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« Dolldrums » de Laure Delamotte-Legrand en collaboration avec Julie Nioche
Rendez-vous sur notre nouvelle plateforme de films de danse. Une autre manière de découvrir la danse !
Dès dimanche 7 novembre et pendant une semaine non-stop, vous pourrez visionner Dolldrums.
Notre plateforme s’emploiera à mettre en valeur des films et vidéos consacrés à la danse, des captations de pièces chorégraphiques, mais aussi et surtout des œuvres par elles-mêmes, tous genres confondus – documentaire, expérimental, film d’art, etc. – présentant un intérêt particulier et ayant une incontestable valeur artistique.
Dolldrums est le titre d’un film illustrant « quatre âges de la vie », réalisé par Laure Delamotte-Legrand avec la chorégraphe Julie Nioche. Le projet d’ateliers d’arts plastiques et de danse, initié en 2016, a abouti en 2019 à ce film sans parole, accompagné par une création musicale d’Eric Thielemans. Les parties correspondant aux trois premiers âges de vie ont été tournées en milieu scolaire, avec des classes de collégiens de Seine Maritime, de lycéens du Val-de-Marne et d’écoliers du Val-d’Oise. Celle du quatrième âge, d’une longueur et d’une langueur plus musarde, a été réalisée avec un groupe d’adultes dans le cadre magnifique de la Bibliothèque universitaire du Havre.
Soyons positifs
Dolldrums, calembour qui condense « doll » (poupée, en anglais) et « doldrums », terme marin désignant le calme au milieu de la tempête doit être en ce sens positif, indépendamment de toute connotation péjorative. Car doldrums peut être également traduit en français par le « marasme » qui résulte du chagrin, de l’apathie, de la neurasthénie, du découragement, du mal-être, de la dépression, de la désillusion, de l’anémie. Ce calme ou « pot au noir » est signifié, dans le cas qui nous occupe, par diverses procédures ou modes de relâchement du mouvement. Ces formes de ralenti, la danse, la vidéo et la vidéodanse sont bien placées pour les connaître, les rendre perceptibles, les restituer. Les classes d’âge vont, disons, de 7 à 77 ans ; elles se suivent sans se ressembler, sans qu’on puisse pour autant les confondre.
Il est des chances que la réalisatrice, la chorégraphe et son assistante, Milen Gilabert, aient adapté la gestuelle à chaque tranche d’âge, qu’elles aient recouru à des stratagèmes théâtraux pour donner la sensation d’unité et de continuité. En premier lieu, il y a la musique d’Eric Thielemans, électro-percussive, qui crée du lien ou du liant. La production a aussi fait l’emplette d’un vestiaire de sweatshirts rouge vif à capuche dégriffés habillant les protagonistes unisexement, pour ne pas dire uniformément. Enfin, les auteures ont demandé à un ferronnier havrais, Vincent Renaux, de customizer les chaises scolaires, aux pieds rouge carmin, pour ce qui est des pieds, des chaises aux normes NF de type 510 – l’équivalent pour le siège fonctionnel et robuste, de ce que fut le 501 pour le jean. Ce mobilier a été hybridé, déformé, ressoudé, façon « deux chaises l’une ». Ces sculptures à multiples pédicules ont aussi une fonction scénographique.
Art minimal
Dès le début, le dispositif est dévoilé, qui paraît tout simple : une caméra fixe, posée sur pied. Deux chaises d’école aux montants, à la traverse et aux pieds en métal rouge sont posées au premier plan. Les enfants viendront tour à tour par un ou par deux s’y poser, dans les positions variées, passant de l’une à l’autre avec légèreté. La caméra enregistre ce qui se passe, qui passe ou pas devant son champ, dans les recoins et les longs couloirs des établissements donnant accès aux salles de cours et, à un moment donné, à la cour de récré. Des fondus-enchaînés servent tantôt d’ellipses à une action manquant durer plus que nécessaire, font tantôt se succéder une galerie de personnages, chaperons rouges parfois surgis du Diable Vauvert, tous camouflés, dirait-on, du même haut de survêtement, mais, à y regarder de plus près, distincts par leur morphologie, leur coiffure et par leur qualité de mouvement.
