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22e Biennale de danse du Val-de-Marne : Entretien avec Sandra Neuveut

Sandra Neuveut directrice de la Biennale de danse du Val-de-Marne cultive résolument les multiples nuances de la danse et nous invite à découvrir une grande diversité d’œuvres…

Danser Canal Historique : Vous avez imaginé cette 22Biennale avec une grande diversité d’œuvres réunies en trois piliers : la célébration, la transmission et l’imagination. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Sandra Neuveut : Plus que des piliers je les envisageais comme des ensembles entrelacés qui se sont construits au fur et à mesure que je rassemblais les œuvres de ma programmation, et m’ont permis d’en dessiner des lignes. J’entends la célébration au sens large, dans le sens où ça peut être la célébration du patrimoine chorégraphique avec des œuvres comme Dance de Lucinda Childs, Necesito de Dominique Bagouet, puisque c’est une des premières fois qu’elle sera remontée, en relation avec les 30 ans de la disparition du chorégraphe. Célébration aussi à travers des œuvres joyeuses comme Salti de Brigitte Seth et Roser Montllo Guberna, qui fête la danse dans son potentiel de soin des corps et des âmes. C’est très joyeux, très jubilatoire, on sort de cette pièce avec un grand sourire et un fort désir de danser. Elles rendent hommage à la pratique même de la danse. Sachant que les limites de ces ensembles sont très perméables et que des pièces classées ailleurs pourraient aussi s’y référer.  Comme la création d’Aina Alegre, qui se veut une célébration de l’élément Air.

Le deuxième ensemble se situe plutôt dans la transmission et le questionnement des héritages. Mais il est vrai que j’aurais aussi pu y mettre Necesito qui est transmis aux jeunes danseurs du CNSMDP. Je trouve magnifique de voir comment cette pièce s’inscrit dans des corps d’aujourd’hui. Comment ces jeunes gens travaillent à partir de ce corpus et comment ils l’interprètent. Mais Dance, d’une certaine façon, est aussi une reprise avec une nouvelle génération de danseurs du Lyon Opéra Ballet. Donc c’est aussi une transmission et un héritage. Tout ceci pour dire à quel point ces ensembles sont poreux, et peuvent glisser de l’un à l’autre, comme dans les ensembles mathématiques avec leurs intersections. 

Pour revenir à ce deuxième ensemble, disons que certains titres comme Legacy de Nadia Beugré, qui réunit une dizaine d’amatrices autour de Nadia Beugré et Hanna Hedman pour une véritable ode au combat des femmes, ou Silent Legacy de Maud Le Pladec, questionnent déjà les origines de ces legs : De quels gestes hérite-t-on ? Comment les transmettre ? Dans le cas de Nadia Beugré, ce sont plusieurs modes de passations qui sont évoqués dans le petit « portrait » qui lui est consacré. Il y a la transmission par Robyn Orlin d’un solo créé pour elle-même dans un carton d’emballage de réfrigérateur trouvé à New York, en réponse à la présence des SDF dans les rues du Lower East Side en 1994 et Nadia le remet au goût du jour dans une interprétation puissante et provocatrice (lire notre critique). Et puis, dans le cadre de cette Biennale elle crée Filles Pétroles avec deux jeunes femmes d’Abobo, le quartier chaud d’Abidjan, qui ont autour de 20 ans et ont un parcours similaire au sien. Ce sont des filles qui viennent des danses urbaines et du monde de la rue, qui essaient de se faire une place dans un univers très masculin. Je trouve magnifiques ces emboîtements de transmissions. Nous retrouvons dans la création de Jonas & Lander cette interrogation à travers la reconstitution, sinon la réinvention du Fado Batido. La pièce est un véritable laboratoire de recherche sur ce patrimoine culturel. Cette sorte d’enquête sur cette danse disparue nous permet d’imaginer des filiations souterraines qui font partie des héritages mais restent souvent invisibles. Cette question traverse aussi CARCASS de Marco Da Silva Ferreira qui opère une sorte de syncrétisme entre danses urbaines et traditionnelles.

Sandra Neuveut : Le troisième ensemble tente d’imaginer des utopies chorégraphiques, car il me semble qu’un certain nombre d’artistes cherchent à inventer de nouvelles formes de communauté sur les plateaux. Dans ce groupe nous retrouvons Aina Alegre, avec THIS IS NOT "AN ACT OF LOVE & RESISTANCE" écrit pour neuf interprètes, quatre musiciennes et cinq danseuses,qui célèbre l’air le souffle et sa circulation.

Volmir Cordeiro avec sa communauté de clowns queer qui se cherche un nouvel Abri et se demande ce que serait de s’abriter d’un monde un peu effrayant. Mais c’est aussi le cas de Yasmine Hugonnet avec ses danseuses et danseurs ventriloques et l’idée de faire entendre de nouvelles voix. Sans parler de la grande fantaisie de Tânia Carvalho qui développe des univers passionnants. Silvia Gribaudi (italienne) et Tereza Ondrová (tchèque), avec Insectum… in Vitry nous invitent à penser le monde selon la perspective de l’insecte. C’est l’histoire d’une rencontre entre deux chorégraphes d’univers différents et ce thème des insectes me paraît particulièrement signifiant aujourd’hui. C’est peut-être l’avenir de notre alimentation, mais ils représentent aussi l’effondrement des espèces. Mais elles s’approprient cet imaginaire avec beaucoup d’humour. 

