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Sortie du film « Mr Gaga » : Interview d’Ohad Naharin

Mr Gaga – Sur les pas d’Ohad Naharin n’est pas un documentaire sur la méthode Gaga, mais un portrait, un biopic de la plus belle facture. Sur un rythme haletant, Mr Gaga tient en haleine tel un mélodrame hollywoodien. Mais il livre également quelques clés du travail chorégraphique du directeur de la Batsheva.

Il faut dire que la vie de Naharin offre le merveilleux autant que le tragique, les rencontres avec Béjart, Graham et autres Noureev, le travail en studio, le scandale politique, les histoires d’amour, la vie qui renaît après la dépression... Mais tout y est vrai, y compris les fausses pistes lancées par Naharin.

Le réalisateur Tomer Heymann a réussi à arracher à Naharin ses secrets les plus intimes et à exhumer les souvenirs de jeunesse, longtemps enfouis. Et il a créé un chef-d’œuvre qui a tout pour toucher les spectateurs, au-delà des amateurs de la Batsheva et de la danse en général.

A l’occasion de la sortie de Mr Gaga en salles, ce 1er juin, nous publions notre interview d’Ohad Naharin. Nous vous laissons ensuite découvrir le film, pour revenir plus tard avec une interview de Tomer Heymann qui détaille l’approche artistique et technique du film.

Danser Canal Historique : Dans le film, on voit vos parents. Votre mère, qui vous a présenté à la Batsheva en tant que danseur, était elle-même professeur de danse ?

Ohad Naharin : Elle était phénoménale ! Une très belle personnalité, d’une grande musicalité.
Mais quand elle était adolescente, elle s’est blessée aux deux genoux et n’a donc pas pu faire une vraie carrière de danseuse. Elle a quand même pu devenir professeur de danse, en particulier en composition. Elle a toujours mené des recherches et a fini par enseigner la méthode Feldenkrais.
 

DCH : Aujourd’hui, un an après la finition du film, quel est votre regard sur ce travail ?

Ohad Naharin : Je ne l’ai pas vraiment revu depuis la première ! Mais c’est un joyau. J’aime beaucoup la manière dont les séquences de danse sont filmées et éditées. Je suis d’accord avec le portrait de moi qui y est dessiné. Et je suis très content pour Tomer Heymann, vu qu’il rencontre un grand succès avec ce travail.  
 

DCH : Votre méthode, le Gaga, rencontre un succès populaire en Israël. Beaucoup de gens prennent des cours de Gaga, comme on prend des cours de Yoga.

Ohad Naharin : Succès populaire, c’est relatif. Par rapport au Yoga, Gaga n’est pas une activité alternative. Gaga est une boite à outils. Si vous pratiquez le Gaga, cela va améliorer votre pratique du Yoga. Mais ça améliore aussi votre façon de nager, de courir ou de couper les oignons pour votre salade. Gaga va s’intégrer à toutes vos routines au quotidien.
 

DCH : Gaga  commence aussi à se répandre dans d’autres pays, par exemple en Allemagne, et pourrait même devenir un vrai phénomène de masse, comme le Yoga. Comment contrôlez-vous la qualité de l’enseignement ?

Ohad Naharin : Le nombre de professeurs auxquels nous attribuons une licence est très restreint. C’est un effort énorme et ça prend beaucoup de temps. Dans le monde entier, nous avons à ce jour une soixantaine de professeurs certifiés. Mais nous élargissons le cercle chaque année, puisque je trouve important de partager Gaga avec autant de gens que possible. Maintenant, il pourrait arriver que quelqu’un prenne des cours pendant un an et décide ensuite d’ouvrir un cours. Je m’implique auprès des personnes auxquelles j’attribue un certificat et cherche à fonctionner par confiance mutuelle au lieu de contrôler et surveiller. Avec internet, nous voyons de toute façon qui propose des cours de Gaga, où que ce soit dans le monde.

