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Ballet de Lorraine : « Decay » de Tatiana Julien et « Twelve Ton Rose » de Trisha Brown
Un programme croisé qui fait se rencontrer le nouveau et l’ancien, avec la recréation d’un classique de la fin du siècle dernier, et une nouvelle création d’une chorégraphe invitée bien ancrée dans le présent.
Cette saison intitulée « Ready ! (Made) », avec le clin d’œil à Duchamp porte l’idée de se tourner vers la reconstruction d’œuvres passées, qui prennent encore du sens aujourd’hui, avec la perspective de réenclencher quelque chose de novateur, d’audacieux, sinon d’avant-gardiste. C’est, pour Petter Jacobsson, directeur du CCN-Ballet de Lorraine et Thomas Caley, coordinateur de recherche au sein de la compagnie une façon de donner une culture chorégraphique au public, ce qui fait partie, selon eux, des missions d’un CCN. Après Air-condition qui constituait le premier volet de la saison, voici le programme 2 qui réunit une œuvre majeure de Trisha Brown et une création de Tatiana Julien.
La dimension de recherche est primordiale pour le CCN-Ballet de Lorraine et son directeur. C’est pourquoi il constitue des soirées qui reprennent certaines œuvres marquantes du répertoire du XXe siècle en les conjuguant avec des créations d’aujourd’hui. D’un côté, cela permet à des danseurs d’aujourd’hui de se confronter à des techniques plus anciennes afin d’appréhender physiquement ce qu’elles peuvent leur apporter, mais aussi ce que leur interprétation peut induire de changements dans la vision de cette œuvre.
C’est typiquement le cas de la reprise de Twelve Ton Rose, une création majeure de Trisha Brown. Pour Petter Jacobsson : « C’est une conversation entre les œuvres et eux, et c’est confondant de regarder les pièces avec le regard des jeunes qui arrivent et ont leur idée des choses. ». Il ne s‘agit donc pas d’inscrire Trisha Brown au répertoire « parce que c’est un grand nom de l’histoire de la danse », mais « pour voir comment une telle recherche sur le mouvement à l’époque des années 70 peut se transcrire dans les corps des danseurs d’aujourd’hui qui ont une formation très différente » explique Thomas Caley. Confronter cette grande chorégraphe américaine à la création de Tatiana Julien, c’est un déclencheur. Une bataille intéressante. Twelve Ton Rose, avec son titre en forme de jeu de mots autour du dodécaphonisme (twelve ton rows ou douze rangées de tons) est une sorte d’étude de l’œuvre d’Anton Webern. Des extraits de plusieurs opus viennent perturber les corps, créant une danse surprenante qui dévoile au spectateur l’immense affinité entre Brown et le compositeur autrichien. Volutes et circonvolutions forgent une nouvelle époque de la gestuelle de la chorégraphe en relation avec la musique. Entrelacs et portés impondérables, tissent un contrepoint serré avec des mouvements multipliés, superposés, télescopés, étirés et condensés. Pièce majeure de la chorégraphe américaine, la transmission de Twelve Ton Rose à neuf danseurs du Ballet de Lorraine, accompagnés des musiciens de l’Orchestre de l’Opéra National de Lorraine, fait événement.
Confronter cette grande chorégraphe américaine à la création de Tatiana Julien, c’est un déclencheur. Une bataille intéressante. D’autant que, selon Petter Jacobsson et Thomas Caley les deux femmes ont pour point commun « un fort caractère » et « un souci de l’exactitude » qui vient défier le talent des interprètes.
Tatiana Julien propose un travail qui se situe vraiment dans la recherche chorégraphique. Elle donne les idées, les concepts, les consignes, mais après ce sont les danseurs qui explorent et improvisent. Pour Decay, (décomposition, déclin ou décadence) sa création, elle travaille sur le ralentissement selon un axe purement chorégraphique et abstrait. « Je pense, dit-elle, à la distance de freinage de l’avion sur sa piste d’atterrissage, à l’inertie du paquebot en face de l’iceberg, à l’urgence d’inverser le cours des choses. Je conçois Decay comme une ode à la lenteur, devant l’injonction à aller toujours plus vite. Comme un retour en arrière nécessaire, en réponse à la ruée en avant. C’est une lenteur qui se révèlera dans l’agitation de l’ensemble. »
Elle travaille aussi « sur la notion d’effondrement, sur des corps qui s’écroulent et viennent faire écho à l’affaissement d’autres corps. Il y a un important travail d’écoute entre les danseurs, de sensorialité, de porosité entre les corps qui fait que l’on arrive dans un état de plus en plus sensible ».
Aujourd’hui, les publics comme les programmateurs ont bien enregistré que le CCN-Ballet de Lorraine est une compagnie résolument contemporaine, de création. Et son directeur est heureux de donner cet outil de 26 danseurs à de jeunes chorégraphes de talent, d’autant qu’ « inviter tous ces auteurs a modifié en profondeur la compagnie ».
« Aujourd’hui, affirme Petter Jacobsson, le dialogue entre danseurs et chorégraphes fonctionne très bien. Certains arrivent avec l’idée de travailler avec un corps de ballet et repartent en disant n’avoir jamais imaginé un groupe comme celui-là. »
Agnès Izrine
Les 2, 3, 4 mars 2022 à 20h / 6 mars 2022 à 15h à l'Opéra national de Lorraine
CCN Ballet de Lorraine
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