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Germain Louvet

Germain Louvet a été promu Sujet le 1er janvier 2015

Danser Canal Historique : Pourquoi avez-vous choisi d’être danseur ?

Germain Louvet : Je viens de Bourgogne, non loin de Chalon-sur-Saône, ma famille est issue du milieu viticole, mon père est Franc-Comtois, rien à voir avec la danse, ni même avec un milieu artistique. Pourtant j’ai commencé la danse à 4 ans, j’étais attiré par le mouvement, j’avais envie de danser, sans la moindre référence, je n’avais pas vu de spectacle, ni de film du genre Billy Elliott. J’ai demandé à mes parents si je pouvais prendre des cours de danse car j’avais vu à l’école des jeunes le faire. Je suis passé par un cours d’éveil dans mon village, puis je suis allé au CNR de Chalon-sur-Saône, dirigé par Philippe Cheloudiakoff, où j’ai appris les bases classiques. J’y ai passé cinq années formidables, de 7 à 12 ans. Ce sont les professeurs de Chalon qui ont proposé à mes parents de me faire auditionner à l’École de danse. J’y suis entré à 12 ans, c’était l’âge limite.

DCH : L’enseignement à l’École de danse vous a-t-il paru différent ?

Germain Louvet : Au niveau de la danse, pas tellement. Quand on arrive en 6e division, on nous fait recommencer l’apprentissage plus bas que là où nous en sommes arrivés pour nettoyer, pour que l’Opéra puisse poser sa marque. On reprend donc l’École française à la base pour qu’à la fin de nos études nous soyons prêts à intégrer la troupe. Par contre, je me suis retrouvé soudain avec des garçons qui étaient dans ce milieu et partageaient cette passion, alors qu’au CNR, j’étais le seul. Du coup, je me sentais plus intégré. Tout était conçu en fonction de la danse, de notre bien-être, de notre confort. J’ai franchi les échelons chaque année – de toute façon je ne pouvais pas redoubler – et je me suis retrouvé dans le Corps de ballet.

Germain Louvet interprète Franz dans Coppélia à l'École de danse (à 7'53)

DCH : J’imagine que vous étiez heureux…

Germain Louvet : C’est une vraie fracture. On passe d’écolier à professionnel, indépendant, avec un salaire, un appartement et un programme. On est lâché d’un coup dans la vie active et c’est là que ça devient un peu difficile. Après un encadrement très strict, il faut assumer une autonomie basée sur l’autodiscipline et l’exigence envers soi-même. Personnellement, ça m’a tout de suite convenu car j’avais envie et besoin de cette indépendance. Mais il faut un temps d’adaptation dans le travail, il faut apprendre à gérer son emploi du temps.

Germain Louvet : La préparation du Concours en soi n’a pas été si difficile, sauf qu’avec Casse-Noisette, j’ai ressenti une forte pression. Il m’a fallu opérer un travail mental, psychologique. C’est la première fois que l’on me confiait un rôle de cette importance dans une maison comme celle-là, sur la scène de l’Opéra Bastille qui est impressionnante. Du coup, la préparation du Concours a été compliquée. J’ai dû faire beaucoup de travail théorique pour éviter de trop me fatiguer physiquement. Je réfléchissais à la façon dont je voulais aborder mes variations mais j’avais peu de loisir de les pratiquer. Finalement, j’ai trouvé que c’était plus facile que les précédents car ça m’a pris moins de temps et moins de place dans la tête.
Après, je ne cacherais pas que le Concours, c’est horrible à vivre. Surtout quand on est un peu attendu. Je pensais pouvoir être serein à cause de la charge de travail que j’avais parallèlement, mais ça a généré le même stress et les mêmes doutes que chaque année. Le corps ne répond pas alors forcément à ce qu’on lui demande.

DCH : Est-ce beaucoup plus angoissant qu’un premier rôle sur scène ?

Germain Louvet : Dans Casse-Noisette, le rôle est double. J’interprète donc le vieux Drosselmeyer pendant vingt minutes avant de danser les pas les plus difficiles techniquement. Il y a donc une sorte de temps d’adaptation qui permet de juguler le trac. Au Concours, c’est très violent. On passe des coulisses à la scène en un clin d’œil et soudain on est seul, on doit danser, tout est silencieux, on n’est pas porté par un public même si les gens dans la salle sont – a priori – bienveillants. Le plus dur, pour moi est d’être jugé. Je ne danse pas pour être jugé or c’est un Concours de jugement. Dans un sens, c’est normal, c’est le fonctionnement de la maison mais je trouve que c’est difficile à vivre.

DCH : Avez-vous senti, par exemple, que vous étiez en-deçà de vos performances habituelles ?

Germain Louvet : J’ai eu des soucis inhabituels sur la variation imposée du Lac des Cygnes, acte III. On n’arrive pas à tout contrôler physiquement et mentalement. Je me souviens que j’ai un peu raté les pirouettes de la fin alors que généralement, ça ne me pose pas de problèmes particuliers. Il y a des connections qui ne se font pas le jour J. Dans la variation libre, Le Lac des Cygnes, acte I,  j’ai pris plus de plaisir. Sa lenteur permet de respirer, d’entrer dans un personnage.

DCH : Qui vous a coaché ?

Stéphane Phavorin est mon coach depuis mon concours d’entrée. Il est retraité depuis deux ans mais il revient pour la période du concours pour donner des cours ici. Par ailleurs, Aurélie Dupont m’a fait répété un mois et demi pour Casse-Noisette et le travail que nous avait fait ensemble m’a servi, donc sans le savoir, elle m’a coaché aussi !

DCH : Cela vous a-t-il surpris que l’on vous confie le premier rôle de Casse-Noisette ?

