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« Betroffenheit » de Crystal Pite et Jonathon Young
Betroffenheit signifie le choc et l’incompréhension ou la stupeur et la sidération, conséquences du trauma initial. C’est autour de cette thématique que collaborent Crystal Pite, chorégraphe, danseuse et directrice de Kidd Pivot et Jonathon Young, comédien, auteur et metteur en scène co-fondateur de l’Electric Company Theatre.
Betroffenheit traduit, en l’occurrence, la tragédie personnelle de Jonathon Young, qui a perdu sa fille et ses neveu et nièce dans un incendie. Betroffenheit ne s’attarde pas sur l’accident ni sur la biographie de Young, mais à sa douleur et ses troubles face à l’insupportable. Sur les mots de Jonathon Young, Crystal Pite, a traduit l’indicible en mouvements.
La première partie se situe dans un lieu interlope genre entrepot industriel ou le bien nommé « hôpital et ses fantômes ». Séparée par un pilier, la salle est encombrée de câbles qui relient une chose à une autre. Mais soudain, ils s’animent comme autant de serpents qui envahissent les murs, des néons jaunes clignotent, une lumière bleue révèle un type prostré dans un coin qui n’est autre que Jonathon Young. Il a posé ses propres mots dans un dialogue permanent et obsessionnel. « Ne réagissez pas. Votre système est en place maintenant pour maintenir votre position. Utilisez-le. », débite cette routine verbale qui contient la douleur pour surmonter une apathie mortifère. Bientôt ces voix s’incarnent avec les danseurs qui apparaissent sur le plateau, figures de clown grimaçants, costumes de lutins à paillettes et d’éventail en plumes, sorte de vaudeville démoniaque qui nous rappelle que « the show must go on » au rythme de claquettes infernales. Ils peuplent la scène comme la conscience altérée du narrateur dans des séquences de plus en plus effrénées jusqu’à la quasi hystérie.
Crystal Pite a choisi des danses joyeuses pour cette comédie macabre. La gestuelle s’emballe jusqu’à devenir l’étrangeté elle-même dans ce monde angoissant. Les cinq danseurs doublés par leurs ombres poussent Jonathon Young au point de rupture, avant que la pièce elle-même ne semble craquer sous l’effet d’un détonateur qui révèle ce qu’est cette chambre écho mental du personnage principal : un champ de ruines. Jonathon Young est hallucinant dans son interprétation, à la fois narrateur interne et externe, dans une perfomance paradoxale où il se met, lui-même en abyme.
La deuxième partie voit le plateau entièrement dénudé et les interprètes (tous plus extraordinaires les uns que les autres) en habits de tous les jours. Il ne reste plus que le mouvement comme retour du refoulé ou membre fantôme de l’événement passé. Enchevêtrements, torsions, reptations, jaillissements… les corps sont explosés, l’éclairage distille une ambiance de fin du monde. Il y a une urgence, une fulgurance permanente dans une gestuelle d’une fluidité exceptionnelle et d ‘une violence certaine. C’est terriblement humain !
Photos : Michael Slobodian
Crystal Pite nous avait déjà impressioné fortement avec The Season Canon avec les danseurs de l’Opéra de Paris, mais avec sa propre compagnie Kidd Pivot, elle crée une pièce radicale, d’une beauté sombre, extraordinairement juste, totalement bouleversante. Un chef-d’œuvre.
On retrouvera la chorégraphe canadienne, ancienne danseuse de Forsythe chorégraphe résidente au NDT, retournée travailler à Vancouver, dans une chorégraphie pour le NDT à Chaillot en juin.
Agnès Izrine
Le 10 mai 2017, Maison de la Danse de Lyon
Du 29 mai au 2 juin au Théâtre de la Colline / Théâtre de la Ville
Distribution
Écrit par Jonathon Young
Chorégraphie et direction Crystal Pite – compagnie Kidd Pivot & Electric Company Theatre
Avec : Bryan Arias, David Raymond, Cindy Salgado, Jermaine Spivey, Tiffany Tregarthen, Jonathon Young
Composition et conception sonore :Owen Belton, Alessandro Juliani, Meg Roe
Décor : Jay Gower Taylor
Lumières : Tom Visser
Costumes : Nancy Bryant
Chorégraphie supplémentaire : Bryan Arias, Cindy Salgado (salsa), David Raymond (claquettes)
Construction décor : Scene Ideas
Peinture : Patrick Spavor, Daniel Dumitriu
Marionnette : Heidi Wilkinson, Omanie Elias
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