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"Full Moon" par Josef Nadj

Superbe pièce, affirmant poursuivre une rupture engagée avec Omma la pièce précédente, Full Moon de Josef Nadj porte un regard assez sombre sur l'histoire culturelle.

Nouvelle aventure avec sa nouvelle « famille » artistique, Full Moon de Josef Nadj renoue aussi avec les racines profondes non seulement de l'œuvre propre du chorégraphe, mais aussi avec ce rêve de l'origine première que la culture du début du vingtième siècle appela « le primitivisme ». Œuvre complexe, donc, d'autant que jouant en permanence de la dialectique entre le changement et la continuité.

A priori, c'est assez simple. Plateau vide et noir, structuration globale en trois grandes périodes. La première, montage au noir de saynètes alternant un étrange personnage masqué en costume sombre, marionnette que ses mains désignent comme cachant un corps blanc, et les danseurs, du solo au groupe de plus en plus nombreux. Chaque « vision fugitive » juste éclairée par une douche de projecteur, disparaît dans l'ombre quand la tache de lumière s'éteint pour se focaliser sur une nouvelle saynète. Ainsi de suite, jusqu'à ce que les sept danseurs soient au complet et apparaissent en même temps que la marionnette-marionnettiste. Car, comme il se doit, cela s'est déjà compliqué. Ces mains : précises, dessinant l'espace, comme on l'habiterait d'êtres voletant, ne peuvent appartenir qu'à Josef Nadj lui-même, qui sous le costume et le heaume disparaît entièrement. Il est là, mais « il n'existe pas, il n'a jamais existé » comme le disait le commentateur présentant la poupée animée dans La Mort de l'empereur (1988), pièce d'un certain Josef Nadj…

La rupture qui marque l'entrée dans la seconde période est d'abord musicale. Bruitique, percussive, moderniste – ce qui aujourd'hui signifie ancienne – la bande son va petit à petit laisser place à ce jazz « initié par Duke Ellington au milieu des années 1920 qui évoque une jungle imaginaire où sont confrontés les cris des animaux à ceux des grandes métropoles modernes » (Le Mot du jour France Musique n°111, Lundi 30 janvier 2017) ; style que ces initiateurs – outre The Duke, Bubber Miley à la trompette et au trombone Joe Nanton – appelèrent, Jungle style. En somme le recours au primitif pour dire la modernité… Quant à la scène, plus ouverte et offerte que dans la première partie, rompant donc avec l'usage de Josef Nadj qui avait beaucoup pratiqué l'art de la scénographie créative, elle accueille tout l'effectif « de danseurs » (soit sans la marionnette-marionnettiste que l'on peut appeler « le sorcier ») en deux colonnes parallèles de trois, laissant le centre pour un spectaculaire solo. Très impressionnant travail dos vers le sol en appui sur les quatre membres mais que le danseur lève en rythme deux à deux et en opposition. Et cela dure jusqu'à ce que le groupe s'associe à la performance. Le sorcier vient alors dériver à la marge du groupe de sa même gestuelle précise et hésitante à la fois.

Quand tout s'est vidé à nouveau le « Sorcier Blanc » qui porte désormais un heaume simiesque tient seul le haut du plateau faisant tournoyer dans le silence un rhombe, le plus vieil instrument de musique de l'humanité… Le primitivisme n'a pas prévenu la catastrophe, ne reste que le retour à l'origine de l'origine.

Dans un interview, le chorégraphe confiait que durant la tournée de la pièce précédente, Omma pour laquelle il a rencontré ces étonnants athlètes de danse venus du Mali, Sénégal, Côte d’Ivoire, Burkina Faso ou du Congo Brazzaville, il avait beaucoup discuté et abordé « des matières que nous n’avions pas pu développer pour ce spectacle. Le groupe avait vraiment envie de poursuivre cet échange et c’était mon cas également. J’avais le sentiment que nous pouvions creuser davantage, approfondir cette recherche d’un rituel contemporain. Je considère aujourd’hui ces deux pièces comme un diptyque. » (La Terrasse, Publié le 22 mai 2024 - N° 322. Propos recueillis par Delphine Baffour). Il s'agit donc bien d'une rupture assumée pour le chorégraphe mais aussi d'une réflexion sur un « devenir d'Afrique » qui, force de l'admettre, ne pousse pas à l'optimisme béat. Pas de lazzi ni de bravos, donc.

Alors, la pièce achevée, tous sortent, puis reviennent en costume de tissus léger, heaumes sur le visage, comme ces sculptures ironiques que les artistes africains produisirent pour moquer les colons avant que de leur vendre. Il n'y aura pas de saluts.

Philippe Verrièle

Vu le 26 juin 2024, Opéra Comédie, dans le cadre du festival Montpellier danse

Full Moon en tournée

12 juillet, Festival de Almada, Portugal
18, 19 juillet, Kalamata Danse Festival, Grèce
23 juillet, Mittelfest Festival, Cidale del Fruilli, Italie
27 septembre, Théâtre Antique d’Arles
3, 4 octobre, Le Trident, Cherbourg
11 octobre, Mess Festival, Sarajevo, Bosnie-Herzégovine
17 - 19 octobre, MC93, Paris
5 novembre, Théâtre des Salins, Martigues
14 novembre, Le Nouveau Relax, Chaumont

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