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« Paris Merveilles »: Le Lido se réinvente

Depuis sa réouverture après rénovation, fin mars 2015, le Lido affiche sa nouvelle revue, Paris Merveilles. Après treize ans de représentations quotidiennes de la revue Bonheur, il fallait changer de style, suffisamment pour que  ça se voie, et suffisamment peu pour ne pas perturber la clientèle. Hervé Duperret, directeur général du Lido, ainsi que Nathalie Bellon-Szabo, la présidente du département Lieux et marques de prestige chez Sodexo (la société qui gère le Lido et autres établissements de luxe à Paris, à savoir le restaurant de la Tour Eiffel, Yachts de Paris et autres Pré Catelan) ont constitué une équipe artistique en charge de relooker le clinquant du cabaret sur les Champs-Elysées, tout en respectant la tradition des fameuses Bluebell Girls et autres fétiches de la maison. 

Sous la direction artistique de Fanco Dragone, la nouvelle revue affiche un style décontracté qui s'accorde même quelques notes d'autodérision. Le travail chorégraphique est passé sous la direction de Benoît-Swan Pouffer. La scénographie a été conçue par Jean Rabasse, dernièrement remarqué à Chaillot où il a réalisé les décors de Contact de Philippe Decouflé. Et si Nicolas Vaudelet, créateur des costumes, est encore plutôt inconnu du grand public, il affiche néanmoins une riche expérience professionnelle acquise chez Dior, YSL, Lacroix et Gaultier.

Si le Lido décide aujourd'hui de changer de style, l'investissement est énorme. Annuel au début, le changement de programme s'est raréfié avec le temps. Quatre à cinq ans dans les années 1980 et 1990, puis dix ans pour le programme C'est Magique et treize pour Bonheur, désormais remplacé par Paris Merveilles. Le Lido a donc investi vingt-cinq millions d'euros en échange de l'espoir d'augmenter la fréquentation qui avoisinait les 80%. Au cours d'onze ans d'exploitation, jour par jour, deux  fois par soir, Bonheur avait donc perdu de son éclat (on n'est pas chez Béjart ni chez Gaston Leroux1. Ce qui veut bien dire qu'en temps de "crise", le Lido joue aujourd'hui son va-tout.


Franco Dragone, du Cirque du Soleil au gigantisme chinois

Le metteur en scène italo-belge est, depuis ses débuts en tant qu'égérie du Cirque du Soleil, devenu le spécialiste mondial des grandes messes ultra-spectaculaires. À Macau, en Chine, son film d'action joué en direct, The House of Dancing Water, ne mise que sur le gigantisme, sur des trajectoires aériennes pour corps, motos et autres appareils volants, dans ou au-dessus d'une piscine aux dimensions plus qu'olympiques. Et à Wuhan, The Han Show va même plus loin. Un nouveau théâtre a été construit spécialement pour accueillir la démesure dragonienne. Musique grandiloquente, public assis en cercle, hauteur sous plafond comme dans une cathédrale. Pas de saut de moins de vingt-cinq mètres, pour tomber dans des flots déchaînés. Que pouvait faire un Dragone dans l'exiguïté de Paris intra-muros, a fortiori sur les Champs-Elysées ? Il était bel et bien obligé de se séparer de certaines habitudes fraîchement acquises, même si le bassin, la patinoire et les fontaines font toujours partie du spectacle au Lido. Mais comparé aux dimensions en Chine, tout ça est à la taille de jouets.

Il lui fallait donc redescendre des sommets de l'Empire du Milieu, pour retrouver un esprit plus proche de ses débuts au Québec. Et il ajoute bien volontiers quelques accents de l'esprit libertaire dans lequel des troupes comme le Cirque du Soleil ont révolutionné l'esprit du genre, il y a trente ans. Ce n'est pas pour rien que Dragone vient du théâtre-action et qu'il fut membre fondateur du cirque Archaos. Paris Merveilles, sa première réalisation à Paris intra-muros, profite de son regard encore émerveillé sur Paname et lui permet de renouer avec la sensibilité des débuts. Artistiquement, ça tient et Dragone semble avoir gagné son pari avec Paris Merveilles.

Un chorégraphe-surprise

Les efforts de relooking ont commencé par le choix d'une équipe artistique très internationale, avec quelques têtes inattendues. Dragone aurait pu faire appel à un chorégraphe plus médiatisé en France (et dans le monde) que Benoît-Swan Pouffer. Pratiquement inconnu en France, Pouffer a tout de même dirigé la compagnie newyorkaise du Cedar Lake Ballet de 2005 à 2013, après huit ans comme principal dancer du Alvin Ailey American Dance Theater. Cela ne fait pas encore de lui un chorégraphe qui change l'histoire de la danse, mais il faut bien reconnaître qu'au-delà de l'horizon parisien, il existe des artistes aux idées fraîches.

Pour Paris Merveilles, Pouffer impose un léger basculement de l'axe des danseuses. La verticalité n'est plus tout, le vocabulaire chorégraphique dialogue avec le ballet. Pour constituer l'équipe de base, huit cent candidats ont été auditionnés, à New York, Berlin, Londres et Amsterdam. Et sur l’impulsion de Dragone, une nouvelle hiérarchie a été mise en place, avec douze « Bluebells » comme bataillon de base. Au-dessus, les dix « Belles » (les seules qui dansent topless), et au top, cinq « Sublimes », les étoiles du Lido, les filles de caractère, libres dans le choix de la couleur des cheveux et du style. L'équipe cherche de la personnalité chez chacune, et tout particulièrement chez les cinq « Sublimes », censées incarner différents types de féminité du XXIème siècle.

