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Clément Dazin et David Brandstätter aux Rencontres

Aux Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine Saint-Denis, Bruit de couloir de Clément Dazin et Fre!Heit, de David Brandstätter replacent l'objet au cœur du geste chorégraphique, au lieu de l'exposer sur le mode circassien

Non, le métissage des techniques et l'interdisciplinarité ne constituent pas des valeurs positives en soi. Leur enjeu, leur mise en jeu, doivent à chaque fois être questionnés. Si nouveau que se dise le cirque, si curieux d'art dramatique ou chorégraphique qu'il se revendique, on a trop observé de cas où derrière ces apparences, il reste imperturbablement lui-même ; où il travaille aux prouesses d'un arrachement aux lois gravitaires humaines.

C'est bien légitime. C'est sa raison d'être. Mais c'est très différent de l'enjeu chorégraphique contemporain, qui module son acceptation gravitaire. Et c'est paresse que de tout confondre à cet endroit.

 

Le jeune Clément Dazin, jongleur, en administre une très belle démonstration dans son solo Bruit de couloir. Il pratique un art de la jongle de proximité, qu'on pourrait dire incorporé. Il n'expose pas un ballet de balles bien détaché au bout de ses bras. Il danse avec la balle, dont l'énergie et la trajectoire épousent, et poursuivent, les dynamiques tensionnelles et gravitaires de son corps même.

Pour l'œil, le résultat est assez modeste : le rendu est rarement celui d'une forme spectaculaire épatante. Pour la dramaturgie, la sobre densité de l'action, dénuée de tout tapage, gagne une profondeur incomparable. Jamais oublieuse du corps avec lequel elle dialogue, la balle se pare de vertus intimes, en définitive émouvantes, complice d'un partenaire apaisé et gentiment beau garçon.

Photos © Michel Nicolas

Il n'est qu'à observer les chutes. Que n'a-t-on connu de "nouveaux jongleurs", pour faire de la récupération du motif de la chute de la balle, un argument théorique proclamatoire, intégré à leur desconstruction des  habitus de l'ancien cirque. C'est beaucoup plus simple chez Clément Dazin. La balle chute parce que telle est la logique tranquille de sa trajectoire. Aucune raison d'en faire une affaire ; par contre oui, une opportunité de séquence d'improvisation. Rien qu'à cette chose toute bête, on palpite.

L'Allemand David Bandstätter figurait au même programme, dans un solo de presque une heure, Fre!Heit. Un titre qui signifie Liberté. Plutôt qu'à une reférence circassienne, il faut en revenir ici à toute une tradition chorégraphique tendant à incorporer des objets dans l'écriture du mouvement. L'artiste sème sur le plateau une grande quantité de tasses blanches d'un modèle robuste et courant (de celles dans lesquelles on boit plutôt du thé).

 

Toute la patiente chorégraphie consistera à n'évoluer que perché sur ces modestes supports, sans mettre pied à terre. L'enjeu n'est pas mince, car la surface d'appui offerte par chaque fond de tasse est fort restreinte, parce qu'il faut en mofidier constamment les emplacements, dans une chorégraphie plasticienne de rapprochements et d'éloignements ; enfin parce que l'espace existant entre les divers appuis est ainsi rendu manifeste, évidé, et confère une réelle fragilité aux postures de corps et dynamiques de déplacements, qui se peuvent engager.

Photos © Pascal Miet

Le risque est néanmoins voisin de zéro (on a rarement vu quelqu'un se blesser sérieusement en tombant de la hauteur d'une tasse). Et il se dégage ainsi une sensation de risque pur, abstrait, théorique. Cela dure longtemps, très patiemment, et permet de ressentir, par empathie kinesthésique, les tensions corporelles, en fait très actives, qui sollicitent le corps du danseur, négociant un pas, s'appuyant à quatre pattes, se relevant, s'immobilisant. Dans ce cas encore, l'extériorisation spectaculaire est minorée, au profit d'une variation insinuée dans les lois communes de la gestion gravitaire.

Photos © Pascal Miet

C'est excitant à l'esprit, d'autant que tout du long est diffusé un texte à teneur philosophique, qui développe une mosaïque d'intelligentes pensées sur le thème de la liberté. On se souvient d'un temps où une station de radio prétendait s'adresser à ceux qui ont quelque chose entre les oreilles. Diffusant son essai philosophique, Fre!Heit sollicite les spectateurs qui ont quelque chose entre les yeux, de sorte que les questions premières de l'équilibre de chacun, la composition d'un pas, la simple élévation au-dessus du sol, se fait enjeu majeur des œuvres d'intelligence. On est plutôt pour.

Gérard Mayen

Spectacle vu le samedi 6 juin au Studio-Théâtre de Stains, dans le cadre des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine Saint-Denis.

 

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