Carte blanche à Satchie Noro

Deux pièces de Satchie Noro, Les Arpenteuses et Vestiges, viennent d’être présentées en plein air par le Théâtre de Châtillon, le Centre des monuments nationaux et Art’R, dans la magnifique cour de l’Hôtel de Sully.

Les Chaises

Les Chaises, tel était le titre d’un ballet que Maurice Béjart créa et dansa en 1981 avec Laura Proença (et qui fut repris quelques années plus tard par John Neumeier et Marcia Haydée) à partir de la pièce éponyme d’Eugène Ionesco conçue trente ans plus tôt.

La proposition de Satchie Noro, Les Arpenteuses, elle, date d’environ dix ans, et est d’un autre ordre, non strictement chorégraphique mais scénographique et acrobatique. Une dizaine de chaises pliables en bois, en un premier temps dispersées dans le jardin, par la suite échafaudées en son centre par trois interprètes féminines les empilant prestement, efficacement, rigoureusement. Le résultat d’un tel assemblage s’offre au regard des spectateurs distribués autour de cette action comme une sculpture ou une architecture réalisée live, précaire d’apparence et éphémère. 

Une arche vulnérable, de trois mètres de hauteur, que, chacune à tour de rôle, puis les trois ensemble, escaladeront hardiment, sûres d’elles et de la stabilité de leur édifice. L’architecture traditionnelle japonaise repose sur un savoir-faire en matière de tenons et mortaises qui permet aux menuisiers et aux charpentiers d’emboîter des pièces entre elles sans recourir ni à la colle ni aux clous. Dans le cas qui nous occupe, ont été ajoutées sur les faces extérieures des pieds de chaise, de discrètes fixations en métal consolidant la structure d’ensemble, en bloquant et débloquant rapidement les éléments en leurs points de jonction. Les interprètes convoquées, Natacha Kierbel, Laure Wernly et Fleuriane Cornet, ont des qualités de danseuses mais, surtout, d’équilibristes. La plus trempée d’entre elles, pour ne pas dire la plus « rompue » en acrobatie est Fleuriane Cornet, qui escalade avec aisance – et insouciance – le résultat de ce jeu de Lego.

Rotative

« Tournez, tournez rotatives », chantait en 1967 Guy Béart, faisant allusion à celles destinées à l’impression des journaux à sensation. La rotative dont il est question dans Vestiges est ce que les sculpteurs et les artisans potiers appellent une « tournette », autrement dit un plan de travail giratoire, agrandi pour les besoins du spectacle à l’échelle d’une scène. La lumière du jour déclinant, celle, artificielle, des projecteurs renforce le caractère cabaretier de la pièce. En alternance, Satchie Noro et Yumi Rigout nous offrent de superbes variations, dans des styles différents, la première en danseuse-plasticienne, la seconde en véritable casse-cou, éjectée à un moment de son piédestal, délibérément ou incidemment, par le moteur du rotor s’emballant.

Les deux artistes, somptueusement vêtues, sont accompagnées de deux musiciens d’exception, Maïa Barouh et Reo Komazawa. Maïa, flûtiste et chanteuse, est capable de s’exprimer simultanément dans ces deux disciplines, et d’émettre des phrases musicales en un chant diphonique continu. Elle souffle le chaud et le froid, le bourdon et l’harmonique, avec l’instrument le moins coûteux qu’est la voix humaine et la flûte à bec qu’elle joue savamment. Reo, Japonais pur jus, est un percussionniste hors pair, d’une finesse remarquable. Sur fond de rythmes et de mélopées orientales, la chorégraphie de Satchie Noro passe du minimalisme – de l’épure géométrique ou de l’objet mathématique, au sens d’un Henri Poincaré, qui inspira Man Ray durant sa période surréaliste – au mouvement serpentin façon Loïe Fuller et, au finale, à l’image poétique empruntée aux récits de Grimm ou, c’est assez probable, aux légendes ancestrales ayant nourri le théâtre nippon.

Nicolas Villodre

Vu le 16 juin 2022 à l’Hôtel de Sully, dans le cadre du programme de danse et de cirque de Monuments en mouvement, proposé par le Théâtre de Châtillon, le Centre des monuments nationaux et Art’R, Saison des arts de la rue.