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« Revolucion Pazcifica » Jovenes Creadores del Chocó & Rafael Palacios

Le Pavillon Noir et le Ballet Preljocaj ont accueilli un projet colombien d’émancipation sociale par la danse. 

La création d’une pièce de danse n’est pas toujours l’unique raison d’être d’un projet artistique. Les dix danseurs afro-colombiens venus à Aix-en-Provence en témoignent avec chaque fibre de leur corps. Ils vivent à Quibdó, capitale du Chocó, région de la Colombie où la nature est luxurieuse et les vacanciers sont riches. Mais la répartition des richesses n’a rien d’égalitaire et pour la communauté afro-colombienne, le quotidien urbain est empoisonné par la pauvreté et la guerre des gangs. 

« Je l’envoie à la  morgue… »

Revolucion Pazcifica commence dans une salle d’attente où tout le monde lit le journal. Un homme entre, bouleversé et poussé par un besoin irrépressible de relater ce qui vient de lui arriver. Son récit alterne entre douleur, révolte et revendication, jusqu’à ce que les huit lecteurs abandonnent leurs journaux et l’entraînent dans une danse. On croyait leur camarade meurtri, mais en vérité il n’est pas sorti vaincu de la violente altercation avec son agresseur : « …sans pitié, il m’a de nouveau traité de voleur… Mais quand il en est venu à me dire que je n’étais personne / … / je l’ai frappé au visage / … / Et si un jour je le recroise et qu’il me dit à nouveau que je ne suis personne, je l’envoie à la morgue, bouche fermée, avec quatre bougies, le corps raide. » (1)

Au cours de ce premier tableau le groupe porte des combinaisons blanches qui font immédiatement penser à Oona Doherty dans son solo Hard to be soft [lire notre critique], empreint de la réalité sociale dans les rues de Belfast. Les jeunes de Quibdó arpentent le plateau avec la même véracité, cherchant d’abord à contrôler un territoire symbolique pour ensuite séduire par leur force cinétique et émotionnelle comme par leur précision, expressivité et limpidité. Ainsi dansent-ils à la fois leur fierté et l’espoir de faire de la danse un rempart contre la violence, érigeant la danse en acte de première nécessité. Il est évident qu’on ne mettra pas un cheveu entre leurs états sur scène et leur ressenti au quotidien. 

D’où un spectacle incendiaire, hautement dramatique et pourtant contagieux d’énergie vitale, où les interprètes apparaissent tels des passeurs. Autrement dit, ils sont moins danseurs qu’êtres dansés, comme possédés par des forces et des états qui prennent le contrôle, pour s’adresser au public français à travers ces corps électrisés. Ils nous parlent pourtant du réel et de leur quotidien, sous de multiples facettes qui sont bien sûr festives (les dernières tendances de la techno tropicale) mais aussi revendicatives (les assiettes vides faisant office de percussions), météorologiques (le son des pluies dans la région !) ou religieuses (les cloches qui sonnent, la procession…). 

Galerie photo © Jean-Claude Carbonne

Danser pour transformer le réel

Personne ne s’étonnera d’apprendre qu’il n’a pas été facile d’arriver, avec des jeunes que rien ne semblait destiner à une carrière artistique, à un résultat aussi professionnel. Ils ne pratiquent pourtant pas la danse pour sortir de la réalité ni pour en témoigner, mais pour la transformer, en commençant par les fondamentaux : défendre le droit à la vie, tout simplement. « Nous nous battons pour le droit à un avenir et nous devons lutter de toutes nos forces », est leur mantra. On mesure le décalage avec la vie en Europe. Aussi à Quibdó la volonté remplace les moyens financiers et la création de Revolucion Pazcifica à Aix-en-Provence n’a été possible qu’à partir de l’engagement de deux personnalités et de leur dévotion totale, des deux côtés de l’Atlantique : A Quibdó, Katherin Gil. Au Ballet Preljocaj, Nicole Saïd, la cheffe de tous les projets. 

Danseuse et avocate, Katherin Gil a su trouver le soutien du Ministère de la Culture de Colombie et de l’Universidad del Valle et réussi à intégrer 400 enfants dans sa Corporación Jovenes Creadores del Chocó où ils pratiquent le théâtre et la danse, tout en bénéficiant de formations sociales diverses. Le centre fondé par Katherin Gil est un oasis de paix dans une tempête urbaine. « Les gangs recrutent les enfants dans la rue », témoigne Katherin Gil. « Dans ce contexte on n’a que deux options. Soit on travaille pour les services publics soit on rejoint une bande. » A rester seul, on risque d’essuyer les balles perdues. Et surtout, les trafics permettent de gagner un peu d’argent. Certains des danseurs venus au Pavillon Noir ont effectivement fait partie de gangs criminels. « Une fois j’ai rassemblé un maximum des 400 jeunes qui participent au projet et leur ai demandé qui avait fait partie d’un gang. Neuf sur dix ont levé la main. » 

Chocó – Provence, nouvel axe d’échanges

En résidence au Pavillon Noir pendant plusieurs semaines, les Jovenes Creadores del Chocó ont partagé leur énergie dans des ateliers partagés avec le Ballet Preljocaj Junior et au cours d’une résidence au Lycée Zola d’Aix-en-Provence. Côté scène, ils ont finalisé au Pavillon Noir une création évolutive sur laquelle ils travaillent depuis plusieurs années, au sein d’un projet qui offre autant d’accompagnement social qu’éducatif et artistique. Comme son nom l’indique,  Revolucion Pazcifica  porte leur désir d’une révolution pacifique – entendez : que les jeunes de Quibdó puissent vivre sans tomber dans le giron de groupes criminels armés. Ce réel fomente l’impact, le souffle et l’âme de leur danse. Sans oublier le rôle du chorégraphe. Rafael Palacios qui consacre sa carrière à l’éveil et la reconnaissance de la danse afro-colombienne, est aujourd’hui un artiste qui compte en son pays. Avec sa compagnie Sankofa il s’est déjà produit à Paris et devrait présenter une nouvelle création au Pavillon Noir la saison prochaine. 

Aussi un nouvel axe d’échanges et de communication est en train de se mettre en place et de démontrer le besoin criant d’échanges et de liens. Le sens de telles initiatives va au-delà du symbolique car les conséquences des rencontres interculturelles peuvent être fondamentales pour l’individu et structurantes pour la collectivité. Mais les menaces sont permanentes et non seulement budgétaires. L’isolement a de multiples visages, de la fermeture des frontières en raison d’un virus à une nouvelle école de pensée qui veut en finir avec les voyages en avion. Les économies d’énergie peuvent se faire ailleurs, même dans les théâtres accueillant des groupes comme les Jovenes Creadores del Chocó en Europe. Pour atteindre la sobriété énergétique, on réduira simplement le chauffage, vue que cette troupe dégage de la chaleur pour cinq. 

Thomas Hahn

Vu le 10 novembre 2022, Aix-en-Provence, Pavillon Noir 

(1) La Grande insulte, poésie de la région du Chocó, de Miguel A. Caicedo Mena (traduction incluse dans la feuille de salle). 

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