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Festival NEXT : entretien avec Nathalie Le Corre
Le festival international NEXT revient pour trois semaines, sur un large territoire transfrontalier imaginé par 5 organisateurs et 19 partenaires pour 28 spectacles innovants, hors des sentiers habituels de la programmation. Nous avons rencontré Nathalie Le Corre, co-organisatrice, pour nous en parler.
NEXT est un festival international annuel de théâtre et de danse dans et autour de l'Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai et Valenciennes. Il s'agit d'une plateforme collaborative durable dans laquelle cinq co-organisateurs et une quinzaine d'autres maisons d'art s'associent et mettent en commun leur expertise, leurs ressources et leur savoir-faire chaque année pour inviter une sélection pointue d’artistes d’envergure. Nathalie Le Corre est directrice de l’Espace Pasolini, un ancien bâtiment industriel situé dans le centre-ville de Valenciennes dans lequel on assemblait des vélos, avec une devanture du XVIIIe siècle. Il est aujourd’hui dévolu à la danse, avec des bureaux, des appartements pour les artistes en résidence, deux salles de spectacle, dont une petite, axé sur la fabrication chorégraphique qui accompagne les tout premiers projets de ces jeunes, en partenariat avec le CNSMDP. Nathalie Le Corre est co-organisatrice du festival NEXT, et la seule directrice à avoir vécu les débuts de toute cette aventure en 2008. Nous l’avons rencontrée à propos de ce festival hors-norme, à cheval sur trois territoires et réunissant quinze villes et vingt-et-une structures, françaises, wallonnes et flamandes.
DCH : Quelles sont les caractéristiques du festival NEXT ?
Nathalie Le Corre : C’est un festival pluridisciplinaire, mais où figurent de très nombreux projets chorégraphiques. Nous en sommes à la 17e édition, et nous avons renforcé la collaboration avec la Belgique qui a toujours été au sein de notre projet. Actuellement, nous avons réussi à mobiliser des partenaires des deux pays pour faire circuler les publics comme les artistes. L’idée étant de permettre aux Français d’aller en Belgique et vice-versa, ce qui, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, n’est pas si facile. Nous avons donc des artistes qui créent chez nous en résidence et voyagent dans quatre ou cinq lieux pendant le festival. Cette mobilité des artistes, permet de créer une vraie synergie entre les structures, de renforcer notre accompagnement et notre soutien, financièrement et artistiquement parlant, mais aussi d’un point de vue écologique.
DCH : NEXT propose une programmation très originale, que l’on voit peu ailleurs…
Nathalie Le Corre : Nous essayons d’avoir cette particularité au niveau international, et nous recherchons également des projets singuliers. Il faut savoir que le NEXT a un fonctionnement très particulier. Il s’agit vraiment d’une coopération transfrontalière, il n’y a donc pas de directeur artistique. Les cinq co-organisateurs (Espace Pasolini à Valenciennes, Kunstencentrum BUDA à Kortrijk-Courtrai, La Rose des vents à Villeneuve d’Ascq, Le Phénix à Valenciennes, Schouwburg à Kortrijk-Courtrai), se réunissent chaque mois, à tous les niveaux de la programmation, à savoir la direction, mais aussi la communication, les relations publiques, la technique et la billetterie. Chacun apporte ses propositions et nous en débattons. Nous essayons d’aller voir ce que les autres ont sélectionné… Ce brassage des projets et des sensibilités artistiques nourrit le festival. Les Flamands ont un tropisme allemand, ou néerlandais, les Français regardent vers le Sud, l’Espagne, l’Italie, et c’est ce qui donne sa couleur et sa saveur à NEXT.
DCH : Quels sont pour vous les projets phares de ce festival ?
Nathalie Le Corre : Begin/The Mirror, la création de Bryana Fritz et de ses complices Chloé Chignell, et Stefa Govaart autour du béguinage, un mouvement féministe médiéval très présent sur nos territoires. En 1310, Marguerite Porete, une Béguine de Valenciennes, a été brûlée vive par l’Église pour avoir écrit un livre Le Miroir des âmes simples sur l’amour radical comme pratique spirituelle. Ces premiers lieux d’émancipation féminines, car c’étaient des communautés de femmes qui s’autogéraient, où il n’était pas interdit de penser, philosopher, soigner par les plantes, éduquer, enseigner étaient à la fois des refuges pour les femmes et des lieux dissidents. J’attends donc beaucoup de ce projet puissant. Il y a aussi le projet participatif de Katja Heitmann, qui vient pour la première fois en France avec Motus Mori. Depuis 2019, elle constitue des archives dans lesquelles est stocké le noyau le plus essentiel, le plus paradoxal et le plus insaisissable de l'être humain : « être et disparaître ». Une équipe de danseurs interviewent en tête à tête des gens de tout âge et constituent une archive gestuelle à partir de ces entretiens qui portent sur nos gestes d’enfant, notre façon de dormir, notre relation aux autres… Puis ces archives sont mises en mouvement par les danseurs eux-mêmes au Palais des Beaux-Arts de Lille pendant cinq heures. C’est passionnant car cela met les gens en relation avec leur propre corps et le corps des autres, il y a des rencontres, c’est très riche.
