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Festival de Marseille : « Fêu » de Fouad Boussouf
Fêu, la dernière création de Fouad Boussouf sera à l'affiche du Festival de Marseille les 5 et 6 juillet. A ne pas rater !
Initialement cette pièce, prévue pour onze danseuses, devait s'intituler Feu Sacré, ce qui dans ses sens multiples dit bien l'esprit de l'œuvre. Car si la scénographie et la dramaturgie empruntent au rituel (le feu sacré), c'est surtout la remarquable énergie des dix danseuses en définitive au plateau qui s'impose. Elles ont effectivement le feu sacré, voire un sacré feu !
Pour comprendre le « initialement » d'un « Feu Sacré », il y a le succès de Näss (2018), pièce créée par ce qui était encore la compagnie Massala, pour sept hommes et dont le titre peut se traduire par « les gens ». Une déflagration d'énergie masculine, sensuelle et fraternelle qui s'emballait sur le rythme obsédant d'une musique Gnawa revisitée par le designer sonore Roman Bestion. Energie phénoménale de danseurs choisis pour leur forte présence scénique : la pièce suscita l'enthousiasme pour la chaleur de sa puissance collective. Cela rappelle le « coup » réussi par Blanca Li qui, en 1993, s'était imposée avec Nana et Lila porté par les mêmes rythmes gnawas.
Pour Fouad Boussouf, la résultante fut aussi, sinon plus, immédiate quoiqu'en léger différé pour cause de perturbations covidiennes : il est nommé directeur du CCN du Havre en 2021 (prise de fonction en janvier 2022). S'il y eut d'autres motifs, la chaleur et l'énergie de ce Näss firent beaucoup pour convaincre tant il est difficile de ne pas s'emballer derrière ces sept possédés généreux et solidaires.
Comme d'autres, Fouad Boussouf a voulu transposer l'expérience dans un univers féminin. Mais plutôt qu'un « Näss femme », comme l'avait fait Claude Brumachon pour Bohème – homme (1994) puis femme (1997) – ou plus près de nous, Jean-Christophe Bleton pour Bêtes de scène, version hommes – 2015 – puis version femmes – 2021– en attendant la rencontre des deux distributions (pour 2024), et sans oublier le parangon du genre, à savoir le Boléro –1961– de l'inévitable « Momo les Belles Mirettes » créé par une femme, Duska Sifnios, puis en janvier 1979 confié à Jorge Donn entouré de femmes, puis, six mois plus tard en juin 1979 à l’Opéra de Paris, entouré d’hommes. Maurice Béjart prouvant ainsi que l'on peut faire d'un concept aussi spéculatif un blockbuster grand public. Mais ce n'est pas dans cette direction que s'est dirigé Fouad Boussouf. En reprenant les « fondamentaux » de Näss, mais en développant un autre propos, il a plongé dans l'imaginaire du feu féminin, quelque chose d'archétypal, qui pousse vers la magie et la transe.
Comme il le reconnaît lui-même, Fouad Boussouf a auditionné de très nombreuses danseuses et la première des qualités d'un chorégraphe étant le casting, il faut citer toutes les interprètes : Serena Bottet, Filipa Correia Lescuyer, Léa Deschaintres, Rose Edjaga, Lola Lefèvre, Fiona Pitz, Charlène Pons, Manon Prapotnich, Valentina Rigo, Justine Tourillon. Certaines (Fiona, Rose ou Valentina) viennent de l'univers hip-hop, mais avec de très nombreuses expériences connexes ; d'autres (Charlène, Justine et Léa) viennent d'un univers plus académique comme le Ballet Junior de Genève ou comme Serena et Manon, respectivement issus du CNSMDL et du conservatoire d'Avignon. Lola et Filipa, ont des parcours plus particuliers, mais en somme, aucun style ne prédomine et ce sont les personnalités qui se sont imposées. Distribution remarquable d'autant que débarrassée du canon physique dominant. La revendication de corps non-conformes n'a plus rien de révolutionnaire sur un plateau, à cette nuance que l'on constate que cela est plus vrai pour les hommes que les femmes.
Quant au plateau, il tient de l'arène. Un cercle matérialisé d'un tulle qui isole le « foyer » et les dix femmes qui tournent, accélèrent, toutes ensemble, dans le même sens. Il faut attendre dix minutes et que la musique ait pris toute sa place, pour que l'une s'arrête et rompe le rythme. Avant qu’elles ne reprennent avec obstination et selon des ruptures de pas qui sont autant accidentels que propices à des variations que s'octroient les unes ou les autres. Jusqu'à la chute du tulle, soit à la moitié de la pièce, cette ronde obsédante ne cessera. Ensuite, par solo et petits groupes, la construction varie un peu mais l'on perçoit vite que cette dimension n'a pas été la plus prégnante dans la conception. La montée en tension, la force poussant à la transe, les dix comme des sorcières poussant à la folie, l'élaboration du propos tenait plus à cette juxtaposition de moment d'excès.
Dans L’Appel de la transe, Catherine Clément décrit une séance sur une plage de Dakar : « Au bord de l’océan, des femmes dansent en transe sur une arène de sable devant un millier de spectateurs. Habillées de dentelles et de robes à volants, la tête enturbannée, un chasse-mouche à la main, elles ont fait une entrée majestueuse d’un pas noble et joyeux rythmé par des tambours. La transe qui les possède, elles appellent cela “danser”. » Ce pourrait-être la meilleure description critique de la création de Fouad Boussouf.
Philippe Verrièle
Vu le 29 septembre 2023, Biennale de la Danse de Lyon, au Toboggan de Décines.
Vendredi 5 et samedi 6 Juillet 2024 à 22h à La Sucrière dans le cadre du Festival de Marseille
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