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Aïcha M’Barek & Hafiz Dhaou : Sacré Printemps !
La révolution tunisienne n'a rien d'un long fleuve tranquille. Mais tous les espoirs et rêves de liberté sont encore permis. Aussi, pendant que les forces politiques du pays écrivirent une nouvelle constitution, Aïcha M'Barek et Hafiz Dhaou (Cie Chatha) libérèrent leur écriture chorégraphique. En mettant en scène trente-deux silhouettes en noir et blanc, ils invitent l'espace public sur le plateau.
L'inspiration est venue de la découverte, dans les rues de Tunis, des personnages dessinés par Bilal Berrini, alias Zoo Project, le street artist devenu acteur artistique du printemps arabe. Sans qu'on le sache avant le printemps 2014, il a été assassiné à Detroit, USA en 2013. Ses silhouettes, peintes sur les murs à la manière d’un Ernest Pignon-Ernest, voire transportables, représentent les martyrs de la révolution tunisienne. Elles peuvent apparaître un peu partout dans les rues de Tunis et Berrini les exposait pendant les manifestations. Présences et souvenir à la fois, elles incarnent l'esprit de la révolution.
La présence des absences
Pour Sacré Printemps!, le dessinateur Dominique Simon a créé une trentaine de figures grandeur nature, représentant des inconnus, mais aussi des personnalités du monde de la danse encore bien vivants, qui ont compté et comptent toujours dans la vie des deux chorégraphes. Une bonne partie du plateau leur est dédiée. Des lumières couleur orange, "comme on les trouve dans la rue" émergent depuis le fond. Et ils n'ont "pas voulu de tapis de danse, mais le sol brut", en guise de pavé ou de bitume. Ils disent aussi vouloir en placer certaines au milieu du public, ce qui n'était pas encore le cas à la création, dans la salle du Toboggan (Décines).
Reste à les intégrer plus activement dans la chorégraphie pour leur donner plus de vie et de présence, et ils promettent de s'en occuper. Recherches en cours... Quelques interactions ont déjà lieu, et parfois les danseurs, habillés tels des citoyens dans la vraie vie, se mêlent aux ombres. Peut-être les traitent-ils encore avec trop de respect, ce qui peut se comprendre. On n'entre pas en contact aussi facilement avec des fantômes.
La révolution libère la chorégraphie
Depuis 2002 environ, M'Barek et Dhaou font figure de référence majeure dans la création chorégraphique tunisienne (même s'ils vivent à Lyon depuis 2006). L'émancipation du peuple tunisien a transformé leur vocabulaire dansé. Après avoir beaucoup travaillé sur le corps en force et la contrainte, ils se lancent ici dans un élan tourné vers l'avenir, à travers un éloge de la solidarité, de la fluidité et de l'harmonie.
Tous ensemble ! Jeunes et vieux, athées et musulmans, tous ont participé à ce grand cri de liberté. Les quelques solos qui se dégagent de leur mouvance collective conservent un lien sensible avec l'ensemble. On peut relever l'interprétation d'un vieillard par Hafiz Dhaou ou la musicalité dans le corps d'Amala Dianor qui passe, sans la moindre rupture, du jet de projectiles contre des forces de l'ordre invisibles à un geste répétitif et spirituel.
La lutte, la prière, la fête guident leurs pas, et les corps peuvent aussi laisser entrevoir quelques soupçons de retour à un ordre répressif. Même après les élections de 2014, la Tunisie reste à reconstruire, l'esprit du printemps 2011 à projeter vers l'avenir, si possible sans nouveaux martyrs.
Au-delà de Stravinsky…
Sacré Printemps! s'adresse à tous les mouvements citoyens, de Madrid à New York, de Hong Kong à Ouagadougou, où les citoyens demandent la fin d'un régime autoritaire. C'est pourquoi les cinq danseurs qui rejoignent M'Barek et Dhaou sur le plateau sont de cultures diverses et variées, tout comme les silhouettes dessinées parmi lesquelles on trouve Stéphane Hessel.
Et le Sacre ? C'est le bouleversement, l'électrochoc déclenché en 1913 comme en 2011, qui a suggéré à Aïcha et Hafiz le rapprochement entre le tournant chahuté de la danse et l'explosion de la société civile tunisienne. En dansant, leur groupe est aussi soudé que celui qui forme le cercle dans Le Sacre du Printemps. Mais les parallèles s'arrêtent là. L'absence de toute référence à Nijinski est juste puisque dans Sacré Printemps!, ne figurent ni Stravinsky ni provocation musicale contemporaine, ni rituel ni sacrifice, ni communauté ethnique ou issue fatale.
Et précisément, cette dimension dramatique ultime manque (encore) à la pièce, même si sa nature harmonieuse est en accord avec l'appel des chorégraphes à s'intéresser plus à ceux qui reconstruisent la Tunisie au quotidien qu'à des faits divers provocateurs.
"Libérons le printemps !", écrivent-ils. Leur pièce aussi trouvera une respiration sans entraves. Peut-être lui faudra-t-il passer par Tunis pour trouver son destin véritable, quand elle sera donnée aux Rencontres chorégraphiques de Carthage, en mai 2015. Comment réagiront les Tunisiens ? M'Barek et Dhaou disent ne savoir en rien ce qui les attendra dans leur pays d'origine. Inchallah...
Thomas Hahn
Création mondiale : les 5 et 6 novembre, Décines, Le Tobbogan/Maison de la Danse de Lyon
Sacré Printemps!
Conception, Chorégraphie : Aïcha M’Barek & Hafiz Dhaou
Interprètes : Stéphanie Pignon, Johanna Mandonnet, Aïcha M’Barek, Amala Dianor, Rolando Rocha, Mohamed Toukabri, Hafiz Dhaou
Création musicale : Éric Aldéa & Ivan Chiossone avec la participation de Sonia M’Barek
Illustration : Dominique Simon
Création lumière : Xavier Lazarini
En Tournée :
Bonlieu, Scène Nationale d’Annecy - 12 décembre 2014
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Les Hivernales d’Avignon hors les mûrs à la Scène Nationale de Cavaillon - 24 février 2015
Le TARMAC - La Scène Internationale Francophone, Paris - Du 18 au 21 mars 2015
Théâtre Le Merlan - Scène Nationale, Marseille - 27 mars 2015
deSingel – Campus Artistique International, Anvers (Belgique) - 25 avril 2015
Les Rencontres Chorégraphiques de Tunis (Tunisie) - 2 mai 2015
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