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Entretien avec Philippe Buquet

À l’occasion de la 13e édition d’Instances, nous avons rencontré Philippe Buquet, directeur de l’Espace des Arts de Chalon-sur-Saône.

Danser Canal Historique : Quelle est la particularité de cette 13e édition d’Instances ?
Philippe Buquet : Cette année, Instances a été calé dans le contexte du déménagement pour travaux de l’Espace des Arts, le festival a donc pris une configuration un peu différente.
Instances, comme chaque année, s’inscrit dans les débats de la danse actuels, ne serait-ce qu’en organisant un tel rendez-vous sur la danse dans l’environnement actuel plein d’interrogations, notamment sur le statut de l’art chorégraphique.

DCH : Quelles sont ces interrogations ?
Philippe Buquet :
Programmer de la danse dépend d’abord de son implantation géographique. Ici, à Chalon-sur-Saône, nous sommes dans un monde ouvrier, industriel et rural. Il n’y a pas d’université, et peu de cadres supérieurs. Il faut en tenir compte. Mais il faut aussi avoir une ambition. Personnellement, mon parcours est lié au théâtre, je m’y suis totalement dédié. Quand je suis arrivé à l’Espace des Arts, au début des années 2000, je considérais que la danse était sous représentée. Un des enjeux était donc de lui donner une place visible par rapport aux autres arts, notamment par rapport au théâtre naturellement plus ancré dans les lieux de diffusion et qui l’emporte souvent dans les programmations.
Donc je désirais donner à la danse une meilleure visibilité. Mais quand on pose une affirmation de cet ordre, c’est que l’on souhaite que ça se voit. Il y a un public à construire, à fidéliser. Il faut donc que ce soit visible sur un plateau et lisible dans un projet. Pour moi, la danse permettait de nourrir le théâtre. L’enjeu sous jacent était une confrontation plus équilibrée, pour fabriquer de l’interaction, un frottement constructif. Créer un temps fort comme Instances permettait cela.

DCH : Ça a bien fonctionné apparemment !
Philippe Buquet : Je me souviens de ce que j’ai entendu en arrivant : c’était « ça ne marchera pas ». Vu mon caractère, ça m’a plutôt stimulé. J’ai pensé il faut arrêter de prendre les gens pour des imbéciles. J’ai programmé entre 15 et 20 représentations de danse par an. Et pas que des compagnies repérées sur le plan national et international. L’Espace des Arts est devenu une scène importante pour la danse.
Je ne voulais pas proposer quelque chose qui soit une école, mais un répertoire en danse contemporaine qui puisse représenter le paysage pertinent de la danse contemporaine, c’est-à-dire pas un best off des compagnies à la mode. Il faut s’interroger sur les conditions de la danse sans se poser la question des courants de style. Ces choix doivent permettre une rencontre artistique avec le public, engager un débat sur l’environnement éventuellement, mais pas sur la question de la forme. Ce n’est pas mon positionnement.

DCH : Quelles sont les compagnies qui participeront à Instances cette année ?
Philippe Buquet :
Il y a des compagnies étrangères et françaises, des CCN, le Ballet de Lorraine. L’enjeu étant de présenter quelque chose de très ouvert, il est capital pour moi de ne pas proposer un point de vue définitif ou discriminant mais présenter un tissu européen et mondial, c’est pourquoi nous avons toujours reçu de nombreuses compagnies étrangères.
Cette année, l’Italie et la Sicile en particulier, seront à l’honneur, car ce sont un peu les parents pauvres de l’Europe occidentale. Or l’Italie est un pays important sur le plan culturel. Il m’intéressait de dégager des rendez-vous significatifs avec ces artistes italiens qui me touchent énormément. Notamment par le courage qu’ils déploient pour produire leur spectacle dans des conditions affolantes. Donc il me semblait important de montrer qu’ils existaient. Même si, malheureusement, ils sont décalés par rapport à la « ligne de flottaison » des noms qui figurent souvent dans les programmations.
Il me paraissait capital de soutenir cette démarche, d’autant que l’Italie est devenue la terre d’accueil de milliers de réfugiés. Historiquement Instance a toujours fait preuve d’attention à cet endroit. En écho, le spectacle de Xavier Lot, Welcome to Bienvenue pose aussi la question de l’accueil et de la différence. Et Rachid Ouramdane, accueilli plusieurs fois, sera présent avec Tordre. Un spectacle très singulier, très fort, pas dans le « main stream ».

DCH : Produisez-vous les créations que vous programmez ?
Philippe Buquet : Il est important de présenter les œuvres autrement. Par exemple Tatiana Julien ouvre le festival avec une création très ambitieuse. Nous avons développé depuis quelques années un lien fort avec son travail et c’est elle qui m’a demandé de produire Initio. Elle est très jeune et c’est notre rôle d’aider à construire le chemin d’une artiste sur plusieurs années.

DCH : C’est une position très politique….
Philippe Buquet : Nous avons une responsabilité au niveau politique et au niveau du public. Si on multipliait ce travail dans tous les théâtres on enrichirait le paysage global. La danse est encore plus fragile et en souffrance économique, elle a plus de difficultés que les autres domaines artistiques. L’enjeu est profondément politique que ce soit dans le domaine du public, de l’accompagnement, de l’économie. Il ne peut s’agir simplement d’une programmation de plus. Et du coup, comme on constate un essoufflement des compagnies lié au contexte économique, il faut communiquer autour de cet art. Nous ne sommes plus dans les années 80. Il y a une sous représentation de la danse sur toutes les scènes. Ce qui était déjà vrai en 2000 l’est encore plus en 2016. C’est une manière amicale de dire que ça ne va pas et comme je n’ai pas de casquette danse, on m’écoute autrement. Or, il faut être clair, si c’est possible à Chalon, c’est possible partout.

Propos recueillis par Agnès Izrine

Festival Instances

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