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Entretien Didier Deschamps
Didier Deschamps évoque pour Danser Canal Historique la situation actuelle et la reprise des spectacles à Chaillot Théâtre national de la Danse en octobre prochain.
DCH : Que pensez-vous de la situation actuelle et du flou qui semble régner sur la reprise des activités culturelles ?
Didier Deschamps : Personne ne peut prédir l’avenir, ce que je comprends et admets parfaitement. Il y a tant d’inconnues et de conséquences, qui font que nous ne pouvons rien affirmer… Mais il n’en reste pas moins, que je suis quand même en attente, et je crois que c’est général, d’un signe. De même que le politique nous dit « je ne sais pas » sur un certain nombre de choses, il n’empêche qu’il prend des décisions, sur un certain nombre de secteurs, quitte à les revoir en fonction de l’évolution de la pandémie. Mais nous avons le sentiment que la culture n’est pas une préoccupation majeure, voire est renvoyée après tout le reste, comme si, il n’y avait pas de temps pour s’en occuper. Sauf qu’il existe un ministère de la Culture qui est tout de même là pour prendre un certain nombre d’initiatives, ce qui nous ferait grand bien.
DCH : Peut-être les politiques attendent-ils de voir le résultat du déconfinement ?
D.D. : Encore une fois, nous le comprenons très bien… mais ce sont les mêmes conditions qui permettent d’envisager que l’école reprenne, que tel ou tel magasin réouvre, que l’on puisse prendre le métro dans telle ou telle condition. Donc il me semble que le même travail peut être fait par rapport au spectacle. C’est vraiment le point qui nous bouleverse assez, de se dire que toutes les projections sont faites pour un grand nombre de pans d’activité de la société, mais en ce qui nous concerne, la seule indication que nous ayons, c’est qu’on l’envisagera on ne sait quand. C’est un peu difficile à concevoir. Ce n’est pas qu’il y ait des points aveugles ou des restrictions drastiques, nous sommes les premiers à les vouloir afin de préserver la santé de tous. Mais justement, pour les mettre en œuvre encore faut-il qu’il y ait des options, même si celles-ci évoluent.
DCH : Diriez-vous que ça met la Culture au niveau du divertissement ?
D.D. : Exactement. Mais même dans cette optique, on voit bien qu’il y a des décisions prises par rapport au foot par exemple. Certes il draine une dimension économique importante et c’est une préoccupation populaire et qu’il faut donner des persectives. Mais ça fait un peu penser à l’ancien adage : du pain et des jeux.
DCH : Comment, dans ce contexte, avez-vous donc envisagé les choses pour une reprise des spectacles à Chaillot ?
D.D. : J’ai pris une position radicalement différente. J’ai repoussé au 14 octobre, la reprise de la saison en terme classique, parce que les créations que nous avions prévues avant ne peuvent pas se tenir. Je n’allais pas ajouter d’autres spectacles car économiquement ça ne passait pas. Mais par contre, j’ai pris la décision que nous restions dans le cœur de nos missions, en cohérence avec notre économie. Celle-ci est relativement simple à comprendre. Nous avons une subvention qui, pour l’instant, est maintenue. Elle correspond au théâtre en ordre de marche. Tout l’artistique est financé par nos recettes propres, à savoir les spectacles et les locations d’espaces. Or il n’y a plus rien jusqu’en septembre. La billetterie, les tournées des productions maison, il n’y a plus rien. Par contre, nous avons déjà payé toutes les compagnies, tous les spectacles que nous avions programmés. Les parts de coproductions sont maintenues. Nous verrons ce qui se passe après.
DCH : C’est un bel effort en faveur des artistes et des techniciens…
D.D. : Si un théâtre national ne tient pas ses responsabilités et son devoir de solidarité, c’est quelque chose de gravissime. Et dans ce cas, il ne sert à rien de faire des déclarations ou de tenir des discours, si au moment du rendez-vous ultime, c’est-à-dire de tenir ses engagements, et rappeler que l’on est là pour les artistes et en médiation avec le public, il n’y a personne. Dans ce cas, notre existence même n’a plus de sens.
Cela engendre d’énormes difficultés économiques, mais nous l’avons fait à la hauteur des capacités que nous pouvions mobiliser. Et pour le reste, à nous de rechercher les moyens de tenir,et d’ailleurs je suis très sensible au fait que nos mécènes ont maintenu leur soutien, pas tous à la hauteur de ce qui était initialement prévu – car eux-mêmes ont leur propre réalité – mais en tout cas, aucun ne n’est défaussé. Et je tiens à le souligner, car ça nous permet de faire face à cette situation exceptionnelle. D’autre part, je tiens, à partir du mois de septembre jusqu’à la reprise des spectacles s’ils ont lieu, que le théâtre en ordre de marche soit au service des artistes. Ça veut dire que nous allons proposer à des artistes de venir, de début septembre à mi-octobre, pour, si ça leur est utile, travailler sur nos plateaux, avec toute la technique s’ils en ont besoin, soit pour faire de la recherche, soit pour avancer leur création. Comme nous sommes dans une démarche exceptionnelle la seule chose que je leur demande en retour, c’est de pouvoir ouvrir leurs répétitions à certains moments à un public forcément restreint. Mais ça me paraît important de maintenir le sens de notre mission et des moyens qui nous sont donnés, en entretenant, même de manière ténue, le lien avec le public.
DCH : Comment s’organisent et se prévoient les reports ou annulations avec les compagnies étrangères ?
