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Montpellier Danse : Entretien avec Taoufiq Izeddiou

Nous avons rencontré Taoufik Izeddiou lors des répétions pour la création mondiale de La Terre en transe, à l’Agora de Montpellier Danse. Entretien.

Danser Canal Historique : Vous complétez à Montpellier Danse votre trilogie Le Monde en transe, en créant La Terre en transe, pièce de groupe pour danseuses et danseurs qui suit Hmadcha, une pièce de groupe pour hommes et Hors du monde, un duo pour un danseur et un guitariste rock. Qu’est-ce qui unit ces trois œuvres ?

Taoufik Izeddiou : C’est la question du Hmadcha ou du Gnawa qui m'habite depuis toujours. Je viens du sud du Maroc. Ma famille pratiquait le Gnawa, et j'ai donc traversé ça pendant toute mon enfance. En revanche, je ne veux pas reproduire ni la transe, ni le folklore, ni la danse traditionnelle, ni quoi que ce soit, ça ne m'intéresse pas. Je ne veux pas de cette étiquette du Marocain qui danse, ou de l’Africain qui danse. Le Hmadcha ou Gnawa sont pour moi plutôt des sources d'inspiration, pour aborder la question de la spirale et du spirituel. Ils sont source d’inspiration pour la respiration et quant au rapport à la gravité comme à l'espace aérien. C’est travailler sur la question comment on peut, à partir d'un rythme et d’un geste presque répétitifs, ouvrir un imaginaire qui peut se révéler énorme.

DCH : Le Monde en transe est un titre qui annonce, il est vrai, un imaginaire très actif…

Taoufik Izeddiou : Pendant la pandémie, je suis tombé sur une citation : « Le monde est en transe ». Et c’est ce qu’on pouvait observer tous les jours ! Il y avait comme une grande performance qui arrivait au monde, où beaucoup de gens s'inventaient des choses improbables pour se protéger, pour éviter que quelqu’un les approche. Ou bien ils réalisaient des gestes étranges. Un tel portait des CD sur lesquels il avait copié des antivirus. Tel autre coupait une orange en deux et l’utilisait comme masque. Tel autre allait dans le métro avec une ventouse pour ne toucher à rien. Il y avait comme une grande arrivée de la performance ! Le monde était en transe et j’ai pensé à la phrase « je vous demande d'arrêter le monde, je veux descendre ». A partir de là, j’ai commencé à travailler par internet avec les danseurs qui étaient tous à Marrakech et nous avons créé cette première pièce, Hmadcha. Après, il y avait la nécessité de prendre du temps, et j’ai pu créer le duo Hors du monde pour le danseur Hassan Oumzili et Mathieu Gaborit aka Ayata à la guitare électrique. Il fallait aussi que la question de la transe parte sur d'autres corps parce que Hmadcha est porté par des gens du Sud uniquement.

DCH : Comment abordez-vous aujourd’hui la création de La Terre en transe ?

Taoufik Izeddiou : Pour cette seconde pièce de groupe, il fallait remédier à l’absence de femmes dans Hmadcha, tout en évitant de tomber dans le schéma de la pièce à version masculine et version féminine. D’où une distribution mixte où je travaille avec des Français, des Belges, des Asiatiques, des Marocains ou Tunisiens, pour voir comment chacun porte en lui ou en elle cette question de la transe et du monde en transe.

DCH : Forcément, le rapport à la transe n’est pas le même chez des personnes de cultures aussi différentes. Arrivez-vous néanmoins à faire communauté ?

Taoufik Izeddiou : La transe n’est pas uniquement une chose intérieure, mais elle s’exprime aussi par une forme. Nous avons beaucoup débattu de la question autour de la spiritualité, de la spirale et des lignes. De quelle façon les lignes sont-elles nécessaires pour compléter une spirale, et comment puis-je être dans une ligne tout en étant dans une spirale ? Le but est de travailler avec des individus forts dans une communauté forte. On a besoin de l'individu, on a besoin de la communauté. En Europe, je vis dans un contexte plutôt individualiste et au Maroc dans un contexte où la communauté prime.

DCH : Vous travaillez avec de grandes bassines que vous utilisez à la fois comme objets métaphorique et comme instruments de musique.

Taoufik Izeddiou : Quand je dis « La Terre en transe », ces bassines sont la première chose qui résonne en moi. Elles ont traditionnellement été utilisées par les femmes qui allaient laver le linge dans les montagnes. En attendant que les vêtements sèchent, elles dansaient sur les bassines mises à l'envers. C’était comme une sorte de claquettes à la marocaine. Cette musique, produite par trois musiciens-danseurs, est la seule appropriée pour notre spectacle, et pourtant je n’ai pas envie de reproduire les sons tels quels. Il nous faut les transformer et les déformer, pour créer un imaginaire et traverser des frontières. Il y a donc une guitare électrique, un piano et un saxophone. Et bien sûr, ce sont ici les hommes qui dansent sur les bassines.

DCH : Comment définissez-vous la transe? Que transforme-t-elle chez la personne? Quelles fonctions a-t-elle?

Taoufik Izeddiou : J'ai vécu en permanence dans la transe, sans poser de questions, sans être analytique. Les espaces où se déroulent les nuits du Gnawa ont été mes premiers espaces de liberté. C’est là qu’on peut vivre des nuits de transe. La danse n’y est pas codée. Il n'y a pas de pas spécifiques qui soient requis pour entrer en ce qu'on appelle la transe. Il n'y a pas de codes il n'y a pas de corps en particulier. C’est un espace d'expression pour tous les corps, tous les âges, tous les sexes. La part féminine chez l'homme peut s’y dévoiler en dansant et on ne va pas le pointer le doigt. On ne va pas le regarder bizarrement. Souvent, quelqu'un répéte le même geste toute la nuit, parce qu'il ne sait que ce geste-là. Mais avec le temps beaucoup de choses apparaissent à partir de ce geste.

DCH : Les nuits du Gnawa sont donc un espace de liberté pour les hommes en particulier ?

Taoufik Izeddiou : Elles le sont autant pour les femmes qui dansent de façon plus libre et plus créative que les hommes, probablement parce qu'il y a chez elles un besoin vital par rapport à la pression de la société. D'un coup, ça devient un endroit où on se nettoie. On se libère un peu, on recrée une nouvelle page. Alors, quand je suis entré dans le studio, j'ai pu sentir l'esprit de la transe, vraiment, avec ces mouvements, cette musique, je me suis dit : c'est vraiment une échappatoire ! Nous avons peut-être envie, avec le monde, vu l'état dans lequel il est, ou peut-être besoin, de quelque chose, d'un espace, par la danse. Donc je crois à nouveau en la danse. Ça veut dire que je recrois à la danse, je recrois à la masse. Je recrois... à quitter aussi... Être hors du monde et en transe…

Propos recueillis par Thomas Hahn

Le Monde en transe (trilogie) création mondiale pour la 44e édition de Montpellier Danse

Le 30 juin 2024
Hmadcha, Théâtre de la Vignette, 16h
Hors du Monde, Hongar Théâtre, 18h30
La Terre en transe, Le Kiasma, Castelnau-le-Lez 20h30

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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