DCH : Comme beaucoup de vos confrères israéliens, vous avez grandi au kibboutz. Jusqu’à quel âge avez-vous vécu au kibboutz ? Quels souvenirs en gardez-vous ?

Ohad Naharin : Certes, la vie au kibboutz m’a beaucoup influencé, même si j’en suis parti à l’âge de cinq ans. Mais ces premières années construisent chacun d’entre nous, c’est une évidence. J’ai des souvenirs de jeux en extérieur, d’une ambiance très ludique. Je voyais mes parents seulement trois heures par jour. Je dormais avec beaucoup d’autres enfants. Cela a développé mon sens des liens avec les autres, avec la nature et le sens de la perte puisque en quittant le kibboutz et mes camarades à l’âge de cinq ans, j’avais l’impression d’être séparé d’une part de moi-même. 
 

DCH : L’expérience du kibboutz semble être déterminante pour l’univers de beaucoup de chorégraphes de votre pays.

Ohad Naharin : Il faut que je clarifie un point important, et je vous remercie de m’en donner la possibilité. C’est une erreur que de percevoir les chorégraphes israéliens comme un groupe homogène qu’on pourrait définir par une expérience commune. Les chorégraphes se définissent par leur appartenance au monde, pas par une entité géographique particulière. Israël compte énormément de chorégraphes dont la plupart n’ont pas grandi au kibboutz. Et même ceux qui y ont grandi travaillent de manières très différentes. Ne laissons pas ce genre de fausses théories sur les chorégraphes israéliens se développer.
 

"Mr Gaga" © Gadi Dagon - Heymann Brothers Films

DCH : Quant à l’avenir, avez-vous des projets ? Y a-t-il des choses auxquelles vous aspirez, en tant qu’humain ou artiste ?

Ohad Naharin : Je vis aujourd’hui comme j’ai toujours vécu. Je ne fais pas de projets à long terme. J’essaie de créer la qualité de vie au moment présent. Je m’occupe de ma famille et de mes collaborateurs. Et il s’est avéré qu’en créant la qualité au présent, on fait le meilleur investissement dans l’avenir. J’entrevois un éventail de possibilités pour l’avenir, mais je ne me fixe pas de grands objectifs. Sauf peut-être la santé et le bien-être pour moi et les autres.
 

DCH : Quels sont les prochaines étapes pour la Batsheva ?

Ohad Naharin : Actuellement, notre projet le plus ambitieux est la construction de notre propre théâtre. Nous avons des lieux à Tel Aviv, avec le studio qu’on voit dans le film, qui a été construit pour nous il y a quinze ans. C’est joli et agréable, mais la scène est petite et l’équipement technique très limité. J’ai donc dit, depuis que je dirige la compagnie, qu’il nous faut un autre lieu. Et nous avons finalement la possibilité de construire un nouveau théâtre.
 

DCH : Qui finance votre nouveau théâtre ?

Ohad Naharin : Nous aimerions bien le savoir. La ville nous donne la moitié du budget et nous essayons de trouver l’autre moitié. Nous avons trouvé le lieu, dans un quartier pauvre au sud de Tel Aviv. Les plans sont faits et en cours de vérification pour obtenir le permis de construire. Mais il nous faudra encore quelques années pour trouver l’argent et construire les lieux.
 

DCH : En 2017 vous allez donner Last Work au Théâtre National de Chaillot. Vraiment votre dernière pièce ?

Ohad Naharin : J’ai déjà créé une nouvelle pièce depuis. Ella s’appelle Yag et porte donc le même titre qu’une pièce que j’ai faite il y a vingt ans. J’en ai repris le titre parce que je remets la même ambiance, je reprends certaines des musiques et des idées. Mais c’est une nouvelle pièce, pour six danseurs. C’est la première fois que je fais une pièce pour juste six interprètes. Pendant que je travaille avec eux, les autres danseurs de la compagnie créent avec un chorégraphe que j’ai invité. Il s’agit de Roy Assaf et la pièce s’appelle Adam.
 

Propos recueillis par Thomas Hahn