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« La Leçon » selon Marie-Claude Pietragalla & Julien Derouault

Le Théâtre du Corps poursuit sur son chemin avec l’œuvre de Ionesco. Et fustige le totalitarisme par une Leçon  magistrale. 

Une relation privilégiée s’est nouée entre le l’œuvre d’Eugène Ionesco et le Théâtre du Corps de Marie-Claude Pietragalla et Julien Derouault. Comme entre danse et théâtre tout court. Après Les Chaises et M. & Mme Rêve, le binôme présente sa troisième création d’après une œuvre du maître de l’absurde. « Nous sommes en dialogue avec sa fille qui nous accorde sa confiance », raconte Pietragalla après la représentation à Arcachon, au festival Cadences. Dans La Leçon, elle n’est pas en scène, portant parallèlement son solo Pietragalla la femme qui danse, autoportrait en mode rock-star, présenté quelques jours plus tôt au Temps d’aimer, à Biarritz. Ce qui permet par ailleurs de tourner les deux spectacles en même temps. Pratique, puisque La Leçon fera longuement halte à Paris en octobre et novembre. Et il ne faudra pas s’en priver ! Ceci non seulement parce que Julien Derouault réussit une vraie prouesse dans le rôle du professeur, mais surtout parce que l’adaptation est en soi magistrale. Une vraie leçon, en somme. Où la danse soutient à merveille l’engagement d’Ionesco contre toutes formes de tyrannie et de totalitarisme, mettant à nu les rapports entre érotisme fantasmé, le refoulé et la violence. A l’heure où les tentations néofascistes de tout poil ressortent par tous les trous, le spectacle frappe juste. 

Mais les liens de la pièce avec notre époque sont multiples. Absurde et hautaine, l’attitude du professeur n’est pas sans évoquer le comportement masculin connu comme mansplaining ou en français, mecsplication, avant que les relations sulfureuses ne passent à l’inavouable, à la bête immonde qui selon Brecht est toujours prête à ressurgir depuis l’abîme de l’humanité, ce ventre du mal encore si fécond. La danse est le langage parfait pour s’adresser à ceux qui restent sourds car leurs oreilles sont des gouffres, selon Ionesco. Dans l’interprétation de Derouault, le personnage du professeur devient un Ubu sans couronne, un dictateur dont la voix fait tomber à la renverse l’ensemble des élèves. Quand le groupe se relève, tous se mettent à taper du pied dans une frénésie patriotique qui ne laisse aucun doute quant à son absurdité, ni son potentiel de dégénérer en cruauté. 

« La Leçon est bien une leçon sur la nature humaine, les rapports de pouvoir et le contrôle de la réalité », disent Pietragalla et Derouault. Cette leçon tient aussi par les unissons qui, sur un mode burlesque, au ralenti ou dans l’effervescence d’une rave party, donnent à cette Leçon une énergie collective qui sert autant la danse que la réflexion. Mais cette dernière entre en jeu après le spectacle qui, constamment secoué par les rebondissements aussi amusants qu’angoissants, tient en haleine de bout en bout. Aussi Derouault et Pietragalla font ressortir les fibres psychanalytiques d’Ionesco, dans les unissons comme dans les duos sans modération entre le professeur et sa victime, incarnée par une Manon Chapuis qui alterne entre provocation et états d’abandon fulgurants. On la voit par ailleurs aussi comme Juliette et comme Carmen dans Mythologies, autre spectacle récent du Théâtre du Corps. 

Galerie photo © Pascal Elliott 

En multipliant le personnage de la petite élève, et parfois celui du professeur, ils passent de l’histoire personnelle à l’évocation de mécanismes généraux, à un regard sur l’école comme pilier d’un système général. Rien à voir avec le classicisme théâtral de la mise en scène à l’affiche depuis une demi-éternité au Théâtre de la Huchette. Rien à voir non plus avec les unissons qui surgissent de plus en plus sur les scènes et semblent parfois trahir un inconscient ambigu. Bref, Derouault et Pietragalla se saisissent d’Ionesco pour l’éclairer de manière pertinente, dans un retour aux sources qui aurait réjoui ce grand auteur du XXe siècle qui déclara par rapport à son écriture : « Sur un texte burlesque, un jeu dramatique. Sur un texte dramatique, un jeu burlesque. Faire dire aux mots des choses qu'ils n'ont jamais voulu dire.» Rien de mieux pour cela que la danse…

Thomas Hahn 

Vu le 25 septembre 2022 ; festival Cadences, Arcachon, théâtre Olympia

A Paris, Théâtre de la Madeleine : 

La Leçon  à partir du 14 octobre 2022

Pietragalla la femme qui danse  à partir du 15 octobre 2022

 

 

 

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