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Laurent Hilaire : Leçon de maître

Attention, moment rare : le 3 juin l’étoile Laurent Hilaire, à la tête depuis deux ans du Ballet du Théâtre Stanislavsky à Moscou, présente au Théâtre de Paris une master class consacrée au Lac des Cygnes de Bourmeister. Entretien.

Danser Canal Historique : Comment avez-vous conçu cette master class parisienne ?

Laurent Hilaire : Il s’agit à la fois d’un travail de studio avec les danseurs, et d’un moment privilégié pour les spectateurs à qui nous offrons l’occasion de se familiariser avec les mécanismes de la création. On va expliquer le sens des pas, la ligne d’un mouvement, et plus profondément comprendre comment on construit un rôle. C’est aussi un moment de rencontre, où l’on répond à la curiosité naturelle du public pour la fabrication d’un ballet. Celui qui fera l’objet de cette masterclasse, Le Lac des Cygnes de Bourmeister, est à la fois un grand classique et un joyau du répertoire du Stanislavsky. Il sera en outre interprété par deux danseurs talentueux, Oxana Kardash et Ivan Mikhalev, de belles personnes en pleine maturité artistique qui méritent d’être mis en lumière, et que je suis heureux de faire découvrir à Paris.

DCH : Sera-ce plutôt un spectacle, ou une leçon de danse ?

Laurent Hilaire : C’est en quelque sorte l’antichambre du spectacle (il y aura aussi un filage final des pas de deux répétés durant la master class, sur la bande son de l’orchestre). Ce que l’on voit ici est la préparation, la somme de détails et l’élaboration minutieuse nécessaires à la représentation. Assister à ce type de classe apporte des clés de compréhension supplémentaires, non seulement pour Le Lac mais pour tous les spectacles de ballet en général. C’est un moyen de dépasser les fantasmes autour du travail des danseurs, de montrer celui-ci en toute objectivité avant que n’opère la magie de la scène. Une approche pédagogique.

DCH : Pourquoi avoir choisi cette version du Lac des Cygnes ?

Laurent Hilaire : D’abord parce que ce Lac, créé en 1953 sur la partition originale de Tchaïkovski et entré en 1960 au répertoire de l’Opéra de Paris, est une très belle réussite. Ensuite en raison des liens historiques qui unissent le ballet du Théâtre Stanislavisky à Vladimir Bourmeister. Il était le chorégraphe en chef de ce lieu qui voulait apporter à la danse la même vision réformatrice, basée sur l’importance de la pantomine et de la gestuelle, que celle que Konstantin Stanislavsky et Vladimir Nemirovitch-Danchenko, grands réformateurs du théâtre russe, avaient impulsée à l’art théâtral. D’où un souci constant de dramaturgie et de lisibilité, que l’on retrouve aussi dans ses autres ballets tels La Fille des neiges ou Esméralda. Enfin, clin d’œil du destin, il se trouve que c’est sur cette version que j’ai été nommé danseur étoile par Rudolf Noureev en 1985 …

DCH : Quelles sont les différences avec le Lac de Noureev ?

Laurent Hilaire : Toute cette version est baignée d’une grande émotion, sur laquelle chaque danseur apporte la force de son interprétation. L’acte III est très différent, les danses de caractère sont amenées par Rhotbart et dans chacune d’elles, le Prince croit reconnaître le Cygne blanc. Quant au quatrième acte, il est beaucoup plus romantique. La version de Rudolf, outre sa relecture personnelle du ballet, s’attache davantage en priorité aux lignes et à la grammaire classique. Cette master class montrera justement comment certains détails, en apparence minimes, peuvent changer la vision que l’on a d’une œuvre. Je suis très attaché au fait de donner du sens, c’est pour moi la seule façon de faire vivre ce répertoire.
 

DCH : Ce classique peut-il encore nous parler aujourd’hui ?

Laurent Hilaire : Oui, à condition d’abord d’être porté par la sensibilité et l’émotion des interprètes. Mais aussi en faisant la part entre le rêve et la poésie incarnée dans le ballet, et un certain réalisme qui le rapproche de nous. Par exemple, ce qui séduit le Prince chez le cygne blanc, c’est le même type de fascination que celle que l’on éprouve en général pour ce qui est  différent de nous. L’important est de garder la cohérence du propos, d’éclairer le cheminement psychologique et dramatique. C’est cela qui préserve l’intensité du ballet et évite qu’il ne soit qu’une succession de belles images. Ces œuvres traitent de thèmes universels, l’amour, la jalousie, la mort. A nous de les faire vivre au présent en travaillant attentivement leur vocabulaire. D’où cette master class.

DCH : Comment, avec votre compagnie, articulez-vous les liens entre répertoire et création ?

Laurent Hilaire : Concernant les classiques, il faut réinventer et réinvestir ce bel espace de liberté qu’offrent tous ces rôles. S’approprier l’intelligence de ces mouvements, en se posant à chaque fois la question du pourquoi. Pourquoi cette arabesque, ce grand jeté, ces cabrioles ? Qu’est-ce que cela nous raconte et comment ? La démarche est toujours la même, celle de donner du sens. La création se nourrit aussi du répertoire, et réciproquement, car le corps des danseurs qui pratiquent l’un et l’autre s’enrichit de cette diversité et aborde chaque œuvre de façon plus riche. Au Stanislavsky, j’essaie dans ma programmation d’apporter cette ouverture à l’ensemble du spectre chorégraphique. Par exemple, nous avons donné cette saison Les Noces de Preljocaj et O zlozony / O com- posite de Trisha Brown, et l’an prochain nous présenterons un ballet d’Akram Khan. Il est important d’être en connexion avec ce qui se danse aujourd’hui.
 

DCH : Une master-classe, c’est également un exercice de transmission. A-t-elle aujourd’hui changé de forme ?

Laurent Hilaire : : Dans ce domaine aussi, il est nécessaire de demeurer en phase avec notre époque et pas seulement avec ce que nous avons nous-mêmes appris. Il faut pouvoir faire le lien entre l’expérience des années passées et la façon dont cette théâtralité peut être comprise aujourd’hui. C’est un domaine complexe, passionnant parce que vivant, où il faut sans cesse faire des choix. A Moscou j’organise régulièrement des cours en public, des répétitions ouvertes, ce qui répond à la demande du public russe, très curieux  et intéressé. Je souhaite que mes danseurs apprennent plus vite que ce que j’ai fait moi-même et j’ai coutume de leur dire : « Proposez-moi quelque chose qui vous appartient, à l’intérieur du cadre de la chorégraphie, investissez-vous et prenez la liberté d’essayer ! ».

 

Propos recueillis par Isabelle Calabre

Le 3 juin à 20h30. Théâtre de Paris, 15 rue Blanche, 75009 Paris. Réservation indidspensable. Tél. : 01 48 74 25 37.

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