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La danse au Festival d'Automne 2015

Si le Festival d'Automne présente immanquablement des vedettes, comme en 2015 Anne Teresa De Keersmaeker, Lucinda Childs et Romeo Castellucci, le directeur artistique Emmanuel Demarcy-Mota et son équipe (citons surtout Marie Collin pour le théâtre, la danse et les arts plastiques) cherchent à présenter des chorégraphes qui surprennent, dérangent, osent. Bref, des voix fortes et authentiques qui savent se faire entendre, des artistes pour lesquels la création chorégraphique représente un engagement durable, un enjeu politique au sens noble du terme.

La Corée du Sud : Eun-mi Ahn

L'Année France-Corée bat son plein. Officiellement ouvert en ce mois de septembre, la manifestation qui  fête les 130 ans de relations diplomatiques entre la France et la Pays du Matin Calme est présente dans tous les secteurs artistiques et économiques. Après les 4h30 de rituel chamanique Mansudaetak-gut au Théâtre de la Ville, c'est Eun-mi Ahn qui s'empare du théâtre et de la MAC de Créteil.

Révolutionnaire de la danse contemporaine en Corée du Sud, Eun-mi Ahn était la première à oser mettre en scène des interprètes nues sur une scène coréenne, et ça a suffi pour se faire une réputation d'enfant terrible. Très remarquée avec Dancing Grandmothers en 2014 dans le cadre de Paris Quartier d'Eté, elle revient avec l'intégrale de sa trilogie audacieuse.

Pour Dancing Grandmothers, Ahn a commencé par un voyage à travers le pays, incitant des grand-mères inconnues à se lâcher dans une danse, en pleine rue, dans leurs boutiques ou ailleurs. Dans les vidéos tournées alors, on les voit redécouvrir avant qu'elles n'entrent sur le plateau, telles qu'elles sont dans la vie. Sauf que le décor n'est pas le même. Ici, elles se mêlent aux jeunes danseurs professionnels dans une ambiance de paillettes, de glamour, de rêve. On est en "boîte", et le public aussi finit par danser. (Théâtre de la Ville 27-29 septembre)

Dancing Teens Teens: Ensuite, Ahn s'est tournée vers les jeunes, ceux qui incarnent la Corée de demain. Que dansent-ils? Pourquoi dansent-ils, dans ce pays qui change de plus en plus vite, où pourtant les valeurs traditionnelles coexistent avec le monde des adolescents. Ces jeunes, soumis à une compétition sans merci pour les meilleures places, dansent leurs propres rêves, copiant des modèles diffusés sur internet. (Théâtre de la Ville, 23-25 septembre).

Et finalement, la génération du milieu, les pères des ados et fils des sexagénaires! Ils boivent, ils vivent, ils dansent. Tout récent, ce volet sera la pochette surprise de la trilogie. Dancing Middle Aged Men (MAC Créteil, 2-3 octobre)

L'Afrique: Bouchra Ouizgen, Nadia Beugré

Ottof de Bouchra Ouizgen est une pièce puissante et libératoire, d'une étoffe toute particulière. Avec une force contagieuse, ces femmes berbères nous parlent d'enjeux majeurs de leurs vies d'épouses et de mères. Ces Marocaines "normales" sont devenues artistes, d'abord de cabaret, ensuite dans l'avant-garde occidentale. Sauf qu'elles n'ont jamais perdu le lien avec la réalité de la vie de Mme tout-le-monde.

Guidées par Ouizgen, elles ont conquis une nouvelle fierté et défient les normes du spectacle occidental. C'est dans leur vérité qu'elles se révèlent et nous surprennent. Chapeau bleu, casquette de baseball. La transformation est totale. Nina Simone à la fin, pour leur permettre de danser leur libération. Ottof. Les fourmis. Celles qui, infatigables, peuvent faire plier des dictatures par leur travail acharné, jour par jour. En dansant, en chantant. (Centre Pompidou, 16-20 septembre)

Pas moins agitatrice, pas moins investie dans la cause de la libération de la femme en Afrique: Nadia Beugré. Legacy, son duo avec Hanna Hedman, et renforcé par une poignée de femmes aux horizons très divers, renvoie à un legs culturel particulier, les marches des femmes africaines pour leurs droits civiques. Aussi, les interprètes de Legacy courent, courent, courent... (Théâtre de la Cité Internationale, 28 septembre - 2 octobre)

Dans son solo Quartiers Libres, Beugré met en scène sa propre conquête de la liberté à circuler dans l'espace public. Et elle montre sa liberté d'artiste qu'elle résume en se revendiquant autodidacte en matière de technique de danse: "Je n'ai pas été formée et ça ne me manque pas, parce que je crois que la danse est la vie elle-même." (Le Tarmac, 14-17 octobre)

La vérité du corps: Jérôme Bel, Mette Ingvartsen

Gala de Jérôme Bel est un joyeux tour de nez aux idées reçues sur le ballet, sur ce qu'est un beau danseur, sur le spectacle, le théâtre etc. Bel mélange professionnels, amateurs, jeunes et vieux, grands et petits, valides et handicapés. Ensemble ils fêtent la danse, en se jetant dans les bras de figures-clés de l'imaginaire populaire: Le Grand jeté et la pirouette du ballet, le moonwalk de Michael Jackson. Et soudain, il apparaît que les amateurs et les corps non parfaits racontent tellement plus que les professionnels. Gala nous libère de nos attentes et abolit toute hiérarchie entre les interprètes, et même entre ceux qui sont en scène et les autres, venus en spectateurs. On dialogue plus qu'on ne regarde, et tout le monde s'amuse. "Gala" révèle que chez nous aussi il reste beaucoup à libérer. Ce spectacle est un très bon début. (Nanterre-Amandiers 17-20 septembre, La Commune Aubervilliers 1-3 octobre, Théâtre de la Ville 30 novembre-2 décembre)

La peau, le toucher, la nudité - et donc le corps - sont au centre de 7 pleasures de Mette Ingvartsen. Les plaisirs évoqués sont tout à fait de nature sexuelle, mais le propos du spectacle est justement de mettre en question les idées que nous nous en faisons habituellement. Une meute d'environ une dizaine de danseurs, nus, délicats, sauvages, explorateurs et perturbateurs livrent une pièce de danse-contact de grande intensité. Mette Ingvartsen montre une fois de plus qu'elle est autant chercheuse que chorégraphe. (Centre Pompidou, 18-21 novembre)

La poétique des rythmes: Lucinda Childs, Anne Teresa de Keersmaeker, Noé Soulier

Available Light de Lucinda Childs est la recréation d'une pièce fondatrice de l'esthétique post-moderne, où l'on sortait de plus en plus des salles frontales traditionnelles pour investir les friches industrielles et autres espaces incongrus. Créé en 1983, Available Light , sur la Musique de John Adams et dans une scénographie de l’architecte Frank Gehry est une sorte de prolongement de la Judson Church et de son esprit, où la danse et l'art contemporain sont à la racine d'une œuvre, abolissant les hiérarchies. Sa recréation marque un retour sur les années fondatrices de la Judson Church, qui fêta ses cinquante ans en 2013. (Théâtre de la Ville, 30 octobre -7 novembre)

Anne Teresa De Keersmaeker n'est pas moins irréductible qu'une Maguy Marin. Chacune de ses pièces entreprend une recherche sur le rythme et l'espace, sur le rapport le plus intime et intrinsèque entre la musique et le mouvement. En ce moment, elle étend ces explorations à la musique intérieure d'un texte. Après avoir mis en chorégraphie les émotions et conflits qui sous-tendent "Comme il vous plaira!" de Shakespeare dans Golden hours (As you like it), elle se penche aujourd'hui sur Rainer Maria Rilke et sa nouvelle Die Weise von Liebe und Tod des Cornets Christoph Rilke qui donne directement son titre à la pièce. Mots, voix, souffles et corps pour chercher une partition commune. (T2G de Gennevilliers, 25-29 novembre)

Le jeune prodige qu’est Noé Soulier se penche dans Removing sur le vocabulaire du Jiu Jitsu brésilien, ses règles et la complexité des mouvements, à partir de sa propre découverte initiale de cet art martial, à savoir à travers un regard ignorant les enjeux sportifs, et simplement fasciné par ce qui se joue entre les corps. Et il promet une pièce sans texte, pleinement et uniquement basé sur les évocations sensuelles, animales ou végétales émanant des corps. (Théâtre de la Bastille, 12-16 octobre)

Un zeste de révolte: Maguy Marin, Miguel Guitterrez, DV8

Reprendre Umwelt, quelle gageure! Créée en 2003, cette pièce a valu à Maguy Marin et ses interprètes des attaques physiques venant de spectateurs énervés. Pourquoi? Umwelt est un portrait d'une société de consommation où les êtres ne font que passer et sont relégués au fond. Ils apparaissent, disparaissent, reviennent et s'éclipsent sur un rythme imperturbable, dans un système de portes et de miroirs. En fond sonore, le son strident et continu des guitares électriques. Umwelt incarne tout le côté irréductible de Maguy Marin. Sommes-nous aujourd'hui plus à même de recevoir cette pièce radicale, ou moins qu'en 2003? (MAC Créteil 9-10 octobre, Théâtre de la Ville 4-8 décembre).

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The Age & Beauty Series de Miguel Guitterrez est une trilogie d'une sensualité déjantée, un cri de liberté dans un monde de plus en plus conformiste. Un bras d'honneur à toutes les conventions, une folie salutaire, une révolte, un manifeste, un hymne à l'underground. Les titres de ces trois pièces en disent long, et il a plus long à jeter dans la bataille que ce  Asian Beauty @ the Werq Meeting or The Choreographer @ Her Muse or &:@&. La démesure comme but, comme une célébration du droit à la différence, culturelle ou sexuelle, ou... ou... Il faut donc s'attendre à tout. (Centre Pompidou 25-28 novembre, Centre National de la Danse 1-4 décembre et 7-11 décembre).

DV8 et son fondateur Lloyd Newson pratiquent une danse-théâtre extrêmement engagée sur des questions de société et de liberté. John parle d'un homme qui est confronté, dans le monde actuel, à toutes formes d'empêchement de choisi librement ce qu'on voudrait vivre, être et donner. Le personnage appelé John est le condensé d'une cinquantaine d'interviews de gens ordinaires vivant en Angleterre, et donc une approche sans fard de la réalité sociale. Comme toujours, Lloyd Newson n'esquive aucune zone à problèmes, aussi intime soit-elle. (Grande Halle de La Villette, 9-19 décembre).

Thomas Hahn

http://www.festival-automne.com

 

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