Germain Louvet : Ah oui, complétement ! Je l’ai su à la fin d’une répétition. Benjamin Millepied n’était pas encore directeur officiellement. C’est Clotilde Vayer (Maîtresse de Ballet associée à la direction) qui m’a annoncé que je ne partirai pas en tournée à Montréal. Je lui ai dit, plutôt déçu : « mais qu’est-ce que je vais faire pendant trois semaines ? » d’autant que je déteste les périodes de carences. Elle m’a répondu : « Ne t’inquiéte pas, tu vas travailler, tu es sur Casse-Noisette » rien de plus. Mais je me suis douté que ce devait être pour le premier rôle, mais peut-être en tant que remplaçant. Ce qui était déjà incroyable pour moi. Le lendemain, j’apparaissais dans les grilles de distribution postées sur la billetterie sur Internet. C’est là que j’ai vu que j’avais deux spectacles avec Léonore Baulac. C’était merveilleux mais choquant, surtout que je n’ai jamais eu de rôle important jusque-là, ne serait-ce que secondaire, comme un Pas de trois. Je n’avais fait que du Corps de ballet.

DCH : Qui a pris cette décision selon vous ?

Germain Louvet : C’est une décision de Benjamin Millepied. Il m’avait vu au dernier Concours (en 2013 NDLR) et je suppose que c’est là qu’il a dû me repérer. Ensuite, j’ai participé à la création de Daphnis et Chloé qu'il a réalisée pour l'Opéra. J’ai donc répété avec lui pendant un mois et demi et je pense qu’il a évalué mon travail à ce moment là. Je crois que ça fait partie de sa politique de lancer des danseurs plutôt jeunes pour pouvoir y mettre sa marque, constituer une « génération Millepied » et nous avons été choisis Léonore et moi, ainsi que d’autres.
Ça ne signifie d’ailleurs pas qu’il veuille balayer les générations au-dessus. Mais ces dernières années, les distributions avaient tendance a plutôt récompenser le mérite et l’ancienneté que de catapulter des jeunes qui ont tout à prouver.

DCH : Pensez-vous que la jeunesse est toujours un atout ?

Germain Louvet : Tous les danseurs vous diront que les jeunes ont une énergie, un désir et une motivation qui s’émousse peut-être un peu par la suite. C’est à cultiver au sein d’une compagnie. En tout cas, ça semble faire partie de ce que Benjamin Millepied veut mettre en place.

DCH : Sentez-vous un changement depuis qu’il y a une nouvelle direction ?

Germain Louvet : J’admire beaucoup le travail qu’a effectué Brigitte Lefèvre en tant que directrice de la danse et les trois ans que j’ai passés sous sa direction on été formidables pour moi. La différence est qu’elle était sans doute plus politique et de ce fait plus lointaine que Benjamin Millepied. Dans un sens, il accomplit plus un travail de terrain. Il est dans le studio avec nous, du coup, nous avons un rapport plus facile avec lui. Nous savons qu’il nous connaît, il nous fait répéter, nous donne des conseils très personnels. Il est venu nous faire travailler avec Léonore. C’est un très bon partenaire, il faut dire qu’il vient d’une école, qui, grâce à Jerome Robbins, est magnifique pour les adages, et nous en avons profité avec Léonore pour nous perfectionner.

DCH : Avez-vous d’autres centres d’intérêt ?

Germain Louvet : J’aime beaucoup le cinéma. Je vois énormément de films, et je suis très éclectique dans mes goûts. Et j’aime également beaucoup lire, mais je dois avouer que ça fait bien trois mois que je n’ai pas ouvert un livre avec le travail intense que nous avons ici. L’été j’en lis au moins cinq ou six d’affilée.

Par ailleurs, mes frères sont très sportifs. Mon petit frère est en équipe de France de cyclisme sur certaines courses de l’année. Et mon grand frère a été jusqu’au seuil professionnel, mais a ensuite privilégié ses études, il est désormais à Science-Po Lille et continue à s’entraîner. Mais mon cadet a 17 ans, il a l’âge exact pour se lancer. On verra jusqu’où il ira. Faire une carrière dans le cyclisme est autrement difficile que dans la danse.

DCH : Vos parents sont-ils sportifs aussi ?

Germain Louvet : Mon père surtout est très sportif. Il fait du ski de fond des compétitions, de la course, de la randonnée, du vélo, il est un peu touche-à-tout dans ce domaine et je pense qu’il nous a transmis son amour du sport. Davantage à mes deux frères, car si la danse nécessite des aptitudes de sportif – c’est le moins qu’on puisse dire – ce n’est pas par goût du sport que j’ai choisi de devenir danseur.

DCH : Pensez-vous néanmoins que le fait d’avoir une famille de sportif libère, d’une certaine façon, le rapport au corps ?

Germain Louvet : Sans pouvoir répondre directement, je dirais que ça a toujours fait partie de notre culture. Nous avons tous choisi des activités physiques quand nous étions petits, que ce soit le judo, la danse, le vélo…

DCH : Avec quels chorégraphes aimeriez-vous travailler ?

Germain Louvet : J’aurais adoré travailler avec Pina Bausch… je ne désespère d’ailleurs pas de reprendre un jour Le Sacre du printemps. J’admire beaucoup William Forsythe, j’aime beaucoup Wayne McGregor. Après, c’est plutôt une question de pièces comme pour Mats Ek ou  Sidi Larbi Cherkaoui. J’ai déjà travaillé avec Sasha Waltz sur Roméo et Juliette et en ce moment, je répète AndréeAuria avec Edouard Lock. Ce n’est pas facile à apprendre car ça va très vite, et il faut être très précis, mais c’est passionnant.

Propos recueillis par Agnès Izrine

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