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Excentriques #3 à La Briqueterie

Le CDCN du Val-de-Marne présente des œuvres aux formes éclectiques et improbables, du 26 septembre au 7 octobre. 

La troisième édition d’Excentriques, festival créé par Sandra Neuveut, directrice de La Briqueterie CDCN du Val-de-Marne, s’affiche… excentrique ! Il y a là des artistes déjà bien repérées comme Nadia Beugré, Ruth Childs qui présentera Blast [lire notre critique], Vincent Thomasset ou Lara Barsacq, et d’autres qui rendent curieux comme Rita Lira ou Emese Cuhorka & Csaba Molnár. « Avec son titre polysémique, Excentriques privilégie l’éclectisme des formes », nous dit-on. Et effectivement, on peut entendre ce titre de moult manière. 

Le titre sied bien au CDCN, vu depuis Paris. En effet, si Paris est le centre, voire LE centre (il suffit d’y vivre pour y croire sans vergogne), alors Vitry est bien sûr un peu « ex ». Mais pas tant que ça finalement, et dans le Grand Paris qui prend forme, Vitry en vient vite à se trouver au centre. Excentriques, bien sûr aussi par rapport au fait que La Briqueterie est un centre en soi, un Centre de Développement Chorégraphique. National de surcroît.

Il est donc normal que Mathilde Monnier s’y arrête, elle qui a dirigé deux centres nationaux consacrés à la danse. Mais Excentriques surtout parce que les propositions artistiques donnent collectivement une vraie sensation d’improbable. Et si personne ne dira que Mathilde Monnier est une artiste à la marge, son Défilé pour 27 chaussures  avec l’historien de la mode Olivier Saillard est une proposition hors catégories. De la parade militaire au défilé de mode, la « randonnée mystérieuse » de Monnier est, elle  aussi, clairement excentrique.  

Certains noms aussi. Par exemple Acauã $ĦɆɌɆ¥₳ El_Bandide (copié-collé car impossible à écrire soi-même), artiste brésilien qui se décrit comme « non binaire - Artist G⃒A⃒M⃒B⃒I⃒A⃒R⃒R⃒A⃒* Coreógrafa et pédagogue ». Et il (ou ici, elle) danse à l’image de l’écriture de son nom, en tout cas si on se dit qu’il y a des chances que son solo A part vous, il y a quoi à manger aujourd’hui ?  ressemblera à ce qu’on a vu du même personnage dans Prophétiques (on est déjà né.es)  de Nadia Beugré, où il (ou elle) irradie le plateau. Et l’Ivoirienne est là, à Excentriques, car aujourd’hui incontournable. Par contre, elle s’affiche ici avec L’Homme rare, où cinq danseurs défient les codes du genre masculin, souvent nus et dos public, en se déhanchant sensuellement. Au passage, L’Homme rare  fait le lien entre Excentriques et le Festival d’Automne. 

Dans tous les cas, la vocation d’Excentriques – qui se définit en proposant « danses et métamorphoses » – colle à la sélection faite, avec  Vincent Thomasset qui crée Vidéo-Like, où il interroge notre devenir individuel et collectif, dans notre hybridation croissante avec les écrans tactiles, boutons destinés à « liker » et détournements comportementaux induits par les surfaces numériques. Ce Thomasset dont nous avons particulièrement apprécié sa création précédente, Transversari, qui interrogeait déjà notre solitude résultant de la fixation sur les médias et images, notre consœur Sophie Lesort lui attestant d’être une « œuvre splendide magistralement bien pensée » [lire notre critique]. 

Emese Cuhorka & Csaba Molnár ont étudié à la Budapest Contemporary Dance Academy et travaillent ici sur des états de transe et les modifications du corps ainsi produites, à partir de l’école du Bauhaus et de l’inconscient collectif, où les deux chorégraphes-interprètes doivent affronter le poids et l’enserrement produits par des accessoires scéniques qui enserrent leurs corps. Serait-ce une manière d’exprimer le ressenti dans un pays sous emprise d’un gouvernement de plus en plus autoritaire ?

Autre découverte venant de l’est, autre jeu avec l’empêchement : Rita Lira navigue entre danse contemporaine et urbaine. L’Ukrainienne présente son solo The Trap (le piège) où l’idée de métamorphose revient à ses origines entomologiques, quand la chorégraphe se débat avec une seconde peau qui l’enserre et l’emprisonne, tout en la captivant telle une pensée obsessionnelle dont on n’arrive pas à se défaire. A noter que ce solo, fruit d’une résidence à la Cité Internationale des Arts de Paris, peut être vu gratuitement le 29 septembre, avant les spectacles de Mathilde Monnier et Lara Barsacq. 

Et La Grande Nymphe  de Lara Barsacq, chorégraphe intrigante et authentique qui revisite l’histoire des Ballets russes à partir de sa propre histoire familiale (une branche est liée à Leon Bakst) d’un point de vue féminin, mélange habilement plusieurs niveaux de récit, entre sources historiques et intimité contemporain. Sur scène, le trio de danseuses, chanteuse et performeuses fait exister une chorégraphe oubliée : Ida Rubinstein [lire notre critique]. C’est comme si la grande mécène et révolutionnaire artistique d’il y a un siècle se réincarnait entre les trois interprètes…

Métamorphose aussi chez Léonce Noah, dans le sens où ce danseur ivoirien propose un solo telle une « célébration autobiographique », où il s’inspire de son propre quotidien : « On se cherche, on crée ses propres codes, on invente pour revivre. » Dans quelle métamorphose se voit-il alors ? « J’espérais construire un ordre performatif autour des tumultes de ma vie. Un désordre organisé que je partage avec le public accompagné de mes partenaires de scène : les palettes et les planches. » Et il appelle ça : DeZolé du XilenCe

Autour de ces spectacles s’articulent des ateliers et rencontres, projections de films où l’entrée est gratuite, parfois avec réservation comme pour le solo de Léonce Noah. Et puis, le coup final ! Ce sera Vitry is burning, une soirée festive avec le groupe SOW (Sons of Wind), ce qui nous renvoie bien à Paris is burning, ou bien Burning Floor, et donc autant au spectacle mythique de Trajal Harrell et autres Marlene Monteiro Freitas comme au film du même titre, consacré à la scène House et Voguing. Sûr que ça va secouer fort ! Pour le moment, la cheminée de l’ancienne briqueterie à la jointure de Vitry et Ivry est encore debout. On vérifiera son état après cette clôture enflammée…

Thomas Hahn 

Excentriques 2023, La Briqueterie : Du 26 septembre au 7 octobre 2023
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* La « Gambiarra » brésilienne comme intelligence pratique pour résoudre un problème du quotidien avec les moyens du bord. 

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