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Le Parc à l'Opéra de Paris

De la danse, objet du désir

Le Ballet de l'Opéra de Paris reprend Le Parc, chorégraphie d'Angelin Preljocaj créée sur mesure pour la Grande Maison. Si populaire que c'est un duo qui en extrait qui a servi à créer la fameuse publicité d'Air France (l'Envol, avec Benjamin Millepied et Virginie Caussin). En tout cas, c'est avec un grand plaisir que l'on retrouve cette œuvre à l'affiche, jusqu'au 31 décembre.

 

Angelin Preljocaj est l'un des rares chorégraphes contemporains qui ose aborder la question de la durabilité des oeuvres. Pour lui, un ballet daté n'est pas un ballet démodé. Il relève juste de son époque. D'où son attachement à la notion de répertoire dans la programmation de sa propre compagnie, le Ballet Preljocaj, ce qui n'est pas si fréquent en danse contemporaine. En ce sens, il rejoint tout à fait l'état d'esprit qui meut une troupe comme celle de l'Opéra de Paris, chargée elle aussi, de transmettre un répertoire au fil des ans, voire des siècles.
Il n'est donc pas étonnant que Le Parc colle à ce point à l'ADN de cette compagnie. Parce qu'il a été crée pour elle il y a déjà presque vingt ans, le 9 avril 1994. Parce que  le thème s'y prête aussi : les délices de l'amour galant dans la France du XVIIe et du XVIIIe siècle rappellent bien évidemment la longue histoire du Ballet de l'Opéra de Paris, qui fut d'abord Académie Royale de Musique ,crée sous Louis XIV.

 

Parce qu'enfin, Preljocaj va jusqu'au bout de sa thématique, avec des costumes et une musique d'époque,  et va jusqu'à aborder le vocabulaire de la danse baroque qu'il tord et modernise avec une jubilation communicative.

Le Parc est un chef d'oeuvre daté et pourtant résolument intemporel , parce qu'il jongle entre les époques : la musique de Mozart (un « best of » des plus belles pages du compositeur prodige, qui savait ce que c'était que de créer pour la Cour), est légèrement interrompue par les sons interrogateurs de Goran Vejvoda qui sont un contre-point contemporain mais jamais intrusif. Ils interrogent simplement les protagonistes sur le destin qui les guette, à trop jouer sur les désirs, signes annonciateurs de maladies destructrices, de la syphilis d'alors au Sida d'aujourd'hui.

De la danse baroque, Preljocaj montre qu'il a travaillé le sujet, lui qui n'en avait aucune formation initiale. Simplement, il en détourne les pas, lui apportant une virtuosité physique du bas du corps adaptée aux exigences du public d'aujourd'hui. Reste le sujet du ballet, à la fois narratif et abstrait, bien à l'image d'un chorégraphe souvent au milieu du gué, entre les règles du  ballet académique et  les libertés de la pièce contemporaine.

Ici, il a voulu nous emmener dans les entrelacs de la séduction, telle qu'elle se pratiquait à la Cour du Roi. Nous sommes dans un jardin à la française,  stylisé de manière contemporaine par des très beaux buis coniques et arbres en bois  signés Thierry Leproust. Tout se passe sur une journée, dans une unité de temps, d'action et de lieu rappelé par un ciel naissant, puis étoilé. Nous sommes à l'aube, et quatre jardiniers-Cupidon qui ne sont pas sans rappeler les Cerbères de l'Orphée et Eurydice de Pina Bausch, annoncent la couleur :  ici, tout se trame dans les entrelacs d'une organisation sociale bien précise mais soumise aux aléas de la nature amoureuse. Entrent les protagonistes, aristocrates de la Cour jeunes et séduisants. Garçons et filles sont en redingotes et perruques unisexes, mais on y verra aussi, plus tard, des danseuses en robes à panières splendides, ou en jupons et corsets. Tous se regardent, s'admirent, se jouent du regard de l'autre. Un jeu de chaises (musicales) nous rappelle que la Cour était aussi un lieu d'enfantillages. Au deuxième acte, la séduction se fait plus sensuelle, avec des jeunes femmes cachées derrière les arbres en petite tenue. Au dernier acte, la pâmoison nous prouvera, bien sûr, que rien n'est aussi joyeux que cela dans la séduction, et qu'elle peut laisser des traces lorsque les intermittences du cœur s'affolent..
Preljocaj, à l'évidence, sait chorégraphier pour des ensembles. Sa danse est vive, rigoureuse, d'une géométrie implacable et surtout d'une musicalité extrême.

 

Mais il sait aussi « zoomer » sur un duo précis, un jeune homme et une jeune femme dont on sent qu'une histoire s'est préalablement tramée. Tout au long du ballet, ils se retrouvent, se tournent autour, s'accrochent, se délaissent, en viennent à l'intime pour mieux revenir au paraître, avec cette robe rouge sang  que porte la jeune femme au troisième acte. Et le ballet s'achève dans ce fameux baiser volant entré dans la légende : 2 minutes et demi de rotation, où la femme enlaçant le jeune homme, l'embrasse sur la bouche, lève ses jambes à l'horizontale, et se met à s'envoler sous l'impact du jeune homme tournant à grande vitesse. La séquence est passée à la postérité depuis qu'Angelin Preljocaj l'a réutilisée pour la publicité d'Air France

Les artistes de l'Opéra sont magnifiquement à l'aise dans ce ballet qui leur sied à merveille. Les vingt danseurs du corps de ballet sont impeccables, élégants, drôles et légers. Et le duo de solistes vu ce soir-là, Isabelle Ciaravola et Karl Paquette ont joué le jeu magnifiquement. Et, las but not least,  on a rarement entendu aussi bel  ensemble - dans les cordes notamment - que l'Orchestre de chambre de Paris (dirigé par Koen Kessels) , qui sait transmettre de Mozart, tout son humour, sa légèreté, sa gravité et sa beauté.

Ariane DOLLFUS

Opéra Garnier jusqu'au 31 décembre.

Et à la Maison des Arts de Créteil mardi 7 et mercredi 8 janvier à 20h30

DVD : On retrouvera le ballet dans son intégralité en DVD (Bel Air Classique) avec la distribution de la création : Isabelle Guérin et Laurent Hilaire, qui remonte aujourd'hui cette version

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