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Au Panthéon, la rotation selon Yoann

Dans cinq installations, Yoann Bourgeois invite gravitation et impesanteur à s’incarner autour du Pendule de Foucault.

De nos jours, en Europe, du moins pour le moment, plus besoin de prouver que la terre tourne. Même chez les Créationnistes américains, l’idée d’une planète stationnaire a du mal à prendre. Cela implique que le Pendule de Foucault, réinstallé (en copie) sous le dôme du Panthéon depuis 2015, a conquis un statut d’objet historique et poétique.

Le Panthéon est donc redevenu l’écrin le plus majestueux et le plus légitime de de la rotation terrestre. Sur cette corde, Yoann Bourgeois rebondit en répondant aux quatre cercles qui entourent le rond central, surplombé par le dôme. Le codirecteur du CCN de Grenoble y place cinq études circassiennes dont chacune répond aux colonnes et à la coupole du Panthéon.

Foucault et culbuto

La Mécanique de l’histoire, une tentative d’approche d’un point de suspension propose au spectateur de suivre un parcours circulaire qui débute, justement, par un rassemblement général autour du Pendule de Foucault. L’« Exposition vivante » s’anime quand un homme vêtu d’un bonnet et d’une sorte de pyjama blancs transmet l’énergie du mouvement au Pendule et à un mannequin apparemment inerte.

Cette sculpture est incarnée par Yurié Tsugawa, bien connue comme interprète principale chez Angelin Preljocaj. Elle est ici stylée comme par Kenzo en personne et se met d’abord à penduler, puis à pivoter jusque dans l’horizontale, car plantée sur un culbuto de taille humaine. Son non-butô équilibriste engage le dialogue avec l’oscillation parfaite et intemporelle du Pendule, avec son calme absolu, sa régularité et sa perfection.

Avec le monument, tout se négocie

Sur son parcours circulaire, le visiteur rencontre divers corps humains, engagés dans une négociation avec la force gravitationnelle, la force centrifuge et l’énergie du mouvement et donc avec des forces incarnant des lois éternelles et universelles. Et puis, il y a le monument. Le metteur en scène qui investit le Panthéon fait face à des dimensions architecturales et symboliques dépassant les défis de la Cour d’honneur du Palais des Papes, au Festival d’Avignon.

Le plus étonnant n’est pas que Bourgeois se montre parfaitement à la hauteur de l’enjeu, mais qu’il réussit à contrebalancer la puissance minérale et sculpturale par des corps fragiles et poétiques, par la légèreté ou l’hésitation. C’est dire la force de ce point de suspension et l’attirance qu’il exerce sur les humains, comme une échappatoire vers cet infini incarné par le Panthéon, infini que le Pendule de Foucault incarne dans un absolu de la même grâce et légèreté. Pour en rajouter, et on s’excuse du peu, le va-et-vient du Pendule épouse un axe longitudinal reliant la sculpture La Convention Nationale de Sicard et la Tour Eiffel, visible à la fin à travers la porte d’entrée quand celle-ci s’ouvre pour la sortie des visiteurs de cette exposition spectaculaire.

L’axe Energie - Trajectoire

A certains endroits, la vision est presque globale. A gauche s’élance Sonia Delbost-Henry, voltigeuse de la Balance de Lévité, ici ramenée au titre de Trajectoire. Où le point de suspension prend une connotation toute matérielle, à l’endroit même où le baudrier attache la cosmonaute à la pointe de cette fourche aussi fixe que mobile. Paradoxalement, ce sont deux poids métalliques qui empêchent la chute de la voltigeuse. Liftée en impesanteur permanente, elle pourrait ainsi « voler » à l’infini.

Trajectoire fait face à Energie, nouvelle version de Fugue/Trampoline, augmentée grâce à un dispositif circulaire et rotatif. L’escalier entoure le trampoline et ce sont quatre hommes qui chutent et rebondissent, qui se font éjecter par des portes en subissant une force centrifuge plus symbolique que réelle. C’est du théâtre. Le point de suspension est ici tout ce qu’il y a de plus éphémère, et c’est évidemment la raison pour laquelle nos quatre Sisyphe du rebond ne cessent de se jeter dans le vide, trouvant le sens de leur existence dans ce petit instant orgasmique d’impesanteur qui précède l’atterrissage. S’ils sont habillés comme des meuniers d’antan, c’est que leur agrès a tout d’un moulin. Et le grain à moudre pourrait bien être le temps en personne.

Galerie photo © Géraldine Aresteanu

Inertie et équilibre

Devant et derrière, deux plateaux carrés et suspendus. L’un tourne, l’autre reste suspendu dans un équilibre précaire. Equilibre est habité par un couple qui doit accorder le moindre de ses gestes pour éviter la chute. Chaque gramme de masse corporelle compte et cela se voit et se sent à tout moment. Seule la rotation pourrait apporter la stabilité qu’on trouve juste en face, sur un autre carré. Dans Inertie, Bourgeois met un autre couple à l’épreuve d’énormes forces centrifuges. Malins, les deux en profitent pour s’appuyer sur ces forces, comme on s’appuie sur le vent, le corps penché vers l’avant. Quand ils marchent, on peut succomber à l’illusion que leurs pas font tourner le plateau. L’inertie aussi est source de beauté romantique.

Au centre, la sculpture-culbuto de Yurié Tsugawa s’anime quand les groupes de visiteurs se déplacent. Elle relie les quatre expériences qui forment ici une œuvre commune qui caresse le Panthéon comme s’il avait été construit pour ça, comme si Bourgeois arrivait à mettre en mouvement le monument lui-même. Car c’est bien la manifestation Monuments en Mouvement qui est ici à l’origine d’une installation historique.

Thomas  Hahn

Spectacle vu le  7 octobre 2017

Monuments en mouvements # 3

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