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« Tapis rouge » de Nadia Beugré

Dans Tapis rouge, la chorégraphe ivoirienne fait montre de son tempérament d'exception, quitte à ne pas en maîtriser parfaitement les implications. À voir du 8 au 10 décembre à l'Atelier de Paris / CDCN.

Le plateau où se joue Tapis rouge est loin d'être nu. Et il accumule plutôt le contraire du décorum déroulé sous le pas des glorieux et des puissants, aux marches et vestibules des palais gouvernementaux ou festivaliers. Sous les tapis, on peut glisser beaucoup de choses aussi, aux fins d'invisibilisation. C'est essentiellement sous forme de quantité de terre que tout cela dégorge sur la scène de Tapis rouge.

De cette terre sont faits des poupons archaïques, disposés en bord de plateau. Un très grand cube de plastique transparent occupe une bonne part de celui-ci. Un performer, à la silhouette laissée indistincte, s'y emploie à confectionner des boules, elles aussi de terre. On pourrait encore mentionner de grands cordages, suspendus en hauteur au-dessus de la salle pour terminer à un angle de la scène. On imagerait bien pareille installation dans la marine ancienne, ou le cirque d'aujourd'hui.

Galerie photo © Laurent Philippe

Pour les actions de Tapis rouge, tout cela va favoriser des effets d'entrées, de sorties, de suspensions, de sauts, de lancers de projectiles. On y ressent volontiers des charges symboliques, sans être forcément à même d'en décrypter les significations. Du reste, si rien n'est sobre dans Tapis rouge, pour autant les options prises par Nadia Beugré ne sont pas celles de la narrativité linéaire, mais plutôt du cut et du collage. On voit bien l'envie de tranchant, et d'impact, qui est ainsi poursuivie par la chorégraphe ivoirienne, signant là sa première pièce en grand format après quelques essais solistes.

Il faut prendre le temps de considérer une caractéristique très répandue parmi les artistes chorégraphiques d'Afrique sub-saharienne. Celle-ci consiste à désigner dans l'option esthétique contemporaine, avant tout une opportunité d'expression personnele et/ou politique directe. Cela peut dérouter certains regards occidentaux rompus à des principes de distancition, quand ce n'est d'abstraction. Mais ces artistes contemporains africains concrétisent ainsi leur dépassement des danses traditionnelles – que la plupart ont beaucoup pratiquées – qui leurs paraissent s'être appauvries en répétitions de codes purement formels, folklorisés, dont les significations profondes se sont égarées dans le monde hyper-urbain où ils évoluent.

Galerie photo © Laurent Philippe

Le maniement du symbole a toute sa place dans une esthétique contemporaine considérée sous cet angle. Notre défaut de décryptage contribue à nous laisser sur la sensation que Nadia Beugré peine à élaborer une puissance de conduite dramaturgique, parmi les motifs qu'elle déploie en abondance. On s'en rend d'autant disponible à l'impact de la pure présence de cette femme à très fort tempérament, physique ramassé, qu'on voudrait dire punk, au risque du cliché. On n'est jamais indifférent à cette masse entêtée, entière et sourde, par laquelle Nadia Beugré s'annonce. Plus grâcieux, son partenaire interprète Adonis Nébié n'en n'est pas moins incisif dans les déchirements du geste. C'est un très grand danseur.

Un troisième protagoniste est un Européen, un rocker armé de sa guitare, qu'il n'a crainte de malmener dans la fureur des actions. Et le voilà ramené aux régimes des puissances symboliques manifestes, quand Nadia Beugré s'autorise à le déshabiller complètement – ce qui n'est pas n'a encore rien de commun dans les représentations chorégraphiques d'Afrique. Alors que la musique est pour beaucoup dans la tenue d'ensemble de  Tapis rouge, la forme de prise de pouvoir symbolique que la chorégraphe s'autorise sur le corps musicien n'est pas mince de signification, quand Européens et Africains se retrouvent sur une scène. Et dans une salle. Avec toute la mémoire, si ce n'est le présent, des rapports de sujétion que cela charrie.

Gérard Mayen

Spectacle vu le samedi 1er juillet 2017 au Théâtre de la Vignette (Université Paul Valéry), dans le cadre de Montpellier danse.

Du 8 au 10 décembre à l'Atelier de Paris / CDCN

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