Jane Sansby à la tête des Bluebell Girls

De la personnalité, oui, mais pas à moins de 175cm, et sans dépasser les 184cm, car il ne faut pas dépasser les garçons qui doivent mesurer au moins ça... « Elles portent tout même des costumes volumineux et lourds, auxquels peuvent s'ajouter jusqu'à trois kilogrammes de plumes sur la tête », fait valoir Hervé Duperret, le directeur général du Lido. « Sur une personne plus petite, ça ne donne pas la même allure. »

Mais au quotidien, les Bluebell Girls travaillent sous la direction de Jane Sansby. Aujourd'hui sans doute la Britannique la plus parisienne du monde, Sansby a commencé sa carrière en entrant dans la fameuse troupe des Bluebell Girls en 1992, ce qui signifie qu'elle a encore pu croiser la fameuse Margeret Kelly, qui fonda, il y a quelques sept décennies, la première troupe de show-girls de l'histoire. Aujourd'hui, après une carrière de vingt-deux ans au Lido et quatre revues en tant qu'interprète, Sansby dirige les castings et veille, en tant que maître de ballet, sur la qualité technique des interprètes. Chaque catégorie de danseuses a sa capitaine, responsable de l'entraînement et du suivi général, en dialogue direct avec Sansby.

Côté costumes, le travail du styliste Nicolas Vaudelet allège sensiblement le poids des coiffes et des couronnes. Tout devient plus dynamique, plus pointu, plus proche des tendances fashion actuelles. Mais pas forcément plus léger en termes de fabrication. Dans les ateliers Dragone, à La Louvière en Belgique, la fabrication a été soignée jusqu'à faire venir d'Autriche les quarante mille pièces de strass cousus main sur les robes bleues qui marquent le spectacle.

Une revue? Une méta-revue!

Le titre est à double tranchant. Kitsch ou finesse ironique ? Paris Merveilles se présente comme une méta-revue, un spectacle qui s'amuse des codes et des traditions du genre. Dragone opte pour un décor et une scénographie mettant en scène un Paris 2.0 imaginé par Jean Rabasse, sous forme d'animations sur écrans LED montrant des vues artistiques des monuments principaux, de l'Arc de Triomphe au Château de Versailles. Le grand escalier, élément incontournable, représente une station de métro à la Hector Guimard. Le message s'adresse directement aux touristes: Pourquoi regarder des tableaux faussement exotiques, replongez plutôt dans la magie des sites pour lesquels vous êtes venus !

Grâce aux projections se crée un effet d'immersion et on se sent proche du personnage principal: Une secrétaire ! Au début de son rêve d'évasion, on la voit bien droite dans son chemisier. Derrière ses énormes lunettes, elle rêve d'être meneuse de revue dans un cabaret parisien. Par ailleurs, rien ne garantit qu'il s'agit forcément du Lido. Car son rêve se termine par un tableau de cancan, et puis, veuillez le croire ou pas, c'est bien la première fois depuis son ouverture en 1928 qu'il y a du cancan au Lido ! Le rouge des jupons est ici si survolté qu'on y voit volontiers un dernier salut au genre, une dernière carte postale, une apothéose des fantasmes touristiques que Dragone détourne avec une finesse étonnante.

Toute autre forme d'évasion est purement artistique. Le programme fourmille de « special attractions » comme l'excellent B-Boy Mansour dans un superbe  solo d'automate ou les stupéfiants acrobates ukrainiens Igor Gavva & Iulia Palii, véritables vedettes dans l'univers du cirque en tant que duo You & Me, primés au festival Cirque de Demain. Sans oublier les deux cygnes blancs, bien à l'aise sur scène en tant qu'Odette(s), grâce à l'aide apportée en amont par le chorégraphe Luc Petton.

Manon, meneuse décalée

L'un des changements les plus remarquables par rapport aux traditions concerne la meneuse, personnage-clé de toute revue. L'idéal traditionnel la veut plus sublime encore qu'une « Sublime » façon Lido. Mais pour Paris Merveilles, le choix s'est porté sur une meneuse d'un nouveau type. Manon Trinquier est petite, rondelette, tatouée. Chanteuse, pas danseuse. Sa voix sublime, très soul, a conquis tout le monde. Et Manon devint la voix de Paris Merveilles, sans rien cacher de sa différence, bienvenue dans le concept qui doit une partie de son âme à l'inspiration qui s'est dégagée de cette chanteuse si particulière. Son grain, sa fougue, sa profondeur font merveille avec les mélodies d'Yvan Cassar et les textes de Saule. À l'origine, Manon devait même jouer la secrétaire. Mais un rôle de femme forte lui convient tellement mieux... Le regard distancié qu'on peut poser sur le spectacle à travers elle est la merveille la moins attendue de ce Lido rénové.

Thomas Hahn

1 « Le presbytère n’a rien perdu de son charme ni le jardin de son éclat ». Cette phrase magique, empreinte d'une curieuse poésie, c'est à Gaston Leroux – l’auteur du Fantôme de l’Opéra – qu'on la doit. On peut la lire à plusieurs reprises dans son roman Le Mystère de la chambre jaune

 

http://www.lido.fr

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