D.D. : J’ai tenu ne pas exclure les compagnies étrangères des dédits ou des remboursements que nous avons effectués Je pense, par exemple, à Lia Rodrigues. Il est parfois encore plus nécessaire pour ces artistes d’avoir une visibilité et un soutien à l’extérieur de leur propre pays. Et je me battrai tout le temps, si pour des raisons sanitaires, il existe des privations en terme de déplacements, ça ne peut en rien se transformer en règle de programmation ou de fonctionnement une fois ces risques levés. Rien ne serait plus dangereux que de revenir à une programmation strictement nationale qui nous couperait de cette nécessaire richesse et cette nécessité de liberté qui consiste à accueillir l’ailleurs et des formes qui viennent d’au-delà de nos frontières, comme il nous est vital de les franchir pour rencontrer des gens qui vivent au loin.
DCH : La saison 20-21 va commencer le 14 octobre, les spectacles déprogrammés en 19-20 vont-ils se rajouter à celle-ci ?
D.D. : Ça dépend. Il y a trois cas de figures. Des spectacles qui sont reportés, soit à l’automne, soit vers décembre, c’est le cas d’Adrien M. et Claire B. ou Esteban Fourmi et Aoi Nakamura de la compagnie AΦE. D’autres sont reportés au printemps 2021, notamment les compagnies africaines prévues dans le cadre d’Africa 2020 que nous avons dû annuler. Mais on ne peut pas tout reporter, d’autant qu’il y a une incidence financière très lourde, donc il y a quelques spectacles que nous avons dû annuler la mort dans l’âme. Et puis, il y a quelques spectacles comme celui avec lequel nous devions ouvrir la saison, notre production maison, la création de Planet que devait faire Damien Jalet et Kohei Nawa, en septembre qui est reporté d’une saison, parce que cette création se fait dans le cadre d’un partenariat international, avec des pays asiatiques, et la seule solution était de la reporter d’une année. Pour moi, il était exclu de reporter ou d’annuler des spectacles déjà programmés sur la saison 20-21 à la place des spectacles annulés. Cela aurait été tout aussi préjudiciable et on ne peut pas se dire qu’on va reporter année après année.
Le dernier exemple de spectacle sur lequel on va fonctionner différemment, c’est la création de Gloria de José Montalvo qui n’a pas pu se faire. Elle devait être donnée au printemps et nous avions prévu un report en début de saison, à la place de Damien Jalet. Il s’avère qu’en septembre, José n’aura pas terminé la pièce. Donc là se pose la question de trouver une période possible. Donc nous sommes en train d’étudier, afin que les choses se passent de la meilleure des manières d’imaginer comment nous pourrions la présenter en coréalisation à Créteil, c’est-à-dire en maintenant notre part de coproduction. C’est-à-dire Hors les murs pour Chaillot puisque le temps dont nous disposons ne nous permet pas de tout rentrer.
DCH : Il est pensable que le virus circule encore en septembre. Quels vont être les aménagements de la salle ?
D.D. : Si nous devons organiser des restrictions très fortes, par exemple une demi-jauge, nous fonctionnerons avec une demi-jauge. Nous menons en parallèle une étude sur le plan financier pour voir combien de temps nous pouvons tenir dans ces conditions. Et de quelle manière le ministère de la Culture aura la possibilité, la capacité, la volonté, de se sbustituer à la somme qui fera défaut. Après il me semble important de maintenir la création et l’activité, y compris avec un public plus réduit. Nous étudierons tous les cas de figure – peut-être des spectacles peuvent-ils être donnés deux fois par jour ? Qu’est-ce que cela va signifier pour les compagnies ? Car tout le monde va devoir faire des efforts. Nous avançons à grand pas sur les conditions les plus sécurisées possibles, à la fois pour les personnels, et pour le public. Nous le maîtrisons plus facilement parce que ce sont des données objectives. Nous pouvons faire des projections. Mais si on nous dit vous pouvez ouvrir avec dix personnes dans la salle, on ne va pas faire venir une compagnie de l’autre bout du monde. Donc ce sont des options sur lesquelles il devient vraiment urgent d’avoir des indications.
DCH : L’après pandémie sera-t-elle différente de l’avant ?
D.D. : Les conditions de production et d’exploitation des spectacles ne pourra pas sans doute pas reprendre sur les mêmes logiques que celles que nous avons connues. Cela va peut-être poser des questions d’une autre nature, autour de la santé, du corps… Je trouve que la danse a beaucoup à dire, sur les distances sociales ou interpersonnelles. Quelles sont les conditions de son existence par rapport à ça ? C’est une série de prises de risque. Quels sont ceux qu’encourt un danseur et jusqu’à quel point peut-il les encourir sous peine de n’être plus un danseur ? Ce sont des questions fondamentales. Ça mérite une réflexion particulière. Pour l’instant on est absorbé par les problèmes multiples qui vont de la sécurité, de l’organisation au travail pour les équipes, de liens avec les artistes, avec le public, les finances, tout en gardant un outil en ordre de marche car on sait que les bâtiments à l’arrêt se dégradent très vite.
DCH : Vous avez mis en place, très rapidement pendant le confinement une offre numérique dont le public semble friand…
D.D. : Oui il en est friand et ça montre bien que nous ne sommes pas un divertissement justement, et que ça touche à des choses qui se révèlent encore plus essentielles au moment où c’est la vie qui est en question. Beaucoup d’entre nous connaissent des gens frappés par cette maladie, et de toute façon, on ne peut qu’être sensible et en empathie avec ce qui se passe autour de nous et dans le monde. C’est pourquoi je suis tellement effaré de voir des positions comme celles de Trump ou Bolsonaro que je considère comme des atteintes à la dignité humaine, à la pensée, c’est gravissime et plus que jamais la parole des artistes et de bien d’autres est nécessaire.
Propos recueillis par Agnès Izrine
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