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« West Side Story (2021) » de Steven Spielberg

Le musical aux dix oscars inspiré du Roméo et Juliette de Shakespeare, coréalisé en 1961 par Jerome Robbins et Robert Wise, vient de faire l’objet d’un remake signé de l’auteur deDuel (1971), Steven Spielberg.

Malgré ses défauts (la durée excessive, les redites, la bien-pensance), la copie, selon nous, vaut l’original, voire dépasse celui-ci. Si nos souvenirs sont bons, Robert Wise avait été chargé par la production d’encadrer Jerome Robbins et, le cas échéant, de le recadrer, celui-ci prenant tout son temps pour faire répéter ses danseurs. Mis à part l’introduction, West Side Story fut entièrement tourné en studio, en 70 mm, et magistralement monté grâce à l’expertise de Wise. L’original est plus court que la copie, malgré la durée inhabituelle d’un générique de Saul Bass faisant aussi office d’ouverture musicale. Le film de Spielberg va droit au but et se rattrape dans le déroulant final, aux petits oignons, dans lequel il dédie l’œuvre à son paternel, mort plus que centenaire l’an dernier. Cette information est intéressante dans la mesure où elle justifie cette appropriation, ce décalage avec le goût actuel du grand public, plus sensible somme toute à l’art mineur des Marvel Comics portés à l’écran, comme le Spider-Man dernier cru remplissant bien mieux les salles obscures que les films d’un genre déjà suranné en 1961, celui du théâtre musical. 

On peut penser qu’Arnold Spielberg tenait en haute estime le film de Jerome Robbins-Robert Wise ou, du moins, la partition de Leonard Bernstein. Son fils est donc passé à l’acte, quoi qu’il en ait coûté. Et Robbins passe à l’as, de nouveau, à la trappe, on ne sait trop pour quelle raison – s’agit-il uniquement de velléité jeuniste ? Il est cité au générique mais substitué par le chorégraphe trentenaire Justin Peck. La chorégraphie de celui-ci nous a paru débordante d’énergie : moins indolente ou « modern jazz » que l’originale, très efficace et enlevée. Aussi bien dans les numéros choraux que dans les pas de deux. Le duo de Tony, l’un des fondateurs des Jets (incarné par Ansel Elgort) avec Riff (joué par Mike Faist), à propos du revolver, sur le débarcadère aux planches vermoulues, est tout à fait réussi. Celui de la troupe au complet dans le gymnase transformé en dancing est particulièrement spectaculaire. Le ballet de groupe en pleine rue est également très convaincant, qui inclut des danseurs figurants, parmi lesquels un « extra » à la gestuelle proche du hip hop.

Pour ce qui est de la mise en scène et de la réalisation, tout se passe comme si Spielberg avait voulu condenser deux succès de Broadway en un seul, deux créations de Bernstein et de Robbins, West Side Story (1957) et On the Town (1944), en même temps que deux hymnes à New York. De l’adaptation filmique, par Gene Kelly et Stanley Donen, du musical On the Town, Spielberg a gardé l’idée du tournage en ville pour toutes les scènes en extérieur. Il est possible qu’il ait apprécié à juste titre le film NY Export : Opus jazz (2010) de Jody Lee Lipes et Henry Joost, d’après le ballet éponyme de Robbins qui date 1958. On retrouve en effet dans West Side Story la même fluidité des travellings, le soin apporté aux cadrages, l’air autour des danseurs. Tandis qu’Opus jazz tire profit de la lumière du jour, West Side est bien plus nocturne, la tragédie l’exigeant. L’opus de Spielberg n’est pas qu’un film de danse : c’est aussi et surtout un film d’art plastique. Ce, dès l’entame, avec le larcin de pots de peinture dans le chantier de démolition qui menace de déloger les deux communautés plus que les rivalités chauvines suivant la logique de gentrification des villes à l’échelle planétaire. Les pots de peinture passent de main en main et l’un d’entre eux fait le joint entre la ville en ruines et l’intérieur du refuge des adolescents attardés.

Le mural représentant le drapeau portoricain (les spécialistes estiment que le bleu du film ne correspond pas tout à fait à celui de la bannière) est taché ou taggé par les Jets, ce qui envenime les rapports entre les deux groupes. Tandis que le décorateur de Jacques Demy, Bernard Evein, dut repeindre en tons pastels une bonne partie de la ville de Rochefort pour les besoins d’une comédie musicale à la française, ceux de Spielberg n’ont eu qu’à éliminer du champ les antennes de télévision, les climatiseurs et les grilles aux fenêtres devenues réglementaires pour retrouver un décor fifties pur jus. Certains numéros musicaux sont un peu trop sucrés pour nous – on pense par exemple à One Hand, One Heart, qui est en outre sulpicien, pour ne pas dire kitsch. Mais, dans l’ensemble, on évite la mièvrerie, grâce au swing qui se dégage de certains thèmes, à l’abattage des personnages féminins, à la virilité des machos de service, à l’humour des scènes avec les policiers, au punch des danseurs. Et au parti pris réaliste, et même hyperréaliste, d’ensemble.

Nicolas Villodre

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