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Ambra Senatore, une danse intense : entretien

Ambra Senatore, directrice du Centre Chorégraphique National de Nantes, se lance dans la création mondiale d’un nouveau solo, intitulé SANS TITRE qui affirme un désir de « danser à fond » et nous raconte des histoires de déracinements. Elle clôture également Suresnes Cités Danse avec Giro di Pista, un grand bal participatif.

DCH : Comment est née la création de ce solo qui n’a pas encore de titre ?
Ambra Senatore :
En plein confinement, j’ai eu envie de me donner de l’espace, du temps, pour réfléchir à des questionnements très personnels et intimes qui provenaient d’une certaine nostalgie, d’un mal du pays, du lien aux racines. Mais aussi de ce qui compose nos identités, les lieux de notre enfance, de notre jeunesse, des objets auxquels nous nous attachons ou qui viennent de nos ancêtres et sont devenus inutiles… Mais soudain j’ai réalisé qu’autant l’Italie est proche géographiquement et culturellement, autant il s’agissait d’une forme de deuil pour des personnes venues de loin qui ne peuvent faire marche arrière. Et entre-temps, il y a eu le retrait américain d’Afghanistan, et ces femmes qui ont été abandonnées à leur sort et enfermées par les Talibans en l’espace de sept jours. Puis le drame de Mahsa Amini, et des Iraniennes.

Je me suis rapprochée d’associations de femmes qui ont réussi à s’exiler et qui nous demandent de lire, de traduire, les textes de celles qui sont restées là-bas et arrivent à avoir accès à Internet et parlent pour celles qui ne le peuvent pas. J’ai donc beaucoup de récits, souvent autobiographiques, de femmes iraniennes ou afghanes, mais aussi syriennes, libanaises, palestiniennes… qui parlent souvent de départ obligé, de retour impossible, mais aussi d’exil intérieur, et ils ont nourri ma démarche, même si je me sens impuissante à les aider vraiment. Et j’ai soudain compris que souvent, le seul espace de liberté qui leur restait, c’était le travail manuel, la seule expression possible de leur créativité. J’ai trouvé ça très fort. Donc il y a une réminiscence de cette recherche dans le spectacle. Et j’ai voulu ouvrir cette réflexion aux spectateurs et spectatrices qui ont assisté à des étapes de travail, et ont été avec moi pendant une heure, ou plus, au cours de dix jours de répétitions. Nous avons vécu des moments très forts. Donc, c’est un solo, mais pas une création solitaire. Cette notion de partage est essentielle pour moi. C’est aussi une pièce où, pour une fois, je danse intensément.

Galerie photo : © Bastien Capela

DCH : Pourquoi ? Vous ne dansiez plus ?
Ambra Senatore :
Déjà dans mes anciens soli, comme Eda, Moglie, ou Altro Piccolo progetto domestico je me disais il faut que tu danses à fond. Et à chaque fois je me retrouvais dans une forme théâtrale, avec des actions issues de la vie quotidienne. Et je pensais : tu as 44, 46, maintenant 48 ans, vas-y ! Donc pour une fois, je danse intensément et je cherche à m’éloigner le plus possible de ce que seraient mes « tics de langage chorégraphiques ». Et je retrouve paradoxalement, une danse que je connais depuis ma formation, mais que je n’avais jamais laissé sortir. Donc je me reconnecte à moi-même, plus jeune.

DCH : Chorégraphiquement parlant, qu’est-ce qui change ?
Ambra Senatore :
Il y a moins de petits gestes près du corps qui ont pu colorer mes performances par le passé. J’ai un mouvement plus ample et dynamique. Ce n’est pas une découverte par rapport à l’histoire de la danse, mais j’essaie de me laisser porter par le mouvement, de ne pas être trop volontaire par rapport à une donnée formelle, mais au contraire d’être bougée par autre chose de plus mystérieux. dans un but un peu utopique de se « déplacer » mentalement comme physiquement. En même temps, il y a quelque chose de très enraciné, très ancré au sol.

DCH : Il va y avoir une dimension vocale importante, pouvez-vous nous en dire plus ?
Ambra Senatore :
Comme je commençais à raconter ces récits, ou des histoires qui me venaient de ma famille, je me suis mise à parler et à chantonner. Le musicien compositeur Jonathan Seilman, avec lequel je collabore depuis longtemps, m’a alors proposé de chanter. J’ai beaucoup hésité, et finalement, je chante presque tout le temps dans ce solo, il retravaille ma voix en direct, et la mêle à ses propositions musicales. Mais ce n’est pas la voix d’une chanteuse, mais d’une femme quelconque qui chante, peut-être en travaillant, ou en rêvant… C’est aussi une façon d’être une passeuse de ces récits, de continuer à les faire circuler, à les faire exister. Et finalement, c’est aussi un duo avec Jonathan.

DCH : Vous présentez aussi Giro di Pista à Suresnes Cités Danse, quel en est le principe ?
Ambra Senatore :
Giro di Pista, tour de piste en français, est une pièce que j’ai créée avec Marc Lacourt. C’est une sorte de bal participatif, très impliqué dans le rapport avec les publics qui deviennent les complices des interprètes professionnels. En effet, nous ne proposons pas des danses existantes que nous apprenons aux participants, mais nous inventons un contexte un peu magique au début, qui est comme un sas entre la vie quotidienne et un espace de rêve, comme si nous préparions une fête ensemble, avec une musique que l’on pourrait entendre dans une « boum » afin de motiver tout un chacun ! Donc Giro di Pista, c’est vraiment le bonheur d’être dans un moment festif à travers la relation des corps entre eux dans un cadre très bienveillant.

Propos recueillis par Agnès Izrine

Sans Titre le 17 novembre à Suresnes
Giro di Pista le 9 février à Suresnes

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