Add new comment
Carole Bordes : « Matt et Moi »
Un spectacle qui sort des sentiers battus et s’empare du modern jazz, un style inventé par Matt Mattox, idolâtré par les amateurs pourtant délaissé par la danse contemporaine et le hip-hop
Carole Bordes dans Matt et Moi rend hommage au plus grand pédagogue de jazz en France, Matt Mattox (1921-2013). Cet américain de naissance, arrivé en France dans les années 1980, extraordinaire danseur des plus grands « musicals » d'Hollywood, figure incontournable de la danse jazz, conçoit un style très subtil, plus complexe rythmiquement et bien plus éclectique que ce que l’on connaissait jusque-là. Il y mêle habilement les claquettes, la danse classique et moderne ainsi que quelques pas de tradition folklorique. Il en tirera une technique d’enseignement très particulière qu’il appelle freestyle et que l’on nommera plus tard en France « modern jazz ». C’est à partir de cette technique, si particulière, et de sa rencontre à 14 ans avec celui qu’elle considère comme son mentor, que Carole Bordes conçoit sa chorégraphie.
Mais comme tous ses cours étaient soutenus par des percussions, dont il jouait parfois lui-même, il s’agit d’une sorte de duo avec Samuel Ber, où ils s’accompagnent mutuellement. Mais surtout, en revenant après un détour par le contemporain à la gestuelle Mattox, elle nous raconte l’Histoire dans sa propre histoire, et particulièrement ce récit de la danse « modern jazz » qui, si elle séduisit toute une génération de danseurs amateurs ou professionnels (et se pratique encore dans de nombreux « cours de danse » à travers la France) a été mise sous le boisseau par les danseurs contemporains et même hip-hop, qui pourtant, en étaient issus. Pourquoi ? Eh bien, Carole Bordes nous en fait elle-même l’inventaire.
Premier péché capital, c’est une danse qui se pratique « sur » la musique. Et, à l’aube de la danse contemporaine française et ses penchants Cunninghamiens, voilà qui devenait inimaginable. Second péché, son côté « sexy » qui peut vite tourner au vulgaire, surtout quand shows télé et publicité s’en emparent. Enfin, cette danse de pur mouvement, très marquée par le vocabulaire classique avec ses tours et ses grands battements, n’a pas vraiment évolué, en l’absence de chorégraphe digne de ce nom.
D’ailleurs, plutôt qu’une « chorégraphie » Carole Bordes met en scène un cours scénarisé, mais qui démontre tout ce qu’on pourrait faire d’une technique aussi virtuose à condition de l’utiliser dans un nouveau contexte, en la prolongeant, en l’actualisant. La façon qu’elle a de mettre au jour ce paradoxe est très perspicace et ingénieux. L’idée de montrer en arrière plan la silhouette et les cours du « maître » l’est aussi. Donc en résumé, voici enfin un bon spectacle de modern jazz, qui ne se prend pas au sérieux, et a la distance nécessaire pour faire voir ce que cette technique a peut-être encore à nous apprendre. Et, qui, en sus, célèbre ce grand Monsieur de la danse que fut Matt Mattox.
Agnès Izrine
Le 16 juillet 2024 – La Scierie, Avignon OFF.
Catégories: