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Les Plateaux : Études de gestes
La danse contemporaine n'a jamais évacué le mouvement, quoi qu'en disent certains. Mais la dimension internationale des Plateaux fait ressortir d'autant plus le fait que la recherche sur le geste, autant artistique que cinétique, reste la base de l'art chorégraphique.
Contrastes
Traçons donc quelques lignes de force à oppositions maximales: La rapidité de Luis Guerra (Portugal) qui va jusqu'au trompe-l’œil face à la clarté graphique, presque zen chez Noëlle Simonet & Raphaël Cottin (France). Leurs lignes droites, toujours en duplex avec des structures graphiques évolutives, face aux micro-articulations de Sun-A Lee (Corée du Sud). Sa complexité qui contraste tant avec Igor Urzelai et Moreno Solinas (Pays Basque/Sardaigne) qui passent une heure (ou presque) à sautiller, magistralement, dans un rythme immuable et arrivent à nous faire rire avec ça. Leur présence au sourire discrètement espiègle est le contraire absolu de l'évocation tragique et mystérieuse du personnage de la mystérieuse comtesse interprétée par Katia Medici (Italie) dans un portrait dansé très théâtral. Tous Plateau-niques, tous excitants.
Interdisciplinarité
Si ces artistes ont développé des écritures personnelles, ils profitent d'une ouverture vers d'autres horizons et disciplines artistiques. Katia Medici qui a dansé dans les compagnies de Régine Chopinot et Angelin Preljocaj est également comédienne formée par Nils Arestrup, Lisa Wurmser, Philippe Minyana, Jean-Michel Rabeux et autres. Comme Sun-A Lee, elle a joué dans des court-métrages, alors qu’ Urzelai et Solinas montrent dans Idiot-Syncrasy leur passion et leur talent pour le chant traditionnel. Quant à Luis Guerra, il est venu à la danse à partir de sa carrière de dessinateur, en lien avec la géographie, l'urbanisme et les arts décoratifs.
Univers graphique(s)
On attribuerait donc facilement à Guerra une pièce aussi graphique que Signatures, mais ce dialogue entre tracés sur le plateau et lignes, structures, dessins figuratifs, toujours en évolution, est signé Noëlle Simonet & Raphaël Cottin. Ni aériens, ni telluriques, les corps et le mouvement ne sont que les vecteurs d'une danse qui ressemble parfois à du ballet dépouillé de son aspiration aérienne, parfois à une exégèse de Lucinda Childs, où la vitesse n'est plus nécessaire pour adhérer à la pulsation musicale répétitive.
Sursaut répétitif
Le mouvement répétitif peut cependant être aussi varié que chez Luis Guerra dans le premier tableau de Brouillard (Fog) où les quatre interprètes fantomatiques (dont le chorégraphe) impressionnent par une rapidité et un côté machinal qui confinent à la transe. Les inflexions sont ultra-rapides comme dans le krump et les corps sous tension extrême, aussi stylisés et décalés que dans l'univers de Giacometti. On ne saura jamais qui ils sont ni les raisons de leur étrange état qui peut signifier une sorte d'autisme.
Par contre, chez Urzelai et Solinas tout est clair. Pas l'ombre d'une transe quelconque. Même la salle reste éclairée, surtout quand ces deux kangourous humains sautent en montant les gradins pour offrir un verre de whisky aux spectateurs. Ils commencent par un chant sarde, finissent par un chant basque et savent glisser dans leur sautillement continu une prétendue perte de contrôle due au whisky (à celui bu par les spectateurs !) autant que des pas de danses traditionnelles. La danse basque peut mener loin - les deux vivent et travaillent à Londres.
Puissance empathique
On pourrait ensuite opérer un rapprochement entre Waves de Sun-A Lee et La Castiglione, chute d'une comtesse de Katia Medici, par la force de l'empathie que chacune sait créer. On pourrait, si les moyens et les styles n'étaient pas aussi différents.
Mystère, inquiétude et énergie vitale chez la Coréenne avec ses études sur le micro-mouvement (surtout si la pièce est présentée dans un espace adéquat offrant un volume spatial qui fait caisse de résonance à sa présence et permet de dévoiler la raison d'être de Waves, ce qui n'était pas le cas aux Plateaux), profondeur psychologique et dimension tragique dans les grands gestes de l'Italienne. Mais ne dit-on pas que la Corée est l'Italie de l'Asie?
Thomas Hahn
Les 24 et 25 septembre 2015
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