comme une dystopie. Finalement, la catastrophe était plus près de nous que nous le pensions – mais d’un autre ordre !

En fait, plus simplement, ça raconte l’arrivée de Marine Le Pen à l’Élysée. Elle a été élue, elle est éleveuse de chats, elle les a emmenés avec elle.

Jonathan Drillet : Ce qu’elle a promis de faire d’ailleurs si un jour elle était Présidente de la République.

Galerie photos : Ph. Lebruman

DCH : Comment se comportent-ils ?

Marlène Saldana : Ce sont dix chats. Ils ont chacun des idées différentes. Eux, l’appellent donc Maman. À aucun moment nous ne prononçons son nom, mais nous espérons faire comprendre assez vite de qui ils parlent. Et comment faire quand on a une maman que l’on n’a pas choisie. Certains sont hyper d’accord avec elle. D’autres, pas du tout. Mais ils sont obligés de vivre ensemble. L’idée de cette pièce, revient à « comment vivre ensemble avec des gens qui pensent tous très différemment ». Mais c’est vraiment une comédie musicale, ça chante, ça danse beaucoup. Il y a des airs du Chat Extinction Rebellion, des Chats centristes, des révolutionnaires, des chats très engagés, d’autres dont ce n’est pas le problème…

Jonathan Drillet : C’est ça, ils cohabitent. Il y a une Madame Chat qui se pose beaucoup de questions… Nous avons écrit la quasi-totalité des textes, mais nous avons des chansons entières qui sont des textes d’auteurs, notamment de David Graeber anthropologue et militant anarchiste américain, théoricien de la pensée libertaire et figure du mouvement Occupy Wall Street. Ou des tracts du Rassemblement National. Comment font-ils pour rigoler ensemble ? Parce qu’ils s’aiment bien tout de même.

DCH : Comment caractérisez-vous ces félins ?

Marlène Saldana : Nous avons vraiment défini des personnages, à l’ancienne, avec des traits de caractère. Nous avons beaucoup utilisé les comédies musicales, notamment nos trois œuvres de référence, à savoir Cats, Chorus Line, et Les Misérables. Elles datent quasiment de la même année [1981 NDLR] et souvent les artistes qui jouaient dans l’une enchaînaient sur l’autre. Donc cette pièce est aussi un coup de projecteur sur la condition de ces danseurs-chanteurs. Pas d’une manière directe, mais ça colore tout de même Les Chats. Par exemple, l’un d’entre eux a exactement le rôle d’un interprète extrêmement connu à Broadway qui a joué tel personnage dans telle comédie. Nous avons gardé les caractéristiques d’un chat de Cats, de Jean Valjean, de Javert… Nous avons également conservé certains rapports entre eux. Par exemple, dans Cats, il y a trois frères.

Jonathan Drillet : Et puis ils ont des âges très différents. Et ça influe beaucoup sur leurs personnalités. Certains sont tout à fait danseurs et danseuses, d’autres chanteuses. Nous avons même une cantatrice lyrique dans la distribution ! Elle a un grand air d’opéra. Nous les typifions par ce qu’ils racontent, la façon dont ils s’expriment corporellement, très peu dans les costumes.

Marlène Saldana : Nous connaissons très bien nos interprètes, donc nous avons choisi les chats qu’ils seraient et leurs individualités transparaissent…

Jonathan Drillet : La majorité d’entre eux sont artistes chorégraphiques et ont tous des parcours différents, et ça se voit.

Marlène Saldana : Au départ, nous voulions travailler exclusivement avec des danseurs et danseuses de plus de quarante ans. Finalement, cette contrainte nous est apparue inutile. Surtout que les jeunes en sortie de formation n’ont aucune aide – à la différence des jeunes acteurs – pour s’insérer dans le milieu professionnel. Quitte à faire une pièce de groupe, autant qu’elle reflète une diversité réelle. Et nous utilisons leur bagage chorégraphique. Évidemment, Mark Lorimer qui a travaillé plus de trente ans avec Anne Teresa De Keersmaeker ne se meut pas de la même façon que Christophe Ives qui est à lui seul une synthèse de toute la danse contemporaine française. Certains ont eu des formations jazz… Ce sont des qualités de danse totalement disparates, mais les réunir sur un même plateau donne un mélange détonnant. De plus, ils parlent, ils chantent, ils adorent ça, car ça les change…

Galerie photos : Ph. Lebruman

DCH : La musique est-elle entièrement composée par Laurent Durupt ?

Jonathan Drillet : Il n’y a aucune musique additionnelle. C’est un travail énorme ! Il a créé des morceaux très hétéroclites, tout en maintenant une sorte d’unité en utilisant la même instrumentalisation du début à la fin. Il passe d’inspirations très jazz à des solos de piano, par exemple pour Dalila Khatir, il a arrangé une Sonate au clair de lune en miaou…

DCH : Comment la scénographie signée Théo Mercier intervient-elle ?

Marlène Saldana : Elle est extrêmement importante ! Pour moi, elle est une scénographie de spectacle de danse. Pas du tout ce que nous imaginions. Au début elle a été un écueil avant de devenir un vrai moteur pour l’écriture. Car nous nous inspirions vraiment de Cats, nous imaginions une litière géante, un arbre à chat déglingué, un lieu très abîmé, sale… L’inverse de ce que nous a proposé Théo, très abstrait, très minimaliste, très coloré…

Jonathan Drillet : Surtout qu’au moment où il nous l’a présentée, nous ne savions plus vraiment dans quelle direction nous allions, ni de quoi parlait cette pièce. C’était le moment où nous commencions à réfléchir aux chats de Marine Le Pen et donc à l’Élysée. Et soudain ça a fait sens. Les antichambres du palais présidentiel étant riche d’installations, commandes d’État à des artistes contemporains des années 70-80, et il y avait un peu de cela dans cette moquette très sobre, très Sonia Delaunay, qui semblait correspondre parfaitement à notre projet. Alors qu’elle était à l’opposé total de ce que nous avions dans la tête à l’époque où nous lui avions demandé de nous rejoindre sur cette création.

Marlène Saldana : Il y a même un moment où nous avons pensé tout réécrire, ou qu’il fallait lui demander un autre décor. Et finalement, ça fonctionne parfaitement et nous sommes très heureux de cette scénographie.

DCH : Et les costumes ?

Marlène Saldana : Nous étions partis sur des idées extravagantes, beaucoup plus Cats, plus chargés. Mais du fait de cette scénographie, avec ses formes très dessinées et ses couleurs primaires, il faut être assez malin pour créer des costumes simples, assez chats mais pas trop, car ils sont déjà des chats, il est donc nécessaire d’éviter toute redondance. Jean Biche s’en est admirablement sorti. C’est vraiment une pièce de groupe où chacun a été à l’écoute des autres pour créer Les Chats (ceux qui frappent et ceux qui sont frappés).

Propos recueillis par Agnès Izrine

Théâtre national de Chaillot, du 7 au 11 janvier.

 

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