DCH : Certains thèmes comme le féminisme, semblent apparaître fortement dans la programmation de ce festival pouvez-vous nous en dire plus ?
Nathalie Le Corre : Oui : la diversité, la parité, la dimension internationale tout en veillant à notre empreinte carbone. Nous faisons attention aussi à l’équilibre entre théâtre, danse et performance pour que l’une des disciplines ne prenne pas le pas sur les autres, même si la danse est particulièrement présente pour cette 17e édition. Sur la diversité, un certain nombre de spectacles font appel à des corps différents qui, d’ailleurs se revendiquent comme tels. Comme Raimund Hoghe. Ce sont certes des corps hors normes, mais qui ont le droit à la création. Je pense par exemple à Chiara Bersani qui montre deux projets : son solo Gentle Unicorn dans lequel, au centre du plateau et sans son fauteuil, elle expose tout un travail sur la relation, dans le sensible, notamment à partir du regard, du toucher avec le public ; et sa dernière création, Sottobosco, (sous-bois) un travail participatif avec d’autres personnes en situation de handicap qui part de la forêt, cet endroit mythique où les gens se perdent et les enfants sont abandonnés. En fait, il s’agit vraiment d’une société du soutien. Dans le même ordre d’idée, l'Écossaise Claire Cunningham explore le voyage en lui-même. Au son des Lieder eines fahrenden Gesellen (Chants du compagnon errant) de Gustav Mahler, elle établit des parallèles entre sa réalité et le monde de l'alpinisme, en faisant référence à son passé de chanteuse de formation classique.
Nathalie Le Corre : Dans un tout autre registre, Marcos Simões, un chorégraphe d’origine portugaise installé à Bruxelles, interroge la peur, à la fois force motrice, créatrice et manipulatrice dans More or Less Human. En remontant aux sources historiques de cette thématique, il s’est inspiré de cette esthétique à l’origine de nos fictions et de nos œuvres d’art. Et comme lui-même a une démarche artisanale, il tisse, brode, travaille la vannerie, pas tant pour fabriquer que pour le geste qui leur est attaché, il a réalisé un atelier dans lequel les participants construisent un objet qui serait l’expression de leur peur. C’est un thème qui traverse aussi les formes de résistances face à ce monde difficile, parfois hostile. Je pense par exemple à Katerina Andreou, que nous avons beaucoup accompagnée avec NEXT. Dans Bless This Mess, sa forme de résistance c’est le punk, son énergie « à tout casser » pour chasser la peur, la frustration et la colère. Ou Nermin Habib qui est une artiste égyptienne, philosophe, chorégraphe et danseuse contemporaine. En partenariat avec Mophradat une association qui rassemble les très jeunes artistes du Moyen-Orient, nous présentons Istehwaz (Reclaiming) qui parle de la pression et l’oppression des femmes, particulièrement dans cette région. Ou encore, La Rose de Jéricho de Magda Kachouche qui part des rites funéraires et questionne le deuil, dans une espèce de carnaval entre les vivants et les morts pour exorciser la tristesse [lire notre critique].
Nathalie Le Corre : Très joyeux aussi, le travail de Claire Croizé, Fabula, associe au groupe de musique belge Zwerm, la batteuse Karen Willems et huit danseurs du Théâtre de Brême. Les corps s’enflamment, les danseurs tournent d’une œuvre d’art faite de lumière, comme un feu de joie électrique. Ensemble, ils composent un message d’amour à la vie et à la nature, en réponse à la peur et au désespoir face à l’état du monde. Enfin, un spectacle me tient particulièrement à cœur, c’est Kono Atari No Dokoka, signé du performeur nippo-autrichien Michikazu Matsune, le peintre-performeur néerlandais Theo Kooijman et la chorégraphe Martine Pisani, chorégraphe-interprète des années 80, à partir des archives et des souvenirs de celle-ci. Elle interroge ce qui reste – ou peut rester – d’un spectacle de danse, d’un danseur, de tout ce qu’elle a réalisé… C’est un très beau travail, très tendre.
Propos recueillis par Agnès Izrine
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