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Entretien avec Sandra Neuveut

Une 23e édition de la Biennale de danse du Val-de-Marne foisonnante, avec 65 représentations réparties sur le département et bien au-delà, qui explore les imaginaires de la Nuit, qu’elle soit propice aux rêves ou qu’elle brille de mille feux ! Entretien.

DCH : Cette 23e édition de la Biennale de danse du Val-de-Marne est inspirée par les imaginaires de la Nuit pensée comme une « constellation de propositions  chorégraphiques ». Pouvez-vous nous en dire plus ?

Sandra Neuveut : Je travaille de manière très organique, comme par association d’idées, ou plutôt, en l’occurrence, d’auteurs chorégraphiques. C’est un faisceau de rencontres, de recherches. Il est sûr que je ne saurais thématiser totalement la Biennale, car l’exercice est trop complexe, et viendrait potentiellement enfermer, instrumentaliser des œuvres. Mais bien sûr, diriger une Biennale suppose de l’éditorialiser au minimum. Ainsi, la nuit est apparue, comme un élément fédérateur. Plutôt pour faire référence à un état entre jour et sommeil, où tout devient possible, où rêve et réalité fusionnent, comme un récit nocturne, des mondes chimériques ou transgressifs…. À partir de là, je me suis demandé si Tatiana Julien ne pourrait pas être une Reine de la nuit, cette figure pouvant être convoquée par d’autres chorégraphes à des titres divers. En tout cas, dans l’histoire de l’art, et dans celle de la danse, la nuit et ses imaginaires ont toujours été un terrain extrêmement fécond de création. De plus, une Biennale est une démarche collective, avec des partenaires, qui font des choix. Donner une couleur générale permet de les rassembler. Dans mon édito, je cite une phrase de René Char qui fait référence à une période sombre de notre histoire, et à la résistance que cela nécessite : « dans la nuit se tiennent nos apprentissages », et bien sûr, c’est en rapport avec notre actualité.

DCH : À l’intérieur de cette couleur générale, vous avez imaginé des parcours. Pouvez-vous nous les détailler ?

Sandra Neuveut : Ce sont des archipels au cœur de cette nuit. Il y a un parcours que j’ai nommé « Éclairer la nuit » évoquant une traversée de pièces aux influences flamencas. C’est le cas, par exemple de Fugaces, création pour huit interprètes d’Aina Alegre qui s’inspire de l’immense figure du flamenco qu’était Carmen Amaya (1918-1963), comme un fantôme qui traverse le temps, et comme une référence intime. Un Boléro de Dominique Brun et François Chaignaud, a aussi quelques accents andalous. C’est aussi le cas de Pol Jimenez qui actualise le boléro – mais en tant que danse classique espagnole – en revisitant la figure du Faune dans Lo Faunal. Je présente également la danseuse et chorégraphe Maria del Mar Suárez et la chanteuse Lola Dolores qui forment La Chachi. Elles sont issues des tablaos traditionnels et font partie des vingt projets sélectionnés par le réseau européen Aerowaves. Personnellement, j’ai beaucoup aimé découvrir cette nouvelle génération de jeunes danseurs et danseuses qui jouent de la tradition tout en s’en affranchissant, comme d’autres l’ont fait avant eux, notamment Israel Galván qui donnera son Solo début avril. Je trouve passionnant de voir où ils vont puiser en explosant les codes. D’ailleurs, nous aurons aussi un temps de culture chorégraphique avec la conférence dansée Flamenco Queer de Fernando López Rodriguez.

DCH : Quels sont les autres parcours ?

Sandra Neuveut : Nous avons « La Nuit Afro », un voyage musical et chorégraphique de Maputo à Kinshasa, avec la création d’Idio Chichava Vejo Anjos que atravessam o sol na minha sala et la reprise de l’exceptionnel Coup Fatal d’Alain Platel avec Fabrizio Cassol lire notre critique] et enfin les Supa Rich Kids qui entourent le chorégraphe Oulouy en clôture avec Afrikan Party.

