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Soirée d’ouverture à l’Opéra de Paris.
La soirée d’ouverture de l’Opéra de Paris était composée de quatre œuvres, en plus du Défilé, à savoir les reprises d’In Creases de Justin Peck et de Blake Works 1 de William Forsythe et les créations de The Seasons’ Canon de Crystal Pite et (sans titre) de Tino Seghal, qui avait également présenté, en hors d’œuvre, quelques performances de danseurs dans les espaces publics du Palais Garnier.
"Blake Works 1" de William Forsythe galerie photo : Laurent Philippe
Il n’était pas facile de succéder à Blake Works 1 de William Forsythe (lire notre critique), d’autant que les danseurs était éblouissants sur cette reprise, mais Crystal Pite a relevé le défi haut la main. Avec The Seasons’ Canon elle a littéralement transporté la salle. La première image qui installe sur le plateau une chaîne humaine, dos courbé, est déjà saisissante de beauté. Travaillant le groupe comme une matière meuble, organique, la communauté qui occupe la scène semble en perpétuelle mutation. Notre regard est happé par ce jeu de métamorphoses que vient soutenir une écriture fine et solide comme un fil de soie. Captivant le regard, les individus dessinent un paysage qui s’insinue lentement dans la conscience tandis que a chorégraphie tend vers l’immobile sans jamais rompre le mouvement.
The Seasons Canon galerie photos : Laurent Philipppe
Le temps s'étire et ondoie, les traces prennent corps, remettant les pas dans les pas. La chorégraphie est soutenue par cet étrange mélange musical de Max Richter invoquant Vivaldi, qui ouvre encore l’espace et nous transporte dans une contrée mystérieuse. Prises, étreintes, disparitions ponctuent cette pièce très tactile, sensible et concentrée dans chacun des corps et dans la masse qui ondule, se dissocie et se rassemble, en lignes, en boucles, en torsades. Les danseurs mettent à l’épreuve des voies paroxystiques du mouvement. Ils en décentrent les points d’impulsion, ils désagrègent la plus vive tension, visitent la face cachée, extrême, interne, des flux et des circulations.
The Seasons Canon galerie photos : Laurent Philipppe
Cette dynamique à basse tension électrisée de chaque corps, exigeante, captivante, est la même qui anime le groupe dans son ensemble. Mouvant, crevassé, peu à peu hérissé de nervosité, jusqu’à s’emporter dans des courses entrecroisées. La scénographie de Jay Gower Taylor est somptueuse, tout comme les lumières de Tom Visser. Les costumes sont d’une justesse confondante. Les duos et solos, portés par les solistes Marie-Agnès Gillot, Ève Grinzstajn, Éléonore Guerineau, Ludmila Pagliero, Alice Renavand, François Alu, Alessio Carbone, Vincent Chaillet, Adrien Couvez, Alexandre Gasse, Axel Ibot, Marc Moreau et Daniel Stokes, sont exceptionnels. Chacun d’entre eux semble une sculpture arrachée à la masse marmoréenne quand ils s’échappent de la multitude des quarante-et-un danseurs.
The Seasons Canon galerie photos : Laurent Philipppe
Bien sûr, tout est fondé sur un canon, mais Crystal Pite a le génie de transcender la forme pour faire apparaître une foule d’interprétations surgit de ces marches, de ces chutes, de ces luttes, de ces élans sans fin. La guerre et ses peuples déplacés, humiliés, mais aussi la solidarité d’un peuple en marche, l’amour, l’entraide… La vie.
On n’en dira pas autant de (sans titre) 2016 de Tino Seghal. Reprenant la vieille idée de faire du théâtre lui-même le sujet de la chorégraphie, la pièce démarre par un ballet de rideaux, perches et pendrillons, qui sont chargés (descendus) et appuyés (remontés), de découvertes sur des grues, et de flash lumineux apportés par les lumières… de la salle. Hélas pour notre créateur d’avant-garde, Daniel Larrieu à la Ferme du Buisson ou Brigitte Farges, au théâtre de la Bastille, avaient déjà eu la même idée en leur temps (soit dans les années 80 !) et j’imagine assez facilement que d’autres l’ont eue avant (ou même après, Jérome Bel s’étant servi à peu de choses près des mêmes ingrédients en février dernier pour Tombe !). Heureusement pour Tino Seghal, ça ne marche pas si mal, c’est même plutôt joli, et surtout la musique d’Ari Benjamin Meyers est vraiment passionnante. L’idée de mettre les danseurs de l’Opéra dans la salle, par contre, est nouvelle, et ils se sont prêtés au jeu avec esprit.
On ne reviendra pas sur In Creases de Justin Peck qui rallongeait inutilement la soirée, surtout à la Première où figurait le Défilé, revenu, heureusement, à sa version originale sur la Marche des Troyens de Berlioz.
Agnès Izrine
Le 26 septembre 2016, Opéra Garnier. Jusqu’au 9 octobre.
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