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« Speechless voices » de Cindy Van Acker

Bonne surprise que cette pièce de Cindy Van Acker intitulée en néoparler Speechless voices, programmée au Carreau du Temple dans le cadre de Faits d’Hiver.

Pour une danseuse née, d’après le très fiable site Wikipedia en 1911, on peut dire que la chorégraphe belge exilée en Suisse, entrevue furtivement au Carreau du temple, ne fait pas du tout son âge. L’opus ne fait pas non plus sa durée, qui dépasse les soixante minutes chrono. Imprécise sur ce point, la feuille de salle indique les sources d’inspiration de l’auteure, la première étant celle du peintre belge Michaël Borremans.

En le découvrant en France en 2008, Pierre Juhasz avait repéré, dans ses peintures et dessins, « des personnages dans des situations énigmatiques, des positions étranges – corps couchés au sol en quinconce (...) [semblant] attendre dans un temps suspendu (...) toute une géométrie dont la logique reste secrète, la géométrie d’une énigme poétique. » Et l’on pourra en effet retrouver de semblables positions au cours du lent déroulement des faits et gestes voulu par la chorégraphe et obtenu de ses élégants danseurs, quatre filles, deux garçons : Stéphanie Bayle, Sonia Garcia, Laure Lescoffy, Daniela Zaghini​​​​​​​, Matthieu Chayrigues et Aurélien Dougé. Nous avons en particulier été sensible à la fluidité de Mmes Lescoffy et Bayle.

Le finale, plus funèbre si possible que l’ensemble d’une pièce qui alterne le blanc et le noir – la teinte claire règne en un premier temps, qui symbolise le deuil en orient ainsi que dans la Rome antique – semble composé d’une inconographie baroque, d’un corpus de corps fixés dans des attitudes précises, de détirements de membres supérieurs, de contacts caressants, rassurants, consolants. La notion de tableau par conséquent prédomine, celui-ci étant mis en abyme dès l’entame avec une peinture composite figurative signée Eric Vuille.

Les saynètes se suivent alors comme autant d’images hachées rythmées par les effets stroboscopiques planifiés par Victor Roy, au risque de provoquer des crises épileptiques parmi les spectateurs sensibles. Ces blancs et noirs sont beaux en soi, comme une alternance de monochromes malévitchéens, comme le film structurel Adebar (1957) de Peter Kubelka avec une B.O. faite de silences et de sons blancs. Ils ont aussi leur utilité, celle de permettre les apparitions et disparitions de personnages et d’accessoires, comme dans une séance de prestidigitation à l’ancienne.

À propos de deuil et de disparition, de son et de silence, la feuille de salle nous informe que l’auteure a voulu rendre hommage à son collaborateur Mika Vainio, à qui l’on doit la composition musicale électro-acoustique (plus électro qu’acoustique), mort il y a deux ans en chutant d’une falaise normande. C’est la chorégraphe elle-même qui donne le top départ de la soirée, avec les notes égrenées sur un piano-jouet pour enfant, gravées sur vinyle, et cette ritournelle bouclera aussi la pièce.

Le tombeau, genre artistique et musical, déploration célébrant un grand personnage ou un être aimé était en usage dans la période baroque. Le titre de la pièce de Cindy Van Acker, à cet égard, annonce le projet de transfigurer la perte en une remémoration par les moyens du théâtre : la lumière, la peinture et les corps. Le lustre Baccarat (maison bicentenaire) réchauffe l’atmosphère glacée du début, projette ses reflets sur les trois draps blancs de la boîte noire.

Tantôt, grâce aux costumes impeccables dessinés par Marie Artamonoff, ainsi qu’à l’éclairage, prévaut l’ambiance Courrèges-2001 l’Odyssée de l’espace, qui aplatit corps et accessoires ; tantôt la lumière ourle les pans de tissu faisant office de parois, posés par Victor Roy aussi au sol, sinon au plafond, dessinant des bandes verticales dans le style de Buren. Puisque de mort il est question, celle de Gramsci, évoquée par Pasolini dans son recueil publié en 1957, texte lu par le poète, rompt le silence, avant que La Passion selon Saint Matthieu de Bach ne conclue l’élégie chorégraphique.

Nicolas Villodre

Vu le 23 janvier 2020 au Carreau du Temple.Paris
Jusqu'au 24 janvier 2020

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