On pense alors au film structurel d’Ernie Gehr, Serene Velocity (1970), montrant un couloir vide, sans la moindre trace humaine, sans action autre que celle de la caméra, en l’occurrence de légers coups de zoom avant et arrière, des vibrations, des clignotements, des cadres clairs-obscurs dessinés sur les murs et le plafond, reflétés sur le PVC luisant du sol. Mais ici, cela s’agite nettement plus, quoique mollement, dans le profilmique. On reste en intérieur, dans l’institution, on ne baguenaude pas hors les murs comme les écoliers du quartier de la Bricarde à Marseille filmés par Luc Riolon dans Mansouria (1991) et chorégraphiés par Josette Baïz. En tout cas, enfants comme adultes ont été affranchis : ils ne regardent jamais la caméra, restent ce qu’ils peuvent sur leur quant-à-soi. On est là pour jouer, pas pour s’amuser ! Au bout d’un moment, la réalisatrice change d’angle, voire de point de vue. Tout a l’air net, neuf ou rénové dans les établissements filmés. Tout se déroule en sourdine, ce qui n’a rien de naturel. D’un lieu à l’autre, des éléments de décor changent : le carrelage change de teinte ou la mosaïque de motifs.
Anti-spectacle
À la concentration des enfants et des ados succède le silence assourdissant d’un groupe d’adultes – quadras, quinquas et sexagénaires confondus. On veut parler des usagers, étudiants et chercheurs plus ou moins chenus fréquentant habituellement la bibliothèque universitaire du Havre. Il ne passe en revue ni les activités du lieu, ni ses coulisses, ni ne met en scène les bibliothécaires comme le faisait le classique d’Alain Resnais Toute la mémoire du monde (1956). La chorégraphie a dû s’adapter non seulement à ce vaste espace mais également au mobilier sur place. Les architectes de la bibliothèque, René et Phine-Week Dottelonde, ont dû être stimulés par Auguste Perret et, surtout, Oscar Niemeyer, à qui l’on doit la Maison de la Culture.
Il est possible que la cinédanse belge ait inspiré Laure Delamotte-Legrand dans sa façon de mettre en valeur la danse et son cadre. On pense au film de Wolfgang Kolb, Hoppla ! (1988) sur la chorégraphie éponyme d’Anne Teresa De Keersmaeker, tourné dans la bibliothèque aux lignes épurées de Gand signée de l’architecte Henry Van de Velde ainsi qu’au court métrage du Bruxellois Thierry De Mey, One flat thing, Reproduced (2006) basé sur une pièce de William Forsythe. Dolldrums ne détourne ni la langue des signes ni les gestes des métierscomme avait pu faire Pascale Houbin s’inspirant du théâtre visuel d’Emmanuelle Laborit (cf. Le P’tit bal, 1993, de Philippe Decouflé) et, par la suite, des 24 portraits (1987-91) d’Alain Cavalier sur les tournemains de professions en voie de disparition. Le film ne se limite pas au geste gratuit pour ne pas dire pur que peut être la danse. Les petits gestes quotidiens stylisés jadis par des chorégraphes comme Dominique Bagouet ou Édouard Lock, sont ici sublimés par les danseurs amateurs.
Nicolas Villodre
Interprètes : Erwan, Kassandre, Maxime, Ymen, Raphael, Romain, Keny, Dylan, Shaïna, Théo, Enric, Justine, Paloma, Bastien, Charlotte, Ricardo, Amandine, Daïmond, Fiona, Deljan, Walid, Baptiste, Eléonore, Emma, Elimane, Alice, Julie, Lucille, Alexane, Elodie, Oriane, Nicolas, Dasel, Lisa, Shiyi, Jennifer, Gael, Feliciano, Noé, Yasmine, Ilyas, Selma, Nabil, Meryem, Gaël, Jouaine, David, Sabia, Yohenn, Amara, Hedi, Dylan, Sarah, Malak, Rana, Arris, Salma, Elena, Maely, Eva, Messaouda, Mehdi, Ahmed, Samy, Mohamed, Maeva, Alexia, Anissa, Louna, Myriam, Estelle, Yasmina, Enzo, Anissa, Yacer, Sirine, Violette, Alexandre, Ludivine, André, Elysia, Victoire, Lorenzo, Joël, Mourad, Kyam, Angélica, Nour, Zéna, Ambrine, Noella, Wissam, Haroon, Rami, Salima, Hania, Christophe Gadonna, Martine Lhoste Fouquet, Brigitte Maitrepierre, Gwenaëlle Ruellan, Mary Riehl, Florence Igel, Sylviane Bailleul, Mohamed Sharif, Ismael Hussin, Carine Hautot, Hassan Hamdin, Caroline Granger, François Maitrepierre, Philippe Bonneau, Joël Cornet, Jacques Lalgade, Laurence Lecoquierre, Alexandre Cluzet.
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