 « La Nuit des étoiles montantes » rassemble des femmes à un tournant de leur carrière. Nous retrouvons, bien sûr, Dalila Belaza, artiste associée à La Briqueterie pendant trois ans, qui va créer Orage, un duo dans lequel elle explore la vibration avec le guitariste Serge Teyssot-Gay, mais aussi le Collectif ES qui vient d’être nommé à la tête du CCN d’Orléans, et propose deux pièces ancrées dans leurs « séries populaires », About Lambada et Loto 3000. Plus encore que des pièces, ils investissent par la chorégraphie des dispositifs de divertissement individuel ou collectif comme, le Karaoké ou le Loto. Mais généralement ce n’est pas innocent. Par exemple, About Lambada est une pièce de plateau faisant référence au tube mondial qui s’intéresse au marketing, aux phénomènes politiques et sociaux, d’une époque qui voit le Mur de Berlin s’effondrer et reste porteuse d’une utopie européenne.

DCH : Vous avez également mentionné des Reines de la Nuit, qui sont-elles ?

Sandra Neuveut : Tatiana Julien, que nous avons déjà évoquée, avec En Fanfaaare une création pour huit interprètes, un joli groupe sur un plateau. Je pense qu’elle est à un point de bascule dans son cheminement, car elle revendique l’action collective tout en préconisant une danse empathique, subtile…qui fera aussi appel à des amateurs vitriotes. Toujours dans le récit politique, il y a Magic Maids, mené par Eisa Jocson et Venuri Perera, l’une Philipinne, l’autre Sri-lankaise, qui posent comme une devinette « quel est le rapport entre une sorcière et une travailleuse domestique ? » Le balai bien sûr ! Dans cette satire chorégraphique, elles tissent le lien entre l’exploitation du corps des femmes et les chasses aux sorcières. Et bien sûr Soa Ratsifandrihana qui a déjà beaucoup tourné avec Fampitaha Fampita Fampitàna qui réinvente un langage à partir de récits imaginaires.

DCH : Vous avez également décliné ce thème de la Nuit dans d’autres chapitres…

Sandra Neuveut : Oui, par exemple « Goûter la nuit » interroge les dimensions de demi-sommeil et d’ouverture à d’autres sensations. C’est là que j’ai placé Fabrice Lambert qui explore les fonds marins avec RENVERSE, en s’intéressant à un élan chorégraphique… renversant – à savoir la circulation de l’AMOC ce courant océanique majeur qui assure la stabilité de notre climat mais pourrait disparaître. Il met en scène un univers en clair-obscur, qui pourrait être aussi celui de la voûte céleste et ses étoiles. Mais c’est aussi l’endroit de Nacera Belaza et La Nuée ou de Dalila Belaza avec Orage, qui font toutes deux émerger un monde de l’ombre, hanté de présences invisibles... C’est également le cas de Massimo Fusco avec ses Corps Sonores junior.

Gaëlle Bourges au contraire est dans l’espace de « Transfigurer la nuit », du merveilleux, du récit nocturne, dans La Petite soldate, qui transpose L’Histoire du soldat de Stravinsky et Ramuz au féminin, et à l’époque de la Guerre d’Algérie à l’aide de deux poupées. Tout comme le formidable ZONDER d’Ayelen Parolin, qui s’inspire du ballet Les Forains (Roland Petit, Henri Sauguet, 1945) pour le transformer en un ballet nautique cauchemardesque, un jeu aussi espiègle qu’exubérant.

Ensuite, chacun est libre de composer sa propre trajectoire, d’autant que certains chorégraphes qui ont été placés dans l’un de ces chapitres pourraient tout aussi bien relever d’un autre.

DCH : Et puis il y a cet énorme projet d’ouverture avec les habitants intitulée « La Danse de Vitry »… Pouvez-vous nous en dire plus ?

Sandra Neuveut : C’est un projet qui me tient particulièrement à cœur qui a été imaginé par les Catalans Guillem Mont de Palol et Ghyslaine Gau qui ont fondé à Barcelone le projet El Movimiento pour amener les habitants à créer leur propre danse, en partant de l’idée de créer de nouvelles traditions, de faire du commun avec les multiples influences intergénérationnelles, multiculturelles de chacun. Ce sont des danses relativement courtes. C’est comme une donation remise à la ville par les habitants lors d’une cérémonie, un patrimoine immatériel collectif dont la ville serait garante et je trouve cette idée extrêmement belle. J’ai même imaginé que l’on pourrait avoir à chaque Biennale cette manifestation avec une nouvelle ville partenaire… Avec nos vingt-huit partenaires, c’est un projet pour les cinquante prochaine années… mais plus modestement, j’attends de voir cette première édition !

Propos recueillis par Agnès Izrine

Biennale de la danse du Val-de-Marne du 12 mars au 11 avril 2025.

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