DCH : Ce qui frappe au premier regard dans cette programmation, c’est la présence en nombre de femmes. Est-ce prémédité ou vous en êtes-vous aperçue a posteriori ?

Sandra Neuveut : Ça s’est trouvé comme ça car il existe de très nombreuses chorégraphes féminines passionnantes. En tout cas, je n’ai pas voulu en faire un critère d’entrée, mais très naturellement, j’ai voulu montrer des démarches intéressantes aujourd’hui. Cependant, je suis une femme, attentive à la place des femmes dans la société, sur les plateaux, et j’ai essayé d’être vigilante afin que leurs projets ne soient pas cantonnés aux petites jauges et aux petites scènes, ce qui est malheureusement souvent le cas. Car on regarde la parité mais moins les conditions de travail qui sont offertes aux femmes. C’était pour moi un point d’attention plus fort que la place des femmes dans la programmation. 

DCH : La Biennale comprend un projet participatif de Naïf Production. Pouvez-vous nous en parler ?

Sandra Neuveut : La Grande Cordée, initiée par les danseurs acrobates de Naïf Production, est un projet participatif, intergénérationnel qui va réunir plus d’une dizaine de binômes parents enfants, créé pour la Biennale à Champigny sur Marne sur le geste du porté. Donc, là aussi, nous sommes sur une forme de transmission. Comment en tant que parents ou grands parents on porte les enfants, et comment ils pourraient nous porter. Donc ce geste du porté et ses multiples significations sont explorés. Ce sera une performance pour l’espace public si la météo le permet. C’est un temps de partage avec un tout public familial.

DCH : Le spectacle d’ouverture aura-t-il lieu à La Briqueterie ?

Sandra Neuveut : L’ouverture a lieu avec Necesito au Centre des Bords de Marne au Perreux. Car la Biennale est un événement qui se construit avec 25 théâtres partenaires. Donc le lancement doit se faire avec l’un d’entre eux, comme la clôture se fera avec Bate Fado au Théâtre des Quartiers d’Ivry. A la Briqueterie, nous avons Trio (for the beauty of it) en préouverture qui nous permet de faire un clin d’œil à l’anniversaire des dix ans du bâtiment. Il fait s’entrecroiser différentes formes de danses urbaines, le voguing porté par Alex Mugler, Ordinateur qui est un monstre, une star du coupé décalé et du roucasscass. C’est un jeune homme originaire de Côte d’Ivoire qui a une très grande reconnaissance en la matière et Carlos Martinez as de la danse urbaine mexicaine. Alex a fait partie de la House of Ninja, quant à Ordinateur je l’avais rencontré par l’intermédiaire de Nadia Beugré. Il avait débarqué à Rennes, et j’avais été surprise par le fait qu’il était extrêmement reconnu par les personnes d’origine ivoirienne !. Monika Gintersdorfer, a réuni ce collectif de personnalités de champs chorégraphiques différents mais qui ont des fondements à partager et c’est l’histoire de ce partage là sur le plateau. 

DCH :La Biennale de danse du Val-de-Marne s’étend sur d’autres départements. Est-ce une nouveauté ?

Sandra Neuveut : Il était déjà inscrit par mes prédécesseurs de rayonner sur le territoire francilien. J’ai peut-être au contraire un peu resserré la programmation sur le Val-de-Marne, parce que je cherchais des partenariats nouveaux ou à réactiver dans le Sud-Est, sur le plateau Briard, avec des lieux plus éloignés de l’offre culturelle. C’est le cas de Villecresnes ou de Boissy-Saint-Léger, par exemple, qui n’ont pas d’équipement municipal dédié ou de théâtre. Et j’estime qu’en tant que CDCN nous avons pour mission d’enrichir l’offre d’un territoire, y compris avec des formes tout terrain. En l’occurrence avec Salti, pièce généreuse et accessible, qui a une version jeune public à destination des scolaires, qui dure 50 minutes, était parfaite. Une programmation ça se pense par rapport à un contexte, et j’ai une multiplicité de contextes. La Biennale de danse du Val-de-Marne c’est une diversité géographique, de programmations culturelles, sociologique, qui fait que je dois avoir une multiplicité de propositions susceptibles de s’adapter à chaque lieu. Nous co-construisons le festival ensemble, en dialogue permanent.

DCH : Combien de spectacles ont été créés à la Briqueterie ?

Sandra Neuveut : Nous avons eu en résidence Aina Alegre, Volmir Cordeiro, Nadia Beugré, Anne Nguyen, Yasmine Hugonnet, avec également une forte présence sur le territoire de Naïf production qui n’est pas créé à la Briqueterie mais sur tout le département, et c’est ce qu’il y a de plus réjouissant. Pour nous, la Biennale de danse du Val-de-Marne est déjà commencée, et le lien avec la fonction de la Briqueterie comme lieu de création prend tout son sens en ayant ces chorégraphes qui bénéficient de cet outil et dont les créations vont aboutir dans des lieux du département. La Briqueterie avait été imaginée et portée par Michel Caserta, dans cette idée là.

DCH : C’est une Biennale plutôt joyeuse…

Sandra Neuveut : J’avais envie de ça. 

Propos recueillis par Agnès Izrine 

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